L’arrogance des clercs dans le monde occidental 2/2
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L’arrogance des clercs dans le monde occidental 2/2
Gouvernée par la tyrannie de ses sentiments, l’obligée de Bernard-Henri Lévy Christine Angot[1], lisant l’autre jour un de ses textes face à François Fillon, est symptomatique de l’état des intelligences aujourd’hui.
Malgré le discours incohérent véhiculé par la militante LGBT, on trouvera un Jean-Michel Apathie, un des « collaborateurs » des média mainstream, pour déclarer : « Sur le plateau de France 2, l'écrivaine était parfaitement dans son rôle et, avec elle, nous avons assisté à un grand moment de télévision. »
En février dernier, Christine Angot avait exhorté le président François Hollande à se représenter à l’élection présidentielle, puisque celui-ci, dans les situations exceptionnelles, avait « toujours été à la hauteur »…
On attribue à Confucius cette réflexion : « Si j’étais chargé de gouverner, je commencerais par rétablir le sens des mots ». Quelle image de la politique ces « superbes » donnent-ils à la jeunesse française ? Ne vivons-nous pas une séquence historique de triomphe de la sophistique ?
Une responsabilité écrasante
La responsabilité de ces arrogants est notoire mais gommée par l’argument d’autorité. Si l’on veut aller au fond des choses, leur péché d’intellectualisme est de nier l’induction du réel au profit de déductions dans l’imagination. Saint Thomas d’Aquin, si toutefois cet auteur est encore considéré comme une référence dans l’église catholique, dans le De Trinitate de Boèce, manifeste l’existence d’un péché intellectuel qui consiste à confondre les matières et les modes d’argumentation, même en matières spéculatives. Ce péché spéculatif, et donc originel puisque l’homme prend pour guide de ses actes sa propre raison, trouve son initiateur récent chez Descartes bien qu’on puisse en identifier les racines chez Guillaume d’Occam. La réduction de la scientificité d’un raisonnement à son seul caractère déductif est une catastrophe globale de la réflexion humaine.
C’est la fin d’une définition de la loi naturelle. C’est la porte ouverte à la confusion et ses corollaires le subjectivisme et le relativisme. L’inversion de la valeur des choses et de la valeur des hommes n’est plus discutable rationnellement. Comme le remarquait Léo Strauss[2], c’est le jugement de valeur lui-même qui est devenu impossible.
La perte du sens des choses aboutit à la négation de Dieu, de sa Révélation, qui n’est rien d’autre que le dévoilement d’une certaine définition. Cette errance engendre à son tour un désir d’idolâtrie, tellement manifeste de nos jours. Et donc une certaine forme d’esclavage avilissant.
L’intelligence est en l’homme sa faculté la plus haute et la plus profonde : les péchés intellectuels seront ainsi les plus graves car les plus déshumanisants[3]. Peut-être peut-on ainsi comprendre cette affirmation de Jésus face aux Pharisiens : « Les prostituées vous précèderont dans le royaume des cieux » (Matthieu, 21, 31).
Ceux qui ont mission d’enseigner[4] doivent éclairer les moins doués, à moins de les attirer dans l’erreur, d’abord intellectuelle, puis morale. Autrement dit à moins de les livrer aux prédateurs. Quia parvus error in principio, magnus est in fine, la sagesse élémentaire nous prévient que des errances spéculatives engendrent les actes pervers.
La Bible ne cesse de dénoncer « les faux prophètes », les loups en vêtement de brebis. Saint Paul nous en donne les traits principaux : indépendance suffisante, absence d’écoute de l’autre qui va de pair avec une indocilité coupable, obstination dans l’incapacité de se remettre en cause. Car on ne peut convaincre un intellectuel confiant en son « génie » validé par une renommée et des institutions. On lia cette phrase surprenante dans les Evangiles : « même si un de chez les morts se levaient, ils ne seront pas convaincus » (Luc, XVI, 31). En des termes plus actuels, nous aurons constaté : narcissisme orgueilleux, désir de pouvoir, champ de conscience finalement limité, immaturité[5]. Car autant des êtres encore mineurs sont instables, ballotés par des vents de doctrine, séduits par le relativisme, autant le jugement adulte, chrétien ou non, formé selon le mode, la doctrine et les principes de la philosophie réaliste demeure ferme dans ses convictions tout au long de sa vie.
Aussi étonnant que cela puisse paraître aux hommes et femmes de bonne volonté, ces clercs détournent leurs oreilles de la vérité, résistent aux arguments et finissent bouffis de vanité et d’ambitions terrestres, sans cesse à se soucier de « se faire un nom » (Genèse, XI, 4) en se prostituant[6] aux institutions établies pour asseoir leur autorité. Réussite récurrente dans l’histoire. « Je ne crains pas le suffrage universel : les gens voteront comme on leur dira » disait Alexis de Tocqueville[7].
Leur arrivisme les porte à prétendre parvenir à un haut savoir, à manigancer pour occuper les postes d’enseignement, selon les critères de respectabilités du moment, bien qu’ils ignorent la vraie culture, philosophique, source de vraie sagesse. Pour les catholiques, se poser comme spécialiste des choses de l’esprit n’est-il pas éloigner de l’Evangile du Christ ? Quand on pense à la superbe des exégètes… On peut passer des années en étude dialectique continuelle sans progresser dans la sagesse authentique : c’est une question de formation première, d’habitus premiers.
Au moment où nous écrivons ces lignes, il nous revient une citation d’Aristote rencontrée lors de nos études :
« La raison qui empêche d’embrasser aussi bien l’ensemble des concordances, c’est l’insuffisance de l’expérience. C’est pourquoi ceux qui vivent dans une intimité[8] plus grande des phénomènes de la nature, sont aussi plus capables de poser des principes fondamentaux, tels qu’ils permettent un vaste enchaînement. Par contre, ceux que l’abus des raisonnements dialectiques a détournés de l’observation des faits, ne disposant que d’un petit nombre de constatations, se prononcent trop facilement » (De la Génération et de la Corruption, I, 2, 316 a 5-10).
Vieille histoire. On serait indulgent envers les savants qui enquêtent et qui parfois tâtonnent et se trompent, parcours classique des chercheurs de vérité. Mais ces intellectuels propagent leurs thèses en affirmant des suppositions personnelles sur le mode de la certitude dans des collections dites « scientifiques » qui leur valent une reconnaissance dans leur microcosme élitiste. « Ne suis-je pas le bien que je recherche ?[9] »
L’âme noble, et disons-le, pure, peut-elle supporter silencieusement une telle imposture ?
Thomas d’Aquin a une métaphore significative : inviter au scepticisme alors que la raison peut conclure avec certitude (selon des degrés) est malhonnête : « Tel est le faux docteur ou le faux prophète, car c’est la même chose de susciter un doute sans le résoudre que de le prendre à son compte » (Sermon, juillet 1270, Université de Paris). Abandonner l’être humain entre deux thèses contradictoires, c’est non seulement l’enfermer dans le « double lien » mais le pousser au scepticisme.
Thomas d’Aquin prend une image :
« Si un homme creuse un puits ou découvre une citerne sans les recouvrir, et qu’il y tombe un bœuf ou un âne, le responsable de la citerne est tenu d’indemniser le propriétaire de la bête tuée. Or, celui-là découvre une citerne qui suscite une doute dans des matières [pourtant certaines]. Il ne recouvre pas la citerne s’il ne résoud pas le doute, même s’il garde, quant à lui, l’esprit sain et clair et ne tombe pas dans l’erreur. L’auditeur, en effet, qui n’a pas son esprit clair, sera bel et bien trompé. En conséquence, le professeur qui a suscité un doute est tenu à restitution, car c’est par sa faute que l’autre est tombé dans le piège » (Idem : Edit. P. Uccelli, S. Thomae Aquinatis et S. Bonaventurae Sermones Anecdoti, Modène, 1879, p. 71).
L’élitisme de la sagesse en question
Le salut ne peut pas venir des intellectuels dialecticiens qui errent loin de la voie d’accès aux concepts réalistes, remplis du réel, mais restent cantonnées dans des concepts vides de sens. Etre intellectuel ne fait pas de vous un intelligent : c’était la critique d’Aristote envers les platoniciens.
Mais le salut viendra toujours d’une doctrine, d’une connaissance : car, pour les catholiques, même la foi opère par la raison. « La foi est en quelque sorte un exercice de la pensée » (Jean-Paul II : Foi et Raison, n° 43).
Au niveau rationnel et naturel, il existe une certaine autonomie de la raison individuelle : la vérité touche ceux qui, depuis leur âge de raison, recherchent par-dessus tout la vérité objective. Autrement dit ceux qui ont dépassé leur narcissisme primaire dans une maturité normale.
Mais quand les intellectuels redeviennent des gnostiques[10], ils perdent leur statut d’éveilleurs de conscience et deviennent des parasites ou des profiteurs. C’est là un trait psychologique que chacun pourra vérifier actuellement. Cette trahison des clercs, qui détruit la définition du mode de la nature, de la sagesse réaliste, n’apparait-elle pas quelque peu diabolique ?
L’hypertrophie mathématique
La dictature « mathématiciste » que subissent tous ceux qui évoluent dans les formations intellectuelles occidentales entretient un orgueil intellectuel ennemi de la sagesse pourtant véhiculée par la culture européenne helléno-chrétienne. Le résultat de de ces abstractions néo-cabbalistiques est devant nos yeux : conséquences intellectuelles, morales, sociales, économiques, spirituelles.
Il faut savoir ce qu’est ce mode pour comprendre nos problèmes actuels. C’est une machine de guerre contre le réalisme de la raison, au service de l’idéologie libérale-libertaire d’inspiration anglo-saxonne. Nous avons eu l’occasion de le rappeler dans un article précédent : l’induction[11] est l’opération fondamentale de l’intelligence humaine et le mode mathématique n’est pas le seul critère de la scientificité. Aristote avait distingué comme trois strates du réel qui vont commander trois modes spéculatifs : philosophie de la nature, mathématique et métaphysique. En mathématique, je définis des êtres dont l’existence dépend de la matière sensible mais pas leurs définitions. On habitue ainsi l’élite intellectuelle à jongler avec des symboles abstraits qui ne veulent rien signifier dans la vie concrète.
Aristote se plaignait déjà, en son temps, de ce qu’on pourrait à bon droit parler d’arrogance mathématique : « Les mathématiques sont devenues, de nos jours, toute la philosophie…. » (Métaphysique, 992a 25). C’est d’autant plus grave que ces mathématiques « ne s’occupent d’aucune essence » (Métaphysique, 1073b 7). C’est la raison pour laquelle Bertrand Russell reconnaissait que « les mathématiques sont une science où on ne sait pas de quoi on parle ni si ce qu’on dit est vrai »
Le mode déductif rapide encouragé par Descartes n’est critère d’intelligence ni pour Aristote, ni pour son commentateur saint Thomas… En effet, dans un passage fameux du Commentaire de la Métaphysique (In Metaphysicorum, Liber I, Lect. 5, n° 334), saint Thomas explicite ce qu’Aristote nomme les cinq vices intellectuels habituels chez les hommes (Métaphysique, 985a 5-15). « Il dit que certains n'admettent ce qu'on leur dit que si on leur communique selon la méthode mathématique. Cela provient de la coutume chez ceux qui ont été nourris de mathématiques. Et parce que la coutume est semblable à la nature, cela peut provenir chez quelques-uns d'une indisposition »… Et nous arrêterons là pour ne pas paraître trop injurieux.
Les mathématiques : c’est le règne de l’imagination, du formalisme, de l’apriorisme. Du mode hypthético-déductif rapide qui entretient une dialectique stérile qui se résoud rien en opposant les thèses de façon binaire (vrai/faux).
De nos jours, tout un travail salutaire de sortie de la féminisation des psychologies est à opérer. La réforme intellectuelle qui vient consistera à retrouver la virilité de l’intelligible et le courage des énoncés réalistes aujourd’hui devenus insupportables à nos contemporains.
Cette hypertrophie des mathématiques empêche en effet la redécouverte des orientations intelligibles de la loi naturelle. Aristote dénonçait cette vision statique des choses qui découpe le réel en compartiments étanches, mode de procéder des platoniciens. On perd la définition dynamique vers une finalité puisque l’habitus mathématique engendre une lecture figée de la réalité. La survalorisation des filières d’ingénieurie est actuellement la preuve scolaire et sociale d’un aveuglement général sur ces questions.
On assiste à un formidable déclin de l’intelligence humaine, à la disparition de la sagesse et par conséquent à un assujettissement global de l’humanité aux autorités établies. L’humanité occidentale ne semble-t-elle pas devenue inapte à la citoyenneté authentique tant elle se trouve contrainte d’évoluer dans ce que Tocqueville nommait « le trouble de penser et la peine de vivre » ? Comment en effet participer à la vie politique si toute idée générale est discréditée par le relativisme ?
Remettre la philosophie à sa place et les mathématiques à la leur. Ce serait déjà un début de ré-humanisation[12]. On retrouverait peut-être les vérités des anciens qui faisaient de la politique un prolongement de l’éthique. On redécouvrirait peut-être les connexions entre les mouvements spéculatifs et les mouvements pratiques. Peut-être…
En attendant, nous ferons le même constat que Thomas More, authentique humaniste :
« Quand je reconsidère ou que j'observe les États aujourd'hui florissants, je n'y vois, Dieu me pardonne, qu'une sorte de conspiration des riches pour soigner leurs intérêts personnels sous couleur de gérer l'État. Il n'est pas de moyen, pas de machination qu'ils n'inventent pour conserver d'abord et mettre en sûreté ce qu'ils ont acquis par leurs vilains procédés, et ensuite pour user et abuser de la peine des pauvres en la payant le moins possible. Dès que les riches ont une fois décidé de faire adopter ces pratiques par l'État -- qui comprend les pauvres aussi bien qu'eux-mêmes -- elles prennent du coup force de loi. Ces hommes détestables, avec leur insatiable avidité, se sont partagé ce qui devait suffire à tous ; combien cependant ils sont loin de la félicité dont jouissent les Utopiens ! »
Thomas MORE, L’Utopie.
[1] Auteur de l’Inceste en 1999 (50 000 exemplaires) qui décrit dans le détail les viols qu’elle a subi par son père. En 2012, elle obtient le prix Sade pour Une semaine de vacances.
[2] Léo Strauss comparait les sociologues positivistes à « Néron jouant de la lyre alors que Rome brûle ».
[3] Saint Thomas cite ainsi saint Grégoire Le Grand (Lib. 33, Moral. Cap. 11) dans la Somme Théologique Question CL, article 3 : « Vitia spiritualia sunt majora quam carnalia ».
[4] Nous rappelons que c’est la première mission de l’évêque. A moins de propager le fidéisme, les évêques doivent combattre avec toute leur énergie et leur charisme surnaturel les idéologies qui entretiennent la culture de mort jadis dénoncée par Jean-Paul II.
[5] « On pense à juste titre qu’une personne a atteint l’âge adulte quand elle peut discerner, par ses propres moyens, ce qui est vrai de ce qui est faux, en se formant un jugement sur la réalité objective des choses. ». Jean-Paul II, Fides et Ratio, n° 25.
[6]Osée est le premier prophète à exploiter le thème de la prostitution pour dénoncer l’infidélité d’Israël. Sa vie personnelle incarne d’ailleurs le symbole de l’histoire de la relation entre Dieu et le peuple élu : sur l’ordre du Seigneur, il épouse une prostituée et il exprime toute sa souffrance d’être trompé, comme Dieu par Israël. Le terme « prostitution » prend aussi une signification symbolique : quand il est infidèle à l’alliance, le peuple se prostitue, dit la Bible. Le terme conserve sa portée concernant le « nouvel Israël de Dieu » qu’est le catholicisme.
[7] « L'individualisme est un sentiment réfléchi qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables de telle sorte que, après s'être créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même ». De la Démocratie en Amérique, II.
[8] Une familiarité avec le réel par induction.
[9] Exclamation de Narcisse dans les Métamorphoses d’Ovide.
[10] Forme d’ésotérisme qui traverse l’histoire des idées, caractérisée par un symbolisme outrancier et un élitisme méprisant le plus grand nombre.
[11] Expérience répétée, mode de connaître naturel rappelé par Socrate, accessible au plus grand nombre. Nos inductions du réel nourrissent notre intelligence en libérant sa puissance de connaître. Mais notre faculté intellective demeure inerte en présence d’un intelligible si aucun mouvement ne vient dynamiser sa potentialité. Si on n’accompagne pas l’intelligence par une pédagogie réaliste, elle meurt par manque de nourriture propre. Mais cette dégénérescence est dans un premier temps inodore, incolore, sans saveur. Dans un premier temps…
[12] Pour les catholiques, nous rappelons au passage que les contenus de programme de l’enseignement catholique sont décidés par l’état qui détient, malgré des assouplissements secondaires, le monopole de la délivrance des diplômes en France. La formation des enseignants est la même : positivisme naturaliste sur fond de scepticisme et de relativisme. Nous rappelons que l’immense majorité des français passe par l’instruction étatique. Il faudra attendre la venue de l’Esprit Saint pour que soit restaurée la fidélité au magistère, mais je doute que le fidéisme surnaturaliste (providentialiste) du catholicisme actuel puisse collaborer à cette œuvre puisque cette posture n’est pas la collaboration qu’attend le gouvernement divin dont la grâce agit en suivant le mode de la nature.