« Service de la dette » et catholicisme : Jusqu’à quand l’imposture ? (4)
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Rappel des épisodes précédents :
EGLISE CATHOLIQUE ET USURE
I La tradition scripturaire
II Les Prophètes et les Psaumes
III Le Nouveau Testament : qu’en dit Jésus ?
IV Quelques Pères de l’Eglise : Clément d’Alexandrie (150-215), Basile Le Grand (330-379), Grégoire de Nysse (331-394), Grégoire de Nazianze (329-390)
V Les Pères latins
(…)
V L’enseignement des Conciles[1]
A. Les Conciles Œcuméniques
Nicée I (325) : L’Eglise catholique défend à ses clercs de pratiquer l’usure comme indigne. « Il doit être chassé du clergé et son nom rayé du rôle » (Canon XVII).
Latran II (1139) : « Détestable et scandaleuse au regard des lois divines et humaines, et rejetée par l’Ecriture dans l’Ancien et le Nouveau Testament est l’insatiable rapacité des usuriers : aussi la condamnons-nous (…) Qu’ils soient tenus pour infâmes toute leur vie ». (Canon 13).
Latran III (1179) : Reprend les mêmes condamnations, en incluant les complices.
Latran IV (1215) : Dans ce Concile, il est exclusivement question des juifs usuriers.
« Plus la religion chrétienne se refuse à l'exaction de l'usure, plus la perfidie des juifs s'adonne à celle-ci, si bien que, en peu de temps, ils épuisent les richesses des chrétiens. Nous voulons donc en cela veiller à ce que les chrétiens ne soient pas terriblement accablés par les juifs. Aussi statuons-nous par un décret conciliaire que si à l'avenir par quelque prétexte que ce soit des juifs extorquaient aux chrétiens des prêts usuraires lourds et excessifs, tout commerce avec les chrétiens leur soit enlevé jusqu'à ce qu'ils aient donné entière satisfaction comme il convient pour les préjudices immodérés infligés. Au besoin, les chrétiens aussi seront contraints par censure ecclésiastique, et sans appel, de s'abstenir de tout commerce avec eux. Nous enjoignons aux princes de ne pas se montrer hostiles envers les chrétiens à cause de cela mais plutôt d'employer leur zèle à détourner les juifs d'une si grande oppression. Sous peine d'une même sanction, nous décrétons que les juifs doivent être contraints à s'acquitter envers les églises des dîmes et des offrandes qui leur étaient dues et qu'elles avaient l'habitude de percevoir de la part des chrétiens au titre des maisons et autres possessions avant que celles-ci, sous quelque titre que ce soit, ne soient passées entre les mains des juifs : ainsi les églises ne seront pas lésées ». (Canon 67[2])
Le Concile de Latran IV ne se contente donc pas de rappeler les condamnations antérieures multiséculaires : il invite également les princes chrétiens à organiser pour les juifs usuriers un accompagnement afin de les sortir de cette addiction déshumanisante. Les Chrétiens pensent alors que la résolution du problème est une question de pédagogie[3].
Pour faire face à une maladie, en effet, le patient peut souvent avoir besoin d’un soutien psychologique qui peut être le point de départ d’une thérapie adaptée.
Latran IV met également en lumière la justification de la pratique usuraire des juifs envers les chrétiens : la loi mosaïque leur permettait de percevoir un intérêt sur les prêts contractualisés avec les non-juifs.
Lyon II (1274)[4] : « Désirant supprimer le gouffre de l’usure (…) et puisque moins il sera facile à des usuriers de prêter de l’argent, plus leur sera enlevée la liberté d’exercer l’usure… [Les chrétiens] chasseront de leurs terres dans les trois mois tous ceux qui sont des usuriers notoires… » (Constitution 26).
Concile de Vienne (1311-1312) : La Constitution sur l’usure Ex gravi ad nos rappelle :
« Si quelqu’un tombe dans cette erreur au point d’avoir la présomption d’affirmer avec entêtement que ce n’est pas un péché de pratiquer l’usure, Nous décidons qu’il doit être puni comme hérétique ».
Latran V (1512-1517) : Les pauvres italiens étaient soumis à la rapacité des usuriers, qui exigeaient parfois, pour le moindre prêt, des taux d'intérêts de plus de 130 % ! Afin de contourner les habitudes usuraires des juifs, Barnabé de Terni[5] invente les monts-de-piété pour se substituer aux banques qui pratiquent l’intérêt. D’autres franciscains vont l’aider à développer cette opposition qui va donner naissance à la Banca Monte dei Paschi di Siena (1472), la plus ancienne au monde encore en activité. Un autre moine franciscain, Bernardin de Feltre (1439-1494), va chercher à incarner socialement l’enseignement du Magistère afin de mettre un terme à l'exploitation des malheureux par les usuriers. Mais il ne s’agissait pas ici de ne pratiquer aucun intérêt mais plutôt un intérêt modique (2 %[6]). Son œuvre va susciter la critique du dominicain Cajetan[7] (1469-1534) qui va chercher à discréditer ces institutions nouvelles. Suite aux mouvements sociaux engendrés par cette polémique, Léon X tranche en reconnaissant les bonnes intentions des uns et des autres et déclare acceptable ces monts-de-piété, tout en souhaitant la disparition totale des intérêts.
B. Les Conciles généraux ou régionaux
Divers Conciles (Elvire, 300 ; Arles, 314) vont dans le même sens que les Conciles de l’Eglise universelle.
Le Concile de Tours (1163) va statuer sur une forme subtile de calcul d’intérêt masqué (vadium ou vadimonium) : « Nul qui est établi dans le clergé ne doit avoir l’audace de pratiquer cette sorte de prêt à intérêt ou une autre. » (Hünnermann, Denzinger, Cerf, 1996, p. 266-267). L’assemblée ordonne également la restitution de l’intérêt et du bien en gage « sans condition ».
VII La scolastique
Avec la scolastique, nous entrons dans le monde des distinctions conceptuelles, parfois complexes, plutôt étrangères à la littérature patristique. A partir du XIème siècle, le commerce se mondialise de plus en plus et les querelles autour des intérêts se font plus aigües. Diverses écoles se forment à son sujet. Les théologiens vont plutôt chercher à légitimer ce calcul en proposant une distinction entre deux sortes d’intérêts :
- Les intérêts lucratoires: les intérêts perçus dans le prêt (mutuum) calculés dans le contrat.
- Les intérêts compensatoires: les intérêts calculés en fonction des risques pour le prêteur. Cette espèce d’intérêt est désormais estimée légitime, notamment par Thomas d’Aquin (1224-1274).
Auparavant, Gratien (dates inconnues), professeur de Droit, va rédiger le Décret de Gratien (vers 1150) qui expose des contradictions entre divers textes normatifs. Gratien va proposer des résolutions. Parmi les difficultés, on retrouve notre question de l’usure (IIème Partie, cause 14). L’auteur récapitule les prises de position de l’Eglise catholique et rappelle des définitions.
« Il y a usure là où est réclamé plus que ce qui est donné » (article 11 du Capitulaire de Nimègue ». Ce repère date d’une décision de Charlemagne (mort en 814) qui a promulgué la première interdiction législative de l’usure qui sera reprise par ce texte de Nimègue de 806.
« Tout ce qui s’ajoute au principal (sors) est de l’usure » saint Ambroise. L’usure, c’est « le surplus de toute chose » saint Jérôme. Ici, il n’est pas question de mesurer un intérêt acceptable mais de condamner tout intérêt.
[1] Assemblée d'évêques qui définit les doctrines, les dogmes (concile œcuménique) et de discipline commune (conciles généraux et conciles particuliers)
[2] Le texte original se trouve sur : http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait30315/
[3] L’Histoire manifestera que le problème est plus profond, et donc plus compliqué à traiter…
[4] Thomas d’Aquin (1125-1274) meurt sur la route qui le mène à ce Concile à Fossa-Nuova.
[5] On remarquera qu’aucune fiche wikipédia n’a été faite sur ce moine pourtant intéressant.
[6] Nous sommes loin des 20 % habituels réclamés par les usuriers à cette époque en Italie.
[7] Pour l’anecdote, c’est Cajetan qui prononcera en 1534 la sentence définitive de validité du premier mariage de Henri VIII et Catherine d'Aragon, refusant le divorce au souverain anglais et précipitant ainsi la disgrâce de Thomas More.