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Sathya Ranganathan et les variations des êtres dans le temps

Sathya Ranganathan et les variations des êtres dans le temps

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Propos recueillis par Maximilien Friche

Sathya Ranganathan est né en 1987 dans le sud de l’Inde, il est installé dans le Nord de la France depuis 2016. Il fait de nombreux allers-retours avec l’Inde où il se nourrit de lumière particulière. Il pratique le Pastel en inde et l’Acrylique ou l’huile en France. Autodidacte, il est aujourd’hui entièrement consacré à la peinture. Il a l’obsession des visages qui sont sa première source d’inspiration. Il projette la complexité des visages dans tout ce qu’il peint.

MF : Sathya Ranganathan, à regarder vos peintures, nous avons une sorte de révélation : l’uni n’existe pas, l’uni est une fiction. Il y a une telle complexité dans vos visages, vos paysages, vos fonds, et en même temps une telle vérité que l’on se dit que vous avez percé un mystère. Peut-on dire que l’uni n’existe pas ? Si la réalité est plus complexe est-ce parce qu’elle est le fruit d’un jeu entre la matière et la lumière ? Et comment s’articule par votre travail, cette réalité et l’émotion que nous ressentons ?

Sathya Ranganathan : En fait, je ne cherche pas vraiment à traduire la réalité en peinture. Je suis en recherche quand je peins. Je ne pense pas que la réalité soit complexe, mais plutôt le processus de création lui-même. Comme je cherche, je peins en plusieurs couches et le temps passe… L’accumulation de peinture traduit l’accumulation du temps, c’est un témoin du temps qui est passé. Parfois une heure, parfois un mois.

Quand je commence à peindre un tableau, je sais intuitivement ce que je veux faire, mais je suis incapable de le décrire concrètement et avec des mots à l’avance. Je cherche donc à rejoindre cette intuition à travers ma peinture. C’est ainsi que cette dernière devient témoin à la fois de l’intuition et du processus de recherche lui-même. Et je sais reconnaître au final si c’est ce que je veux, si cela montre ce à quoi je suis sensible. Si cela ne me plait pas d’ailleurs, je détruis et je recommence.

MF : Vos visages nombreux sont un peu kaléidoscopiques, ils deviennent comme des paysages, faits d’ombres, de lumières, de reflets. Est-ce ainsi qu’un visage nous invite au voyage, à cheminer un temps ?

SR : Je suis fasciné par les visages depuis que je suis petit garçon, quand je vois un visage, je veux déchiffrer et j’essaye de transmettre. C’est difficile de mettre en mots sur le regard que je porte, mais je suis fasciné par les visages. C’est là mon sujet préféré. Et encore une fois, je ne sais pas mettre en mots le but recherché, je cherche et je compare. Mon travail est de réduire la distance entre ce que je ressens et ce je veux veut mettre sur la toile. Un paysage et un visage dont deux choses différentes, je ne fais pas vraiment de parallèle. En vérité, les sujets sont des prétextes, en vérité, ce que je veux peindre, se situe à l’intérieur. Je sélectionne donc des sujets qui me donnent des impressions particulières qui éveillent des sentiments profonds.

Comme je dessine et je peins tous les jours, le lieu de la création a évidemment une influence sur ce que seront mes peintures. En Inde, je peignais ma famille. La lumière en Inde est différente, et la technique que j’utilise est donc aussi différente. J’utilise le pastel en Inde, le pastel est plus rapide et plus spontané. En France, j’utilise plutôt l’huile et l’acrylique. Ce n’est pas vraiment une décision consciente.

Et si ce que j’obtiens ne correspond pas à mes attentes, si je n’aime pas, alors je détruis. Je cherche et si ça ne marche pas, je tourne la page et je recommence. La destruction est une partie très importante pour moi, cela fait partie pleinement de la création, et je ne veux pas avoir peur de détruire.

MF : Votre perspective est un peu folle, on la voit déformée et notre regard épouse tout le volume peint. A quel jeu joue la 3ème dimension avec notre regard ? Comment avez-vous domestiqué cette 3ème dimension pour la faire rentrer dans les deux dimensions d’un mur ?

SR : L’espace devient miroir, le tableau nous montre nous-même et c’est ainsi que l’espace se met à bouger. C’est celui qui regarde qui lui donne vie. L’espace est déformé comme pour mieux refléter fidèlement notre âme.

MF : Vos toiles bougent. Du moins, on en a l’impression. Elles semblent en léger mouvement, presque imperceptible, c’est comme un vacillement. Avez-vous voulu ainsi rendre compte de la vie, saisir la présence ?

SR : Je ne pense pas en termes de mouvements quand je peins, en revanche, je cherche la vie. Je déforme la perspective, je dirige les couleurs complémentaires pour faire vibrer la toile. Toutes les techniques que j’utilise sont mobilisées pour conférer une vie aux tableaux. Ce que je vois, visage ou nature morte, est immobile (un visage, une nature morte), mais dans le temps, en vérité, ces objets sont toujours en mouvements. Ce sont ces variations dans le temps que j’essaye de traduire dans ma peinture. C’est un peu comme incorporer un mouvement perpétuel dans le tableau, c’est difficile à capturer. C’est aussi une question de rencontre, c’est la personne qui regarde qui va recevoir mon intention et finir de faire vibrer le tableau. C’est ainsi que les toiles peuvent être très vivantes.

MF : Ma dernière question est subsidiaire : pourquoi avoir peint des chaussures ?

SR : En fait, j’aime Van Gogh. Quand il était aux Pays Bas, il a fait des peintures très sombres sur une période réduite, et justement avec une série sur les chaussures. Quelque chose qui s’est produit en moi, j’ai eu le sentiment de voir quelque chose de très honnête, très authentique. J’ai donc voulu tenter ma version et peindre mes propres chaussures à ma façon. C’est une forme d’hommage rendus aux peintres que j’ai rencontré en arrivant en France dans les musées. En Inde je n’avais pas vu de peintures. Mon arrivée au Musée d’Orsay a été une révélation ! J’ai rencontré d’un coup toute la peinture Bonnard, Vuillard, van Gogh… et dès lors j’ai eu de peindre moi aussi, de ma propre façon pour montrer ma sensibilité. C’est donc en France que j’ai commencé à peindre en 2016, et c’est en 2018 que j’ai démissionné de mon emploi pour me consacrer pleinement à la peinture. J’ai commencé à faire des expos dans l’Oise en 2022.

Je voudrais terminer cet entretien en précisant, avec beaucoup d’humilité, que mes réponses ne valent qu’à l’instant T, cela peut bouger, je laisse les choses me traverser, je change car je suis vivant, et je cherche encore une fois, ma peinture est recherche.

Pour aller plus loin : https://www.sathyaranganathan.com/


François Xavier de Boissoudy
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Lionel Borla, artiste peintre
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Les variations Hadleigh selon Giorda
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