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« Service de la dette » et catholicisme : Jusqu’à quand l’imposture ? (5)

« Service de la dette » et catholicisme : Jusqu’à quand l’imposture ? (5)

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Rappel des épisodes précédents :

EGLISE CATHOLIQUE ET USURE
I La tradition scripturaire
II Les Prophètes et les Psaumes
III Le Nouveau Testament : qu’en dit Jésus ?
IV Quelques Pères de l’Eglise : Clément d’Alexandrie (150-215), Basile Le Grand (330-379), Grégoire de Nysse (331-394), Grégoire de Nazianze (329-390)
V Les Pères latins
VI L’enseignement des Conciles[1]
VII La scolastique

 

VIII Thomas d’Aquin : une prise de position historique

Thomas d’Aquin connaît non seulement les théologiens chrétiens qui l’ont précédé mais également les anciens païens. N’oublions pas qu’en philosophie, il suit Aristote presque mot pour mot.

Dans la Somme Théologique (IIa-IIae, q. 78), Thomas d’Aquin[1], aujourd’hui proclamé « Docteur Commun » du Magistère catholique, condamne l’usure comme un péché : « Recevoir un intérêt pour de l'argent prêté est de soi injuste, car c'est faire payer ce qui n'existe pas. Ce qui constitue évidemment une inégalité contraire à la justice » Thomas d'Aquin (Somme, IIa-IIae, q. 78, Art. 1, Resp.)

Thomas d’Aquin va s’appuyer sur la Politique d’Aristote (Livre I, chapitre 3) qui distingue valeur d’usage et valeur d’échange.

« Dans l’origine, l’échange ne s’étendait pas au-delà des plus stricts besoins, et il est certainement inutile dans la première association, celle de la famille. Pour qu’il se produise, il faut que déjà le cercle de l’association soit plus étendu. Car dans le cercle de la famille, tout était commun. [L’échange, alors,] ne va pas au-delà du troc des denrées indispensables ; c’est, par exemple, du vin donné ou reçu pour du blé. Ce genre d’échange est parfaitement naturel (…) C’est là cependant, qu’on peut trouver logiquement l’origine de la richesse. (…) la nécessité introduisit l’usage de la monnaie, les denrées indispensables étant, en nature, de transport difficile. (…) Avec la monnaie, née des premiers échanges indispensables, naquit aussi la vente, autre forme d’acquisition (…) qui révéla, dans la circulation des objets, les sources et les moyens de profits considérables. »

Dans l’Ethique à Nicomaque, Aristote précisera en outre que la matière inerte ne produit pas d’enfants, or c’est ce que fait l’intérêt. C’est pourquoi le prêt à intérêt est contraire à la nature (Livre V, chapitre 5).

Thomas d’Aquin commente et adhère à ces analyses. Il ira plus loin en distinguant les échanges où s’opère un transfert de propriété. L’usage de certains objets se réduit à leur consommation (vin, blé, chou-fleur, artichaut). Dans l’échange de ces objets, on ne peut séparer leur usage d’eux-mêmes : quand on abandonne leur usage à autrui, de fait on lui livre la propriété de l’objet. Ici, le prêt transfert la propriété. Mais vendre le vin à part de son usage reviendrait à céder ce qui n’existe pas, et il s’agirait donc d’une injustice.

Et ainsi, prêter du vin ou du blé en exigeant deux compensations : 1) l’une pour la restitution équivalente de cet objet, et 2) l’autre pour le prix de son usage (usus) est manifestement une injustice. D’où le terme latin d’usura (Art.1, Resp).

Par contre, Thomas d’Aquin précise qu’il existe des objets dont l’usage ne se réduit pas à leur consommation. L’usage d’une maison consiste à l’habiter, non à la détruire. On pourra ici distinguer la cession de la maison et sa propriété (location) : c’est un droit légitime. Mais Aristote rappelait que la monnaie avait été inventée pour faciliter les échanges : il doit donc être consommé. « Il est donc injuste en soi de se faire payer pour l’usage de l’argent prêté : c’est en quoi consiste l’usure » (Somme, IIa-IIae, q. 78, Art.1, resp).

Autrement dit, selon Thomas d’Aquin, l’usurier doit rendre l’argent ainsi extorqué avec vice : « Comme on est tenu de restituer les biens acquis injustement, de même on est tenu de restituer l’argent reçu à titre d’intérêt ». (idem).

Dans la même logique, il précisera ailleurs ; « la restitution ramène à l’égalité l’inégalité causée par le vol » (IIa-IIae, q. 62, a. 3) Thomas d’Aquin cependant admet comme légitimes certaines indemnités adjacentes au prêt et dont le paiement est obligatoire. Car la justice consiste à « rendre à chacun ce qui lui est dû » (Somme, IIa-IIae, q. 58, a. 2)

IX L’enseignement pontifical et magistériel

L’âge moderne développe l’industrie et les grands propriétaires ont besoin de capitaux et contractent des prêts de productions qui vont se substituer progressivement aux prêts à la consommation.

Deux mouvements philosophico-théologiques vont alors s’opposer sur cette question.

  • Les casuistes : Jésuites et Franciscains tentent de légitimer le prêt à intérêt ;
  • Les scolastiques : interdisent absolument tout calcul d’intérêt.

Par ailleurs, à partir du XVIème siècle, les Protestants, via Calvin (1509-1564), insistent pour libérer le prêt à intérêt.

En 1745, le pape Benoît XIV rédige l’encyclique Vix Pervenit[2] afin de définir les règles du jeu. Le pape souhaitait alors argumenter contre les tendances trop libérales qui tendaient à autoriser, suite aux enseignements de Jean Calvin, un intérêt pour les prêts de production mais à l’interdire pour les prêts de consommation.

Benoît XIV réagit en trois points :

  1. Interdiction de retenir des intérêts sur un prêt : le pape exige l’égalité en vertu de la définition de la justice commutative (Aristote).
  2. Dans certaines conditions qui tiennent à des circonstances extérieures au prêt, il est permis de toucher des intérêts compensatoires.
    Par exemple, le cas de celui qui, ayant prêté de l’argent, n’en a plus assez pour conclure une affaire commerciale : gain manqué (lucrum cessans)
    Ou encore le cas du prêteur qui n’a plus assez d’argent pour réparer son toit (damnum ermegens), etc.
  3. Une rémunération est envisageable dans des contrats autres que le prêt (commerce légitime).

Benoît rappelle cependant qu’échapper à la tentation de l’usure est chose facile dans les contrats : « Cette allégation serait certainement contraire non seulement aux enseignements divins et au sentiment de l’Eglise catholique sur l’usure, mais encore au sens commun et à la raison naturelle » (Par. 3, 6)

Après Vix Pervenit, L’Eglise catholique romaine recommande les distinctions de Benoît XIV : une indemnité est légitime si des circonstances extérieures au contrat de prêt surviennent comme dommages : 1) le péril à courir, 2) le dommage encouru, 3) le gain interrompu.

Par la suite, les déclarations du Vatican autorisaient les taux d’intérêt modérés. On voit ainsi Pie VIII en 1830 déclarer aux évêques de Rennes qu’ils peuvent absoudre les usuriers tant qu’ils s’accordent au droit positif civil.

Suite aux nombreuses discussions et débats suscités par ces questions, Grégoire XVI étend l’autorité de Vix Pervenit[3] à l’Eglise universelle (1835).

Par ailleurs, en 1830, sous le pontificat de Pie IX, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi déclare :

« La tolérance de cette pratique ne peut aucunement être étendue jusqu’à rendre honnête une usure, si minime soit-elle, s’agissant de pauvres, ou une usure immodérée et excédant les limites de l’équité naturelle. Enfin, il n’est pas possible de déterminer de façon universelle quel montant de l’usure doit être considéré comme immodéré et excessif, et lequel doit être considéré comme juste et modéré, puisque cela doit être mesuré dans chaque cas particulier en considérant toutes les circonstances tenant aux lieux, aux personnes, aux moment » (Conclusion tirée de toutes les solutions mentionnées dans l’Instruction, in Denzinger, n° 3105-3109).

En 1891, le pape Léon XIII publie la grande encyclique sociale Rerum Novarum[4] :

« Nous sommes persuadé, et tout le monde en convient, qu'il faut, par des mesures promptes et efficaces, venir en aide aux hommes des classes inférieures, attendu qu'ils sont pour la plupart dans une situation d'infortune et de misère imméritées.
Le dernier siècle a détruit, sans rien leur substituer, les corporations anciennes qui étaient pour eux une protection. Les sentiments religieux du passé ont disparu des lois et des institutions publiques et ainsi, peu à peu, les travailleurs isolés et sans défense se sont vu, avec le temps, livrer à la merci de maîtres inhumains et à la cupidité d'une concurrence effrénée. Une usure dévorante est venue accroître encore le mal. Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de l'Eglise, elle n'a cessé d'être pratiquée sous une autre forme par des hommes avides de gain et d'une insatiable cupidité. À tout cela, il faut ajouter la concentration entre les mains de quelques-uns de l'industrie et du commerce devenus le partage d'un petit nombre d'hommes opulents et de ploutocrates qui imposent ainsi un joug presque servile à l'infinie multitude des prolétaires. » (n° 2)

Plus proche de nous, en 1931, le pape Pie XI rédige son encyclique Quadragesimo Anno pour célébrer le 40ème anniversaire de Rerum Novarum : le pape dénonce avec fermeté la « dictature économique ambiante » (n° 117) qui a accompagné la libre concurrence :

« Ce qui à notre époque frappe tout d’abord le regard, ce n’est pas seulement la concentration des richesses, mais encore l’accumulation d’une énorme puissance, d’un pouvoir économique discrétionnaire, aux mains d’un petit nombre d’hommes qui d’ordinaire ne sont pas les propriétaires, mais les simples dépositaires et gérant du capital qu’ils administrent à leur gré.
 Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l’argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent en quelque sorte le sang à l’organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que sans leur consentement nul ne peut plus respirer.
Cette concentration du pouvoir et des ressources, qui est comme le trait distinctif de l’économie contemporaine, est le fruit naturel d’une concurrence dont la liberté ne connaît pas de limites ; ceux-là seuls restent debout, qui sont les plus forts, ce qui souvent revient à dire, qui luttent avec le plus de violence, qui sont le moins gênés par les scrupules de conscience » (n° 113-114)

 

[1] «A plus d'un siècle de distance, de nombreux éléments contenus dans [l'encyclique de Léon XIII Aeterni Patris] n'ont rien perdu de leur intérêt du point de vue tant pratique que pédagogique; le premier entre tous est relatif à l'incomparable valeur de la philosophie de saint Thomas.» Jean-Paul II, Fides et Ratio (n° 57).

[2]Au départ adressée aux seuls évêques italiens : https://www.medias-presse.info/lencyclique-vix-pervenit-de-benoit-xiv-sur-lusure-et-autres-profits-malhonnetes/81575/

[3] L’encyclique Vix Pervenit sera le dernier enseignement doctrinal officiel du Magistère catholique sur le prêt à intérêt.

[4] http://w2.vatican.va/content/leo-xiii/fr/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_15051891_rerum-novarum.html


« Service de la dette » et catholicisme : Jusqu’à quand l’imposture ? (1)
« Service de la dette » et catholicisme : Jusqu’à quand l’imposture ? (1)
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