Fin de la Nouvelle-France (1689 – 1763)
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En ce XVIIIème siècle, la France et l'Angleterre veulent toutes deux avoir le contrôle les commerces lucratifs des fourrures, qui se situe dans la région des Grands Lacs et de la baie d'Hudson, et de la pêche qui elle, se trouve dans le golfe du Saint-Laurent et autour de Terre-Neuve. Ces rivalités rejaillissent évidemment sur leurs colonies que sont la Nouvelle-France et les Treize colonies. Aussi, les Treize colonies, en pleine expansion démographique et économique, désirent agrandir leur territoire vers l'ouest afin de s'installer sur les terres fertiles de l'Ohio. Or, la Nouvelle-France, qui occupe déjà ce territoire, constitue un frein majeur à ce désir d'expansion. C'est donc pour ces raisons que, dès le milieu des années 1680, les tensions montent entre la Nouvelle-France et les Treize colonies. De plus, les conflits qui se succèdent en Europe entre la France et l'Angleterre (la guerre de la ligue d'Augsbourg de 1688 à 1697, la guerre de succession d'Espagne de 1702 à 1713, la guerre de succession d'Autriche de 1744 à 1748 et la guerre de Sept Ans de 1756 à 1763), donnent lieu à une série presque ininterrompue d’affrontements, appelés Guerres Intercoloniales, entre les colons français de la Nouvelle-France et les colons anglais de la Nouvelle-Angleterre.
Première guerre intercoloniale (1689-1697)
En 1688, pendant que la guerre de la ligue d’Augsbourg éclate en Europe, et met au prise la France à la presque totalité de ses voisins, au Canada, le gouverneur Denonville envoi un émissaire en France, Louis-Hector de Callière (1648-1703), frère d’un secrétaire particulier du roi, pour demander des renforts de troupes et de vivres et pour proposer au roi un plan qui permettrait de mettre le pays à l’abri des attaques anglaises. En effet, depuis quelques mois, certaines colonies anglaises, principalement celle de New York, incitent les Cinq-Nations iroquoises à attaquer la Nouvelle-France. Le projet de Louis-Hector de Callière consiste donc à s’emparer de la colonie d’York et de ses deux principales places, New York et Albany, qui sont très mal défendues, afin d’obtenir une voie d’accès direct, par la vallée de l’Hudson, au cœur du Canada et d’avoir une tête de pont sur la mer libre des glaces toute l’année (contrairement au Saint-Laurent). Louis XIV se laisse convaincre et en confie l’exécution au comte de Frontenac, qui part remplacer Denonville au poste de gouverneur. Malheureusement, lorsqu’il arrive à Québec en octobre 1689, il trouve une colonie meurtrie et sous le choc du massacre de Lachine survenu le 5 août précédent, au cours duquel une troupe de 1 500 Iroquois s’est emparé de ce petit village situé au sud-ouest de l’île de Montréal, torturant et massacrant quelques dizaines d’habitants et emmenant en captivité quelques dizaines d’autres colons. Cette attaque marque le début de la première guerre intercoloniale (1689-1697), appelée par l'historiographie anglaise « King William's War, Second Indian War, Father Baudoin's War, Castin's War ». En représailles, et pour se prémunir contre le retour de la terreur iroquoise telle qu’elle avait sévi dans les années 1658-1660, Frontenac, bien que déjà âgé (il a plus de 70 ans), est un chef déterminé et offensif et met sur pieds plusieurs raids en direction de la Nouvelle Angleterre au cours de l’hivers 1689-1690. Le premier, parti en janvier 1690 de Montréal, prend et ravage Corlaer près d’Albany. Le second, parti des Trois-Rivières, fait subir en mars le même sort à Salmon Falls dans le New Hampshire. Le dernier, parti de Québec, saccage en mai Fort Loyal et Portland, dans le Maine. Ces attaques, menées par une poignée de miliciens et d’alliés indiens, font plusieurs centaines de morts, quelques dizaines de prisonniers et sèment la panique dans les colonies anglaises. Pour autant, avant même que le troisième raid français n’arrive à son terme, les autorités de Nouvelle Angleterre décident que la riposte sera portée contre l’Acadie. L’expédition est confiée au major général Sir William Phips (1651-1695), également gouverneur du Massachusetts qui, dès le 9 mai se trouve devant Port-Royal, la capitale de l’Acadie. La place, qui n’est défendue que par 60 à 70 hommes capitule presque immédiatement. Le fort de Chedabouctou, défendu par 14 hommes tombe aussi, de même que celui de Pentagouët. Fort de ces succès, Phips décide d’organiser une expédition de plus grande envergure en essayant de prendre en tenaille le Canada (Nouvelle-France) par une attaque simultanée terrestre et navale. Une colonne de fantassins, confiée au commandant John Schuyler et aidée par les Iroquois, est chargée de remonter le fleuve Hudson, de longer le lac Champlain et d’attaquer Montréal tandis que Phips, qui prend la tête de la flotte, doit se porter contre Québec en remontant le Saint-Laurent. L’expédition contre Montréal échoue sur les bords du lac Champlain, notamment à cause du manque d’approvisionnement et d’une discorde entre les chefs qui mine le moral des hommes. De plus, une épidémie de variole se déclare, frappant tout particulièrement les Iroquois qui n’ont pas développé la même immunité que les Anglais contre ce mal venu d’Europe. Une centaine en meurent : « ils étoient si effrayés de cette mortalité qu’ils se brouillèrent avec les Anglois qu’ils ne voyaient pas mourir comme leurs camarades ». De son côté, Phips assiège Québec et adresse un ultimatum à Frontenac qui le repousse avec énergie en prononçant les mots suivants à l’envoyé britannique : « Je ne vous ferai pas tant attendre. Non, je n'ai point de réponse à faire à votre général que par la bouche de mes canons et à coups de fusil ; qu'il apprenne que ce n'est pas de la sorte qu'on envoie sommer un homme comme moi ; qu'il fasse du mieux qu'il pourra de son côté, comme je ferai du mien. » Les Anglais tentent alors un débarquement à Beauport et bombardent Québec mais Frontenac, qui reçoit des renforts de Montréal, tient bon et après trois jours d’efforts infructueux les assaillants renoncent. Les Anglais, échaudés, chargeront dorénavant les iroquois d’attaquer les Français à leur place.
Figure 1 - Les canons de Québec tirant sur la flotte britannique
Le reste de cette guerre en Amérique est l'affaire de Pierre LeMoyne d'Iberville (1661 - 1706 ; navigateur, commerçant, militaire, corsaire et explorateur français) qui, entre 1692 et 1696, et malgré les raids réguliers des iroquois contre la colonie de la Nouvelle-France, chasse les Anglais de l'Acadie en détruisant le fort Pemaquid, saccage les installations de pêche des Anglais à Terre Neuve et expulse à deux reprises les Anglais de la baie d'Hudson.
Parallèlement, Frontenac poursuit l’exploration et l’expansion vers l’ouest, notamment dans le bassin du Mississipi, créant de nouveaux postes et nouant des contacts avec les Indiens des Prairies.
En 1697, la paix de Ryswick (ville hollandaise des faubourgs de La Haye) est signée entre la France et l’Angleterre, ce qui permet à la Nouvelle-France de souffler un peu. Comme en Europe, on revient plus ou moins à la situation d'avant la guerre car toutes les conquêtes d'Iberville sont en quelque sorte annulées néanmoins, la prédominance anglaise sur la Baie d’Hudson est acquise et la Nouvelle-France obtient la Baie James et recouvre Port Royal.
En 1701, Louis-Hector de Callière, successeur de Frontenac au poste de gouverneur (décédé le 28 novembre 1698), réussit le tour de force de réconcilier Iroquois et Algonquins, c’est la Grande Paix de Montréal. Ce traité, signé le 4 août 1701 entre la France et 39 nations amérindiennes, met fin aux guerres intermittentes du xviie siècle et marque un tournant dans les relations franco-amérindiennes.
Figure 2 - Copie du traité de paix de 1701
Deuxième guerre intercoloniale (1702-1713)
Cette paix sera de courte durée puisque la Guerre de Succession d’Espagne (1701-1713) éclate bientôt en Europe, entraînant en Amérique la Deuxième Guerre intercoloniale (ou Queen Anne's War dans l'historiographie britannique). Ce conflit oppose une nouvelle fois les colonies françaises et anglaises (puis britanniques car, en 1707, les royaumes d'Angleterre et d'Écosse s’unifient sous la forme du Royaume de Grande-Bretagne par l'intermédiaire de l'Acte d'Union) en Amérique du Nord pour le contrôle du continent, notamment aux extrémités nord et sud des colonies anglaises. Les alliés amérindiens des puissances européennes sont également impliqués dans les combats ainsi que l'Espagne alors alliée de la France.
Figure 3 - Colonies européennes en 1700
La guerre se déroule sur quatre fronts :
- Sur les terres de la Nouvelle-Espagne : la Floride espagnole et la Province anglaise de Caroline sont chacune sujettes à des attaques de l’autre camp et, bien que ce conflit s'apparente plus à une guerre par procuration, car la majorité des raids sont menés par les tribus amérindiennes, les Anglais n’hésitent pas à attaquer les Français basés à Mobile, mieux connu sous le nom de Fort Louis de la Louisiane. Les tribus Creeks, Chicachas et Yamasee armés et commandés par les Anglais dominent ce conflit aux dépens des Apalaches, des Timucua et des Choctaw qui seront presque tous éliminés en 1704 à la suite d’une série d’expédition menées par le gouverneur Moore. Pour autant, ce théâtre d'opérations n’entraîne pas de grands changements territoriaux.
- En Acadie : suite à des raids menés par les Français et leurs alliés amérindiens dans la Province de la baie du Massachusetts, dont le célèbre Raid sur Deerfield en 1704, qui ont fait des centaines de victimes et de prisonniers parmi les Anglais, les colons de la Nouvelle-Angleterre, incapable de s'opposer efficacement à la rapidité des attaques françaises, décident de lancer une expédition contre l’Acadie dès 1704. Pour autant, malgré les importants moyens déployés, ils ne parviennent à capturer Port Royal, capital de l’Acadie, qu’en septembre 1710, après une semaine de siège et forts de 3 600 soldats. Cela met fin au contrôle français sur la partie péninsulaire de l'Acadie même si la résistance continue jusqu'à la fin de la guerre.
- Au Canada : Francis Nicholson (1655–1727 ; officier militaire britannique et un administrateur colonial) et Samuel Vetch organisent une ambitieuse attaque en 1709 contre la Nouvelle-France avec le soutien financier et logistique de la reine Anne. Le plan implique un assaut terrestre sur Montréal via le lac Champlain et une attaque maritime contre Québec. L'expédition terrestre atteint le sud du Lac Champlain mais est rappelée car le soutien naval promis contre Québec n'est pas disponible puisque celui-ci est dérouté pour soutenir le Portugal. Cette première expédition est un échec mais, suite à son succès sur Port-Royal, Nicholson retourne en Angleterre pour demander une aide financière à la reine et une nouvelle offensive est lancée sur Québec en 1711. Au mois d’avril, l'amiral Hovenden Walker, à la tête d’une flotte de 15 navires de ligne et de transports, quitte Portsmouth avec 5300 soldats et 6000 marins. Après un rapide ravitaillement à Boston, il reprend la mer en direction de Québec en juillet en étant, cette fois-ci, à la tête d'une armée de plus de 12 000 hommes, répartis sur près de 90 navires. Dans la nuit du 22 au 23 août, la flotte arrive dans l'embouchure du fleuve Saint-Laurent mais, sous la pression d'une violente tempête, une partie de l'armada britannique se fracasse contre les récifs de l'île aux Œufs. Le naufrage faisant 900 victimes, Walker met fin à l'offensive militaire. Plus aucune expédition contre Québec ne sera tentée au cours de cette deuxième guerre.
- Sur l’île de Terre-Neuve (dont les côtes sont parsemées de petites communautés françaises et anglaises et dont les villes principales se situent à Plaisance, sur la côte occidentale de la péninsule d'Avalon pour les Français, et à Saint-Jean, dans la Baie de la Conception, pour les Anglais) : en août 1702, une flotte anglaise, sous le commandement du commodore John Leake (1656 – 1720 ; officier de marine et homme politique britannique), mène des raids sur les villes côtières mais n'attaque pas Plaisance. Durant l'hiver 1705, Daniel d'Auger de Subercase (1661 - 1732), gouverneur français de Plaisance, contre-attaque en menant une offensive combinée avec les Micmacs au cours de laquelle il détruit plusieurs campements anglais et tente, sans succès, de prendre le Fort Williams. Malgré cet échec, les Français et leurs alliés amérindiens continuent de harceler les Anglais tout au long de l'été, causant 188 000 £ de dégâts aux établissements anglais. En 1706, les Anglais répliquent et envoient une flotte chargée de détruire les avant-postes de pêche français sur la côte nord de l'île. En décembre 1708, une force combinée de Français, de Canadiens et de volontaires micmacs prennent St. John’s et tentent de capturer, sans succès, Ferryland, au sud de St. John's. A bout de ressources, les colons de Nouvelle-France abandonnent St John’s, laissant le champ libre aux Britanniques de réoccuper et de refortifier la ville. En somme, la plupart des opérations militaires sur ce front se réduisent à des raids de destruction des outils économiques de l'adversaire.
À la suite d'une paix provisoire en 1712, la Grande-Bretagne et la France signent un traité de paix définitif l’année suivante. La Nouvelle-France fait les frais de la déconfiture française en Europe car, d'après les termes du traité d'Utrecht de 1713, le Royaume-Uni obtient l'Acadie (qu'il renomme Nouvelle-Écosse), la souveraineté sur Terre-Neuve, la Baie d'Hudson et Saint-Christophe dans les Antilles. De plus, la France reconnait la suzeraineté britannique sur les Iroquois, et accepte que le commerce avec les Amérindiens de l'intérieur des terres soit ouvert à toutes les nations. Elle conserve cependant toutes les îles du Golfe du Saint-Laurent dont l'Île du Cap-Breton, les zones de pêche de la région et le droit de sécher le poisson sur la côte nord-ouest de Terre-Neuve. Pour autant, certains termes du traité sont ambigus et les revendications de nombreuses tribus amérindiennes ne sont pas incluses dans le traité, ce qui laisse présager de futurs conflits.
Figure 4 - Les répartitions coloniales après le traité d'Utrecht
Les conséquences de ce traité sont catastrophiques pour la Nouvelle-France car ces pertes de territoires signifient aussi la perte du plus gros réservoir de fourrures, d’une partie des territoires de pêche, ainsi que la perte de 5 000 colons en Acadie. De plus, l’accès aux territoires de la Nouvelle-France se trouve menacé puisque l’entrée du golfe du St-Laurent est encerclé par les territoires nouvellement acquis par la Nouvelle-Angleterre, cela signifiant un risque de coupure des voies de communications avec la France.
La paix de trente ans
Après ces revers dramatiques, la colonie française qui a alors une population d'à peine 18 000 personnes, est dans un piètre état mais heureusement, et pour la première fois de son histoire, la Nouvelle-France va connaître une paix qui va durer une trentaine d’année. Les colons canadiens, qui vont travailler avec ardeur, vont mettre à profit cette période pour développer la colonie. D’un point de vue démographique, elle connaît une forte croissance car, la population, très religieuse, s'agrandit rapidement notamment grâce à un extraordinaire taux de natalité (7,8 enfants par femme) et parce l’immigration est abondante. La population du Canada passe de moins 20 000 habitants en 1713, à environ 40 000 en 1740.
Figure 5 - Evolution de la population
Par ailleurs, les intendants Michel Bégon de la Picardière (1667 - 1747 ; intendant de la Nouvelle-France de 1710 à 1726), Claude-Thomas Dupuy (1678 - 1738 ; homme politique français et Intendant de la Nouvelle-France de 1726 à 1728) et Gilles Hocquart (1694 – 1783 ; intendant de la Nouvelle-France de 1729 à 1748) se succèdent et, grâce à leurs initiatives, l'économie de la colonie est prospère. Par exemple, Michel Bégon, qui doit relancer l’économie après des décennies de guerre, décide de favoriser la culture du chanvre, libère le commerce de la traite du castor, et inaugure le premier réseau de distribution du courrier et de transport public de la colonie. Gilles Hocquard, quant à lui, inaugure en 1735 le chemin du Roy, une route permettant de rallier Québec à Montréal en quatre heures. Il est aussi à l’origine de la construction des forges du St-Maurice et continue l’exploration du continent nord-américain : il envoie le Sieur " De La Vérendrye " vers l'Ouest et celui-ci ira jusqu'à 1500 kilomètre de l'océan Pacifique mais s’arrêtera là, ignorant qu’il était si proche d’avoir traversé le continent d’Est en Ouest. Pendant cette période, partout on couvre les habitants de la Nouvelle-France d'éloges, les nombreux visiteurs écrivent des compliments sur la colonie, affirmant que la langue française y est excellente, que les habitants sont agiles et vigoureux, et qu'il ne manque rien pour former une société agréable.
Enfin, pendant ces trente années, la France s’emploie à renforcer ses positions sur son territoire. En effet, par crainte d'être à nouveau attaqué, et parce qu’elle est nettement en retard sur la Nouvelle-Angleterre sur le plan militaire, de multiples fortifications sont entreprises à Québec et à Montréal. De plus, de nombreux forts stratégique sont construits sur les rives des Grands-Lacs, du Richelieu et du Saint-Laurent, comme la forteresse « imprenable » de Louisbourg (vers 1717-1719), sur l'île Royale (île du Cap Breton), qui permet de maintenir une position à l'entrée du fleuve et d’assurer une présence française en Acadie.
Troisième guerre intercoloniale (1744-1748)
Malgré cette paix relative, la rivalité est toujours aussi vive entre les colonies anglaises et françaises. En effet, la fourrure et la pêche sont toujours des enjeux du conflit, mais un nouveau vient s'y ajouter : le territoire à l'ouest des Appalaches, la Vallée de l'Ohio. Les colonies anglaises du littoral atlantique considèrent cet espace comme un prolongement naturel de leur territoire tandis que les Français ne veulent pas sacrifier la route par laquelle ils passent pour se rendre dans la lointaine Louisiane, leur possession du golfe du Mexique. Ainsi, lorsque la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748) éclate en Europe, la troisième guerre intercoloniale américaine (dite King George's War en anglais) ne tarde pas à se déclarer entre les colonies britanniques et françaises d'Amérique du Nord.
La Nouvelle-France profite de ce conflit pour tenter de reconquérir l’Acadie mais, n’ayant pas les moyens de lancer des attaques d'envergure, elle se contente de petites attaques sur des villages de la Nouvelle-Angleterre. Pour leur part, les habitants de Boston veulent absolument se débarrasser de la présence gênante de Louisbourg c’est pourquoi ils organisent, en 1745, le siège de la forteresse qui doit capituler après un peu plus de 40 jours, à la grande stupéfaction des Français qui l'avaient pourtant qualifiée d'imprenable. Cependant, la rumeur dit que les troupes chargées de défendre Louisbourg étaient dans un piètre état à cause de fraudes commerciales fomentées par l’intendant François Bigot et son complice Louis Chambon de Vergor. La France tente de reprendre sa place forte en 1746 mais c'est un échec complet puisque les Acadiens, restés fidèles à leur serment de neutralité, n’ont pas souhaité apporter leur aide.
Figure 6 - L'Acadie en 1743
A la fin du conflit, le traité d'Aix-la-Chapelle de 1748 décide de revenir à la situation d'avant-guerre avec la restitution générale des conquêtes. Ainsi, la France récupère Louisbourg, ce qui lui permet d'assurer une présence dans le golfe du Saint-Laurent. De plus, le traité lui attribue l’Île Saint-Jean (ou Île-du-Prince-Edouard) et l’Île Royale. Ce retour au statu quo ante mécontente les Anglo-Américains, qui considèrent que cette paix est favorable à la France.
La lutte pour le contrôle des grands espaces de l’Ouest américain devient un enjeu essentiel pour les deux camps car les colonies anglaises, densément peuplées (environ 2 millions d’habitants vers 1750), ont besoin de nouvelles terres pour établir les nouveaux arrivants c’est pourquoi elles font pression sur la Grande-Bretagne pour qu’elle permette l’expansion vers l’Ouest, sur les terres de l'Ohio. De leur côté, les Français, qui occupent déjà ce vaste territoire mais qu’ils ont peu peuplé (entre 60 et 70 000 habitants), souhaitent conserver ces terres car ils y pratiquent la traite des fourrures. De plus, les Britanniques considèrent que la puissante forteresse de Louisbourg permet aux marchands français de s'enrichir, empêchant, de fait, les colonies de Nouvelle-Angleterre de se développer. C'est pourquoi, dès le 9 juillet 1749, pour surveiller Louisbourg et avoir un port où faire hiverner ses escadres, Londres décide d’établir 3 000 colons protestants dans la baie de Chibouctou et y fonde le port d’Halifax. Le général Cornwallis (1713 - 1776) s’y installe en tant que gouverneur de la Nouvelle-Ecosse. Cette même année, les Anglo-Américains décident de s’emparer de l’Ohio à partir de la Virginie, ils créent la Compagnie de l’Ohio, dotée d’une charte royale, dont le but est la répartition et la mise en valeur de 500 000 acres de terres « vierges », c'est-à-dire prises aux Indiens, et commencent à commercer avec les Amérindiens de la région.
La guerre de conquête (1754 – 1763)
En 1754, débute une guerre de l’autre côté de l’Atlantique, entre les Français, leurs milices de la Nouvelle-France et leurs alliés amérindiens d'un côté, et les Britanniques, leurs milices américaines et leurs alliés iroquois de l'autre, pour la domination coloniale de l'Amérique du Nord. Celle-ci, appelée « Guerre de conquête » en France et fréquemment désignée aux Etats-Unis sous l’appellation French and Indian War (« guerre contre les Français et les Indiens »), s'inscrit dans le contexte plus large de la guerre de Sept Ans, qui se déroule de 1756 à 1763, au cours de laquelle le royaume de France et le royaume de Grande-Bretagne s'affrontent, ainsi que leurs alliés, non seulement en Europe, mais sur l'océan Atlantique, en Afrique occidentale et aux Indes.
Le conflit commence quand, le 28 mai 1754, le jeune lieutenant-colonel George Washington (1732 - 1799), seulement âgé de 22 ans, est envoyé avec 120 miliciens au Fort Duquesne (aujourd'hui devenu Pittsburg) par le Gouverneur de la Virginie pour sommer les Français d'évacuer la vallée de l'Ohio. En réponse, les Français envoient un jeune officier, Joseph Coulon de Villiers De Jumonville (1718 – 1754), avec une escorte de 34 hommes, pour gentiment rappeler à Washington qu'il est en territoire français. Mais, sans avertissement, et alors que De Jumonville est en train de faire la lecture de la mise en demeure officielle, Washington ordonne qu'on ouvre le feu sur les Français. Dix Canadiens et De Jumonville sont tués, les rescapés sont fait prisonniers et les cadavres scalpés des victimes sont abandonnés aux loups par les Britanniques. Outragés de ce crime, 600 soldats français et miliciens canadiens, sous les ordres du capitaine Louis Coulon De Villiers (1710 - 1757 ; demi-frère de Joseph), attaquent Washington au fort Nécessité quelques semaines plus tard. Sous la pression, Washington capitule et reconnait l'assassinat de l'officier De Jumonville avant de battre en retraite.
L’année suivante commence la déportation des Acadiens (alors environ 17 000 en 1754, dont 13 000 en Nouvelle-Écosse, les autres étant installés à Cap Breton, sur l’île Saint-Jean et dans le Nouveau-Brunswick), passés sous giron britannique en 1713, comme prévu par le traité d’Utrecht. En effet, bien qu’ils soient restés neutres pendant la guerre de Succession d’Autriche, malgré les sollicitations canadiennes, les gouverneurs anglais redoutent qu’ils puissent être déloyaux en cas de nouveau conflit c’est pourquoi, lorsqu’ils se soulèvent en juin 1755 contre la couronne britannique en refusant de prêter allégeance au roi, le gouverneur Charles Lawrence décide la déportation de 8 000 d’entre eux qu’il accuse de faire du renseignement pour les autorités de Louisbourg et de pousser les Indiens Micmacs et Abénaquis à attaquer les établissements anglais. Par ailleurs, avec la chute des fort Beauséjour et Gaspareaux, c’est sur l’Acadie restée française que déborde l’opération de nettoyage ethnique. Ainsi, en juillet, le conseil d’Halifax décide de déporter les 6 000 Acadiens qui restaient sous tutelle britannique.
Figure 7 - Conseil d'Halifax
L’année 1756 marque le début officiel de la guerre de Sept Ans en Europe mais c’est aussi cette année-là que sont envoyés des renforts français au Canada. En effet, Louis-Joseph de Montcalm-Gozon, marquis de Montcalm (1712-1759), natif de Nîmes, arrive au Québec avec 3000 hommes, pour commander les troupes françaises. Ses premières campagnes contre les Britanniques sont couronnées de succès puisqu’il accroît les défenses du fort édifié sur le lac Champlain, il capture et détruit le fort Oswego et, sur ordre du gouverneur Pierre de Rigaud de Vaudreuil de Cavagnial (1698-1778), il attaque et triomphe au fort William Henry en 1757. Il remporte encore une victoire inespérée au fort Carillon en 1758 grâce à la mise en place d’un abattis extrêmement dense devant les positions défensives de ses 3 600 hommes (dont beaucoup de Canadiens et d’Indiens) que l’armée britannique, pourtant forte de 16 000 hommes, ne parviendra pas à franchir. Ainsi, après avoir perdu 2 600 hommes, les Britanniques battent en retraite. Pour autant, l’année 1758 marque un tournant dans le conflit puisque l'Angleterre, déterminée à gagner la guerre, envoie d'autres renforts alors que la France, pour sa part, préfère garder ses hommes en métropole. C'est ainsi qu'en 1759, les anglais comptent 26 740 hommes (26 080 soldats et 660 combattants américains et iroquois) alors que les Français en compte 15 670 (4 060 soldats et 11 610 Canadiens et Amérindiens). C'est pourquoi, les forts Frontenac, Duquesne, ainsi que la puissante forteresse de Louisbourg (qui représente un enjeu stratégique car cette position assure le contrôle de l’accès au fleuve Saint-Laurent) tombent aux mains des Anglais en 1758 et, en juillet 1759, c’est au tour du fort Niagara de tomber aux mains de la Grande-Bretagne. Pendant ce temps, au nord-est, la ville de Québec subit le siège des troupes du major-général James Wolfe (1727 - 1759). En effet, depuis le 26 juin 1759, l’impressionnante la flotte anglaise (environ 200 embarcations et 2000 canons) est dans le port de Québec et, ne parvenant pas à trouver un lieu propice pour débarquer puisque la capitale de la Nouvelle-France est protégée par une grande falaise de plusieurs kilomètres, elle bombarde la ville jour et nuit pendant tout l’été. On évalue à 15 000 le nombre de bombes lancées contre Québec et, tout au long de cet interminable et pénible affrontement, Montcalm adopte une stratégie purement défensive et ne prend aucune initiative contre l'ennemi.
L’opération est conduite avec une grande brutalité par le colonel Monkton (1726 - 1782 ; officier de l'armée britannique et administrateur colonial en Amérique du Nord britannique), qui parcourt le pays pour détruire les villages, les églises et rassembler les populations avant leur transfert. Les Acadiens sont entassés dans des bateaux et envoyés vers le sud (dans le Massachusetts, au Connecticut, au Maryland…), dans des Etats où ils sont mal accueillis voire refoulés et conduits à errer sans asile, ou bien ils sont transférés en Angleterre, où on les traite en prisonniers de guerre. Plusieurs milliers parviennent néanmoins à revenir en France, notamment à Belle-Ile ou dans le Poitou, d’autres se rendent en Louisiane ou aux Antilles ; d’autres encore atterrissent aux Malouines puis en Amérique du Sud. Beaucoup se réfugient aussi au Nouveau Brunswick et on estime qu’environ 20% de la population de l’Acadie réussit à s’enfuir au Québec. Ceux dont la présence demeure tolérée en territoire britannique sont condamnés à vivre en parias, à l’écart, sur les terres les moins fertiles, en évitant tout regroupement jugé trop important par les autorités, sous peine de travaux forcés. D’après des historiens américains, ce nettoyage ethnique, qualifié de Grand Dérangement, entraîne la mort de 7500 à 9000 personnes.
Figure 8 - Prise de Québec
Dans la nuit du 12 au 13 septembre, sur les recommandations d’un avocat Québécois, nommé François-Joseph Cugnet, le général Wolfe ordonne à ses troupes de débarquer à l'Anse au Foulons car l’endroit, situé à la base d’une falaise de 53 mètres, est peu défendu de par son accès géographique difficile. Ainsi, les soldats gravissent la falaise un à un sur un petit sentier, réussissent à déjouer l'armée française, et se mettent en formations sur les plaines d'Abraham. Au matin du 13 septembre, le lieutenant-général Louis-Joseph de Montcalm n’a pas d’autre choix que de lancer ses troupes à l’attaque, bien que celles-ci ne soient pas préparées à combattre. Ainsi, après à peine 30 minutes de combat, alors que les deux généraux sont mortellement blessés, les Français, vaincus, battent en retraite et fuient vers Québec. Les Anglais, n’ont plus qu’à attendre la reddition de leurs ennemis, ce qui sera chose faite cinq jours plus tard. Dès lors, les quinze mille habitants répartis entre Québec et Gaspé, vivant dans une ville et cinquante-neuf villages, paroisses et seigneuries, deviennent sujets de la couronne d'Angleterre. Cette journée est une date marquante puisqu’elle va changer le cours de l’histoire du continent nord-américain.
L’année suivante, sous les ordres du chevalier de Lévis (1719 - 1787), fraîchement arrivé de Montréal, les Français lancent une contre-offensive et remportent la victoire de Sainte-Foy. Cette fois, ce sont les Anglais qui se retranchent derrière les remparts de Québec mais ils résistent jusqu’à l’arrivée de leur flotte, ce qui contraint Lévis à lever le siège et à se replier sur Montréal. La France n'a envoyé aucun renfort et les Canadiens, abandonnés et trahis, refusent de prendre les armes. Les Britanniques remportent à leur tour la bataille navale de la Ristigouche et s'emparent des derniers forts de la vallée du Richelieu.
Figure 9 - Bataille de Sainte-Foy
Fin de la Nouvelle-France
Le 8 septembre 1760, le gouverneur de la Nouvelle-France, Pierre de Rigault de Vaudreuil de Cavagnial, négocie la reddition de Montréal avec le major-général Jeffrey Amherst (1717 – 1797), entraînant la capitulation de la colonie. La Nouvelle-France passe sous contrôle britannique, hormis la Louisiane qui reste temporairement française. Les vainqueurs garantissent les droits civils et religieux aux Canadiens en plus de reconnaître leurs propriétés.
Durant les trois années qui suivent, le sort de la Nouvelle-France est en suspens puisque le conflit perdure en Europe. En 1763, la signature du traité de Paris confirme que la colonie est désormais une possession britannique. Les Français cèdent définitivement leur territoire en Amérique du Nord, à l'exception des îles Saint-Pierre et Miquelon. Les habitants de la Nouvelle-France deviennent alors des sujets britanniques. Ils ont le choix de retourner en France ou de demeurer au Canada. La plupart des élites quittent le pays et rentrent en France. Ceux qui restent doivent prêter allégeance au roi d'Angleterre, mais ils conservent leurs terres et le droit de pratiquer leur religion. Commence alors l’idéologie de la survivance, basée sur le maintien de la langue, de la religion catholique et de l’exaltation du passé. La Révolution française de 1789 introduit une distance supplémentaire car elle rend insurmontables les divergences avec la France du fait de l’influence de l’Eglise catholique dans la société canadienne-française et des orientations nouvelles de la politique française.