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FAUVE ≠  Vieux Frères – Partie 1

FAUVE ≠ Vieux Frères – Partie 1

Par  

« Notre besoin de consolation est impossible à rassasier »
(Stig Dagerman)
Fauve ≠, porteur de mauvaise nouvelle. Mais pas que.
Fauve ≠ nous offre son désarroi et sa déchéance mais également la possibilité de son rachat, de sa rédemption. Et tant pis s’il retombe, genoux en terre, relapse, toujours relapse, car avec des papillons dans les yeux et dans le gosier.
Une partie de la jeunesse « blanc-bec » ne rêve plus et se désespère. Elle va de désillusion en désillusion. Pour autant ne baisse pas les bras. Car si l’on est nombreux à être seuls, l’addition de ces solitudes peut et tend à former un corps, une corporation (« Corp », nom du label de Fauve), une assemblée dans la cité où crier son amertume, un collectif, un réseau amical, un ensemble de singularités agrégées qui se regroupent dans un élan fraternel. La sortie de crise se fera dans l’unité (le collectif Fauve ≠ est insécable) ou ne se fera pas.
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Fauve ≠ est en colère mais, contrairement aux rappeurs dont ils ne s’inspirent pas tant que ça (on pense plutôt à Diabologum), Fauve ≠ est d’abord en colère contre soi-même. On a les ennemis qu’on peut. Fauve ≠ se trouve lâche, inadapté, peu reluisant, décalé,… Cependant, à force de le clamer et avec une telle énergie Fauve ≠ déplace le curseur de la mauvaise conscience vers une forme de sublimation qui, au final, est une force à nulle autre pareille.
Le mot « sublimation » est lâché et il dit tout : la force de l’art, sa capacité à transformer le fer blanc et le médiocre en or et en quelque chose de grand, qui parfois même nous dépasse. On y reviendra.
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Fauve ≠ est pressé d’en découdre avec le temps. Le débit de leur chanteur est de l’ordre du staccato voire du fusil-mitrailleur. Peloton d’exécution. Cible : petites ou grandes lâchetés, renoncements, asservissement, fatalisme, inertie.
Au fil de l’album la colère s’amenuisera, des issues de secours surgiront, des tranchées seront creusées, pour se protéger et reprendre espoir. Regagner de la dignité.
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Fauve ≠. Collectif toujours en mouvement. Impossible de les dénombrer. Impossible de les identifier. Vous ne verrez pas leurs visages dans les magazines, à la télé, ni même sur scène. Ils restent volontairement dans la pénombre, insaisissables. Comme si ce qu’ils présentaient n’était pas seulement leur propre révolte mais aussi une révolte plus grande qu’eux (presque générationnelle), qui les englobe et les dépasse. Ils sont comme investis du sentiment de frustration de leurs contemporains. Et ils se chargent de le retranscrire, de le diffuser, de le projeter vers nos consciences avachies, avec ce secret espoir de ne pas se voir adresser en retour des fin de non recevoir ou de tomber sur des répondeurs avec personne au bout du fil. Ils appellent. Ils convoquent des choses qui manquent à leur place : l’amour, la reconnaissance et par dessus tout : l’amitié et la fraternité.
En ces temps politiques troubles et troublés où la haine est promulguée comme moteur sociétal, ils en appellent (et ils sont bien seuls à cette place) au rassemblement des forces vives que sont nos émotions, nos élans du cœur afin que nous devenions tous, nous aussi, des sortes de vieux frères, le tout dans le respect, le partage, la considération, bref, dans ce mot tellement vidé de son sens et de sa corpulence, cette vieille valeur républicaine depuis longtemps déjà tombée de son socle, piétinée, vilipendée, annihilée, cette bonne vieille fraternité qui parcourt de bout en bout l’album « Vieux frères ».
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Il y a de la colère chez Fauve ≠ (« Voyous ») mais c’est une saine colère, un conduit d’évacuation. Pas. Jamais de violence. À part celle faite à soi-même. Fauve ≠ ne nous prend jamais de haut. Plutôt d’en bas d’ailleurs. Depuis le tréfonds de l’estime de soi. Fauve ≠ en appelle à une révolte douce, une révolte des cœurs et plus encore à un réveil ou à un éveil de la conscience, conscience d’être soi, seul et perdu dans le vaste monde tonitruant, mais solitude partagée, seul et à deux et puis à trois et puis à quatre et de plus en plus nombreux. Conscience d’être capable de faire quelque chose pour sortir de soi, de son marasme et de son incomplétude, d’intégrer la société sans être ingéré par elle. Faire les choses à sa main.
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En écoutant Fauve ≠ on pense souvent à Deleuze quand il dit qu’à l’origine d’une vocation d’artiste ou de penseur il y a toujours cette chose terrible qui est d’avoir ressenti très tôt et de façon très aiguë la honte d’être un homme. La honte de faire partie d’une espèce capable de nier l’humanité qui est censée être son socle, que ce soit au travers d’une grimace mal à propos, d’une sale boutade, d’une lâcheté, d’une indélicatesse, d’une dérive, d’un crime, d’une guerre, voire d’un holocauste.
Chez Fauve ≠ cette honte d’être un homme correspond à la mauvaise image de soi trop souvent renvoyée par autrui et par la société dans ses fonctionnements discriminatoires. C’est la honte de faire partie d’une humanité qui exclue, qui fustige et stigmatise les plus faibles et les moins adaptés.
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Fauve ≠ siglé d’un signe d’égalité barrée, d’une inégalité. Car tout le monde ne naît pas libre et égal. On naît enchaîné (sac de nœuds familiaux et sociétaux), entravé depuis des lustres par l’asservissement au profit du Capital, des dominants, des industriels de la pensée, des bien nés et bien formés, de l’élite, de la force tranquille de tous ceux qui nous toisent et nous manipulent. Nous, entravés par notre timidité, notre sentiment d’infériorité, nos angoisses, nos peurs, nos désirs phagocytés, notre immense intranquilité, la somme de nos défaillances, de nos pas de côté, de nos reculades, de nos absences. On parle ici de ce qu’on a pu appeler à un moment donné « la majorité silencieuse ». C’est cette majorité silencieuse qu’incarne Fauve ≠.
Le débit tellement rapide et rageur du chanteur s’y origine : trop longtemps comprimée, la frustration finit par exploser pour former une logorrhée qui ne semble pas connaître de fin. Les vannes sont ouvertes. Un espace de parole a été créé. Il s’agit de se faire entendre.
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Ce qui tranche chez Fauve ≠ c’est cette capacité à ne pas forcément se présenter sous son meilleur jour. Parce qu’un homme ça ne bande pas toujours quand il faudrait, ça se demande parfois si ça n’est pas un peu pédé, c’est faible, mesquin, ça a peur, ça se sent nul, ça sent mauvais, ça crève d’envie. Ca crève. D’envie. Et tout cela sans apitoiement. Toute honte bue. Sans cache misère. En toute honnêteté et en toute franchise. Jamais un groupe fut à ce point anti-glamour.
Fauve ≠ se débat dans des eaux troubles mais ne cesse de chercher la lumière, le coup de chance, la grâce, l’amulette, le talisman qui peut-être nous portera chance (« Vieux frères »). Au fil des chansons Fauve ≠ déroule ses arguments : des lignes brisées de guitares qui fendent le cœur, des pianos faméliques, des beats frondeurs, du mouvement, de la vaillance. De cette vaillance que donne le sentiment de faire partie d’une famille, celle qu’on s’est choisie, celle de nos frères d’armes, de nos frères de sang mêlés, frères de lutte et de combat, contre soi, contre la mort de l’individu au profit de l’espèce.
Nous ne gagnerons pas, sans doute. Au moins aura-t-on essayé. Oui, peut-être que c’est perdu d’avance tant notre besoin de consolation est impossible à rassasier et tant les blessures sont profondes, attendu qu’un homme blessé est un homme perdu s’il ne rencontre pas son infirmière (« Infirmière »).
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L’essentiel pour l’instant est de donner de la voix, de dépasser « l’imposture » c’est-à-dire la mauvaise posture qui a été la nôtre jusqu’ici. Se sortir de l’adolescence sans renoncer à rien. Apprendre à être soi. Être soi-même. Émarger de la marge.
Le miracle du phénomène Fauve ≠ c’est cela : quand la marge se déporte vers le centre de l’attention.
Alors soyons sûrs que cette parole de révolte dont s’est saisie le collectif Fauve ≠, il saura continuer à en faire bon usage et ne rien lâcher de ce qui le meut, ce mal-être de ceux qui sont sans dieu ni maître, sans repère. Et qui sait, peut-être inverser cette force centrifuge dont ils ont été la victime, les maintenant ainsi à l’écart de tout, pour la transformer en une force centripète. Et pour finir, trouver en soi la force du recueillement qu’impose parfois en nous la découverte du sacré comme il est dit dans « Le tunnel ». Gagner la stase, l’apesanteur.
Comment partir du « commun » pour atteindre le sacré ? S’en remettre aux tables de l’art, à sa véritable fonction : la transcendance. C’est le but ultime de l’art que de nous élever. L’immanent c’est cette tache rouge sang du sigle de Fauve ≠. Mais ce sang c’est aussi la vie qui nous irrigue et nous donne la force de nous mouvoir, de nous dépasser. Ressentir toute la beauté cachée du monde. Pouvoir enfin dire, presque naïvement :
« C’est beau les plaines / C’est beau le mois de juin / C’était beau hier / C’était beau ce matin » (« Lettre à Zoé »).
Fauve ≠ c’est un chemin. Tortueux, sinueux, difficultueux. Un chemin qui partant d’un déterminisme cafardeux finit par tirer la ligne de fuite qui lui permet de dire qu’au bout du compte on a le choix :
« - T’as compris le jeu / Petit merdeux / C’est la roulette / Tu choisis pas
- Ah ouais tu crois ça / Bah écoute je sais pas pour toi mais pour moi ça sera la tête haute / Un poing sur la table / Et l’autre en l’air / Fais-moi confiance / Avant de finir six pieds sous terre / J’aurais vécu tout ce qu’il y a à vivre / Et j’aurais fait tout ce que je peux faire / Tenté tout ce qu’il y a à tenter / Et surtout j’aurais aimé » (dernière phrase qui au dernier refrain se transforme en « On m’aura aimé » (« La loterie »).
Et nos larmes de couler : de soulagement et de reconnaissance…
Car oui, toutes choses égales, « l’existence précède l’essence » (Sartre).


FAUVE – exister est encore possible
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Fauve toujours !
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La playlist 2015 de MN
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