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Nous, les petits clochers de France

Nous, les petits clochers de France

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Cathédrales unique patrimoine national ?

Choyées, connues et admirées, elles nous donnent le sentiment d'être seules à constituer le patrimoine national. Elles, ce sont les cathédrales aux flèches éblouissantes, les abbayes et les abbatiales aux chevets ventrus. Toutes sont signalées par des panneaux indicateurs, des guides touristiques, des brochures enluminées qui permettent de les visiter  et de les aimer toujours et encore plus. Elles valorisent les grandes métropoles par leur majestueuse présence et sont considérées, à juste titre, comme les joyaux de notre pays. Incontestablement, elles ont un rôle spirituel, historique et culturel. Parallèlement leurs retables ouvragés, les trésors de leurs sacristie et leurs reliques saintes mettent l'accent sur l'aspect de leur religiosité ; un bienfait qui permet de rappeler leur première destination en qualité de lieux cultuels.

Nous, les petits clochers, les sans grade du domaine étatique, que nous reste-t-il ?

Nous, les petits clochers, les sans grade du domaine étatique, que nous reste-t-il ? Nous les obscures églises de campagne, nous qui sommes plantées, sur la place du village, nous qui sommes si souvent fermées pour nous protéger des visiteurs indélicats, devons-nous continuer à nous taire ? Nous constituons la France profonde, celle des régions. Nous avons nos particularismes et d'ici ou là, aucune ne se ressemble vraiment d'une province à l'autre. Nous aussi nous avons nos lettres de noblesse. Nous n'avons rien à envier du style roman gothique ou baroque. Et le fait d'être sorties de terre au XIXème siècle pour certaines d'entre nous, n'autorise personne à nous traiter comme quantité négligeable. Nous ne sommes pas jalouses mais nous voulons simplement que l'on reconnaisse, maintenant plus que jamais, notre place. Envieuse de nos sœurs de marbre ? Comment le pourrions-nous alors que nous sommes reléguées, oubliées, souvent isolées dans ces villages qui ne seraient rien sans nous ? Le cachet, la réputation, l'âme de ces villes de quelques centaines ou milliers d'âmes suffisent à notre gloire. Nous sommes attachées au cœur de ces bourgades comme à celui de leurs habitants. Nous ne comptons plus les naissances, les mariages, les enterrements, que nos cloches ont salués. Depuis quelques temps, nous sommes inquiètes, de gros nuages s'amoncellent sur nos flèches et les coqs rouillés de nos girouettes ne donnent plu la direction du vent.

La méthode du pourrissement

Simples bâtiments publics "non classés" nous sommes, parait-il, dépensières : depuis 1905 nous appartenons à l'Etat et par voie de conséquence ce sont les collectivités locales qui sont chargées de notre entretien, donc des réparations qu'exigent les vieilles pierres de nos tours et clochetons. Or, il parait qu'après en avoir accepté la charge, les dépenses imposées par nos remises en état pèsent lourd dans les budgets. Une récente étude  prévoit que 2800 d'entre nous -sur 15000 environ- nécessitent la restauration d'un clocher, des renforts et des soutiens qui assureraient encore longtemps notre existence. Pour se défausser différents subterfuges sont mis en place. Bien sûr la décision de "déconstruction" n'est pas prise de manière abrupte. La démolition pure et dure n'est pas envisagée de manière systématique. On a des égards envers nous. La méthode du pourrissement semble préférable pour se débarrasser de nos encombrantes et coûteuses présences : ne rien faire pendant des années et laisser nos vieux matériaux d'abîmer dans le temps de telle sorte que nous devenions menaçantes. C'est simple, facile et cela emporte l'agrément de toute une communauté qui préfère mis à bas plutôt que d'accepter le danger que représentent nos ossements  décharnés et envahis par les herbes folles. Un processus insidieux qui est déjà en marche. Sans que vous en preniez réellement conscience quelques unes d'entre nous  sont régulièrement offerte aux dents assassines des tractopelles qui viennent mordre nos façades au prétexte que nous ne valons plus que "la casse". Plus souvent qu'à notre tour nous nous éloignons ainsi, silencieusement, pour disparaître un jour complètement de cette image où l'une d'entre nous célébrait la force tranquille, toile de fond de l'affiche d'un feu candidat à la Présidence de la République. Plutôt que de sortir du paysage, d'autres choix heureux nous sont proposés pour finir nos jours : abriter dans nos murs des supermarchés ou des boîtes de nuit… reste aussi la possibilité de servir plusieurs cultes. Dans ces conditions, pourquoi nos plaintes ?

Traces d’avenir

Quelques ouailles, après l'approbation des membres du clergé local, sont prêtes à laisser la situation en l'état et à convenir qu'il vaut mieux se préoccuper des "pierres vivantes". Pourquoi s'apitoyer sur ces vieilleries disent-ils ? Ceux qui tiennent ce discours ont tort de prôner cette politique au moment où notre état qui se veut laïc est confronté au déploiement des autres religions. Celles-ci disposent de fidèles qui n'hésitent pas à mettre la main à la poche ou à se faire aider par différents pays de leur monde. Tout est bon pour construire à la gloire de Dieu. Ils n'hésitent pas. Vous qui devriez prendre notre défense vous tergiversez, préférant vous mettre la tête dans le sable. Vous pensez aussi que nous serons toujours assez nombreuses pour vous représenter avec force. Vous êtes dans l'erreur : si vous n'y prenez pas garde, l'effondrement de nos pierres coïncidera avec la disparition de votre univers religieux, culturel voire politique. Nos pierres ne sont pas uniquement les traces du passé. Elles constituent un rempart pour l'avenir.


Fin de la Nouvelle-France (1689 – 1763)
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Le coq, l’homme et les boutons d’or
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Urgence et tragédie
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