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À quoi servent les politiques ?

À quoi servent les politiques ?

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« Vous ne servez à rien », lance nerveusement Mathieu Kassovitz à Rachida Dati sur le plateau de Laurent Ruquier. Ce qui contraint à distinguer le fait et le droit : peut-être en fait a-t-il raison. On peut se demander si les hommes et les femmes politiques qui exercent ou veulent exercer le pouvoir sont utiles ou non, voire nuisibles. On tergiverserait là-dessus des heures.

La question de fond est plus intéressante : qu’est-ce qui rend utile un politique ?

Les expériences malheureuses que nous ont fait vivre des Cahuzac ou des Thévenoud ont accrédité l’idée que les politiques sont surtout utiles à eux-mêmes. C’est d’ailleurs ce que relève Thrasymaque, le sophiste qui intervient au Livre Premier de La République de Platon :

Et chaque gouvernement établit les lois pour son propre avantage : la démocratie des lois démocratiques, la tyrannie des lois tyranniques et les autres de même ; ces lois établies, ils déclarent juste, pour les gouvernés, leur propre avantage, et punissent celui qui le transgresse comme violateur de la loi et coupable d'injustice. Voici donc, homme excellent, ce que j'affirme : dans toutes (339) les cités le juste est une même chose : l'avantageux au gouvernement constitué ; or celui-ci est le plus fort, d'où il suit, pour tout homme qui raisonne bien, que partout le juste est une même chose : l'avantageux au plus fort.

Le gouvernement est donc utile à ceux qui gouvernent. La trouvaille grecque qui rendait Périclès si fier est d’avoir fait de tous les citoyens des gouvernants. On dira, avec raison, que tous les habitants de la cité n’avaient pas le statut de citoyen. Mais faisons-nous mieux, dans la mesure où s’il est vrai que nous sommes tous citoyens il s’en faut de beaucoup que nous soyons tous gouvernants.

Faisons-nous une raison : si la démocratie est, selon le mot de Lincoln, le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, elle est au mieux un doux rêve et certainement pas une réalité. Cette distinction, bien réelle et inévitable, conduit à reposer la question : à quoi servent les politiques ? Mais elle permet de la poser dans des circonstances où, plus que jamais, les maladies dont on pouvait craindre qu’elles affectent le régime.

La dictature de l’opinion, telle que la craignait Platon, encore lui :

Chacun des individus voués à la recherche d'une rétribution que ces gens nomment des sophistes, et dont ils pensent qu'ils exercent un art concurrent du leur, n'enseigne en fait rien d'autre que ces opinions de la masse, celles qu'elle soutient lorsqu'elle se rassemble, et c'est cela qu'il nomme savoir. C'est exactement comme si on apprenait à connaître les emportements et les désirs d'un grand et fort animal que l'on élèverait : (…) et qu'ayant appris à connaître tout cela, à force d'être avec lui et d'y consacrer du temps, on l'appelait savoir, on l'organisait en système pour en faire un art, et on se mettait à l'enseigner, alors qu'en vérité on ne saurait rien de ce qui, dans ces avis et ces désirs, est beau ou laid, bon ou mauvais, juste ou injuste ; mais qu'on se mettait à donner des noms à tout cela en fonction des opinions du grand animal, appelant bon ce dont il se réjouirait, et mauvais ce dont il souffrirait [La République]

L’infantilisation des individus, telle que l’annonçait Tocqueville :

Au-dessus (des) individus s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. [De la Démocratie en Amérique]

Prisonniers de l’opinion, prisonniers de ceux qui font l’opinion, nos politiques n’ont pas le temps de réfléchir à cette question essentielle par laquelle Platon ouvre La République. Il leur faut satisfaire un électorat de plus en plus éclaté, ce qui les conduit à mécontenter tout le monde et à se livrer aux plus puissants.

Ce sont ces puissants qu’ils servent, parce que ces puissants les maintiennent au pouvoir. « Qui t’a fait roi ? », est venu demander Nicolas Gougain à son président le 21 novembre 2012, juste après que ce dernier avait osé évoquer la liberté de conscience des maires.

Le rapport difficile que les Français entretiennent avec la politique vient probablement du fait qu’ils pressentent que les politiques ne servent plus, ou pas assez, le bien commun. Asservis qu’ils sont à leurs propres intérêts ou aux intérêts de groupes particuliers : j’ai nommé à ma droite les intérêts financiers de ceux qui souhaitent tirer le profit maximum de toutes choses, la société dût-elle en périr, et à ma gauche les intérêts de ceux qui ont une revanche à prendre sur la société. Dans les deux cas, c’est encore le phantasme de l’individu consommateur, roi et laborieux, qui sert de fil rouge.


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