Objection : La conscience en danger
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Objection : La conscience en danger
Par Pascal Jacob
22 décembre 2013 18:00
La question qui se pose très concrètement à notre démocratie, c’est de savoir si elle peut continuer à avoir du respect pour la conscience de chacun : la volonté populaire étend-elle sa souveraineté sur la conscience ?
Nous sommes passés d’une prétention monarchique, selon laquelle le pouvoir tenait à la naissance, à une prétention républicaine qui situe l’origine du pouvoir dans la volonté populaire. Seulement il se trouve que, comme l’écrit Benjamin Constant , « La reconnaissance abstraite de la souveraineté du peuple n'augmente en rien la somme de liberté des individus, et si l'on attribue à cette souveraineté une latitude qu'elle ne devrait pas avoir, la liberté peut être perdue malgré ce principe, ou même par ce principe. » La volonté, même générale, demeure arbitraire dès lors qu’elle ne croit plus en la possibilité d’une vérité en sorte que ce ne sont plus les peuples qui sont sacrifiés à un individu, mais l'individu qui est sacrifié au peuple et à sa volonté souveraine.
Ce que voit Constant, c’est que la liberté individuelle n’est pas encore garantie par la souveraineté du peuple. Les révolutionnaires ont seulement déplacé le pouvoir, alors qu’il convenait de le limiter pour préserver la liberté des individus. On pressent déjà ici que le sens profond de l’éthique est davantage dans la limitation de la toute-puissance, fut-elle populaire, que dans une rationalité souveraine soucieuse de sa seule autonomie.
Les problèmes éthiques que nous rencontrons aujourd’hui ne viennent pas tant de notre difficulté à discerner entre le bien et le mal, que de notre impossibilité à limiter notre puissance. Pour reprendre un mot de Michel Serre, nous ne dominons plus notre domination.
Enfin, et peut-être surtout, le volontarisme conduit au relativisme. Si la valeur n’est pas relative à la nature de l’être mais à la volonté changeante des hommes, à la culture ou même à la « multiculturalité », alors l’individu pourrait bien se voir soumis à ce que lui dicte ce relativisme. Celui-ci est d’autant plus pervers qu’il interdit toute prétention à la vérité au nom de sa propre vérité.1
Le problème est donc que, privée de limite, la souveraineté populaire aborde désormais les rivages de la conscience. Peut-elle admettre que celle-ci lui résiste ? La conscience doit-elle rester hors d’atteinte du vote démocratique ?
Alexis de Tocqueville fait sur cette question quelques remarques pertinentes :
Dans son livre intitulé La vie avant toute chose, Pierre Simon3 expliquait en 1979 comment on allait se diriger vers une société pluraliste, dans laquelle chaque individu inventerait un tel pluralisme, pour être absolu, nécessite que chacun renonce précisément à sa conscience au profit du droit.
Le point de départ de Simon est que la notion de vie a changé : elle n’est plus un don mais un patrimoine à conserver et améliorer. Elle n’est plus une réalité biologique brute mais une « relation préférentielle à l’environnement » (définition que Simon emprunte à l’OMS).
Où le pouvoir veut-il en venir ? La création d’une société pluraliste est pour certaines de nos « élites » un gage de paix, car elle est synonyme d’hypertolérance. Mais elle suppose en même temps que chacun renonce à la transcendance de sa conscience afin de laisser la « transcendance sociale » lui servir de conscience. C’est pour Simon, visiblement, le seul moyen de bâtir un monde à la fois hyperindividualiste et pacifique, puisque chacun remet en quelque sorte sa conscience individuelle à la société dont l’État est seulement le mandataire.
Pour Pierre Simon, c’est une question cruciale car il en va de la pérennité de nos sociétés. Pour s’approprier la vie, il est nécessaire de briser tout ce qui lui est relié, la famille, la sexualité, l’Église Catholique pour qui la vie est reliée à Dieu.
Et Pierre Simon, avec une lucidité remarquable, prévient :
Nous sommes passés d’une prétention monarchique, selon laquelle le pouvoir tenait à la naissance, à une prétention républicaine qui situe l’origine du pouvoir dans la volonté populaire. Seulement il se trouve que, comme l’écrit Benjamin Constant , « La reconnaissance abstraite de la souveraineté du peuple n'augmente en rien la somme de liberté des individus, et si l'on attribue à cette souveraineté une latitude qu'elle ne devrait pas avoir, la liberté peut être perdue malgré ce principe, ou même par ce principe. » La volonté, même générale, demeure arbitraire dès lors qu’elle ne croit plus en la possibilité d’une vérité en sorte que ce ne sont plus les peuples qui sont sacrifiés à un individu, mais l'individu qui est sacrifié au peuple et à sa volonté souveraine.
Ce que voit Constant, c’est que la liberté individuelle n’est pas encore garantie par la souveraineté du peuple. Les révolutionnaires ont seulement déplacé le pouvoir, alors qu’il convenait de le limiter pour préserver la liberté des individus. On pressent déjà ici que le sens profond de l’éthique est davantage dans la limitation de la toute-puissance, fut-elle populaire, que dans une rationalité souveraine soucieuse de sa seule autonomie.
Les problèmes éthiques que nous rencontrons aujourd’hui ne viennent pas tant de notre difficulté à discerner entre le bien et le mal, que de notre impossibilité à limiter notre puissance. Pour reprendre un mot de Michel Serre, nous ne dominons plus notre domination.
Enfin, et peut-être surtout, le volontarisme conduit au relativisme. Si la valeur n’est pas relative à la nature de l’être mais à la volonté changeante des hommes, à la culture ou même à la « multiculturalité », alors l’individu pourrait bien se voir soumis à ce que lui dicte ce relativisme. Celui-ci est d’autant plus pervers qu’il interdit toute prétention à la vérité au nom de sa propre vérité.1
Le problème est donc que, privée de limite, la souveraineté populaire aborde désormais les rivages de la conscience. Peut-elle admettre que celle-ci lui résiste ? La conscience doit-elle rester hors d’atteinte du vote démocratique ?
Alexis de Tocqueville fait sur cette question quelques remarques pertinentes :
La loi de la majorité ne tient pas sa légitimité du nombre. Elle suppose une unanimité préalable : chacun doit avoir consentit à l’avance à ce vote et à se soumettre à son résultat. Elle suppose surtout que, au-delà d’une majorité qui se dégage de façon contingente, je puisse en appeler à l’humanité.
Je regarde comme impie et détestable cette maxime, qu'en matière de gouvernement la majorité d'un peuple a le droit de tout faire, et pourtant je place dans les volontés de la majorité l'origine de tous les pouvoirs. Suis-je en contradiction avec moi-même ? Il existe une loi générale qui a été faite ou du moins adoptée, non pas seulement par la majorité de tel ou tel peuple, mais par la majorité de tous les hommes. Cette loi, c'est la justice. La justice forme donc la borne du droit de chaque peuple. Une nation est comme un jury chargé de représenter la société universelle et d'appliquer la justice qui est sa loi. Le jury, qui représente la société, doit-il avoir plus de puissance que la société elle-même dont il applique les lois ? Quand donc je refuse d'obéir à une loi injuste, je ne dénie point à la majorité le droit de commander ; j'en appelle seulement de la souveraineté du peuple à la souveraineté du genre humain. 2
À quoi pouvons-nous nous attendre ?
Dans son livre intitulé La vie avant toute chose, Pierre Simon3 expliquait en 1979 comment on allait se diriger vers une société pluraliste, dans laquelle chaque individu inventerait un tel pluralisme, pour être absolu, nécessite que chacun renonce précisément à sa conscience au profit du droit.
Le point de départ de Simon est que la notion de vie a changé : elle n’est plus un don mais un patrimoine à conserver et améliorer. Elle n’est plus une réalité biologique brute mais une « relation préférentielle à l’environnement » (définition que Simon emprunte à l’OMS).
« Il faudra bien, dans la société nouvelle que nous allons devoir édifier, réclamer avec force une modification fondamentale de la conception de la richesse de l’individu qui s'accorde avec la qualité de la vie et qui ne fera plus référence ni à l’argent, ni à la consommation. Entre les différentes catégories de la population – à dessein, je n'emploie plus le mot « classes » -, entre les déshérités qui n’acceptent pas les impératifs de la consommation et ceux qui possèdent, les nantis, il existe un seul lien possible : le lien socio-culturel.Plus tôt dans le livre, Simon avait expliqué :
En faisant accéder chacun à la culture, une culture induite par un enseignement laïque, une culture véritablement accessible à tous, la resignification sera la seule morale.
Ces mots sont à peser : resignification : En séparant la sexualité de la procréation (à la fois par la contraception et par la fécondation artificielle), on isole des éléments qui prennent leur sens les uns par rapport aux autres et qui, du coup, se trouvent privés de sens. La sexualité devient alors un jeu de rôle que chacun va réinvestir à sa guise, une variable parmi d’autres. La procréation ainsi séparée n’appartient plus à la responsabilité du couple mais va être confiée au pouvoir social chargé de la « qualité de la vie ».
Nous n’assisterons plus à ce décalage entre deux catégories d’individus, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, ceux qui ont et ceux qui n'ont pas. Les hommes auront pris conscience que la vie est un patrimoine commun. Ils se dirigeront sur une même route éclairée par une seule transcendance : la transcendance sociale. » 4
« L’individu n’est pas encore au pouvoir, mais déjà la société prend le pas sur la Transcendance. La conscience naît de son être collectif. » 5L’un des traits les plus marquants de la substitution de la conscience sociale à la conscience personnelle en chacun est cette tendance à la fonctionnarisation (qui est tout-à-fait dans la ligne de la modernisation de l’État de Weber) : Fonctionnarisation des médecins et des pharmaciens, invités à n’être que les ministres d’une politique de « santé publique » ; fonctionnarisation des maires, simples officiers de l’Etat Civil qui doivent appliquer la loi votée par le Parlement ; Fonctionnarisation des parents qui, le nom l’indique, ne font qu’exercer une « fonction parentale ». Le fonctionnaire est par définition celui qui agit non pas selon sa conscience mais « en vertu de la loi » positive.
Concluons
Où le pouvoir veut-il en venir ? La création d’une société pluraliste est pour certaines de nos « élites » un gage de paix, car elle est synonyme d’hypertolérance. Mais elle suppose en même temps que chacun renonce à la transcendance de sa conscience afin de laisser la « transcendance sociale » lui servir de conscience. C’est pour Simon, visiblement, le seul moyen de bâtir un monde à la fois hyperindividualiste et pacifique, puisque chacun remet en quelque sorte sa conscience individuelle à la société dont l’État est seulement le mandataire.
Pour Pierre Simon, c’est une question cruciale car il en va de la pérennité de nos sociétés. Pour s’approprier la vie, il est nécessaire de briser tout ce qui lui est relié, la famille, la sexualité, l’Église Catholique pour qui la vie est reliée à Dieu.
« Servante de la vie, la sexualité n’est ni sacrée, ni maudite : elle est l’apprentissage de la liberté. À ce point, 1968 nous offre deux hypothèses : la révolution sexuelle, dissolvant des valeurs réputées fondamentales par la société, la religion et les tenants de la morale qui s'y réfèrent, entraînera ou bien la chute de cette société, ou bien sa mutation en société pluraliste. Le type de société à instaurer allait déterminer, pour nous, en France tout au moins, le moyen à utiliser en fonction du régime politique alors en place. Néo-rousseauisme ou société permissive, ou société pluraliste? C’est cette dernière que nous avons choisie pour objectif. »6
Et Pierre Simon, avec une lucidité remarquable, prévient :
« On peut schématiser en deux alternatives opposées le devenir de la société occidentale, et imaginer deux modèles extrêmes vers lesquels elle peut tendre et où la sexualité n'interviendrait que comme une variable parmi d'autres. D'un côté, une société hypercomplexe, à forte cohésion interne, qui aurait su intégrer la libéralisation des mœurs tout en maintenant la structure familiale de base, qui aurait su également supprimer les tensions de toutes sortes génératrices de déséquilibres et de frustrations, capable d'une grande tolérance à l'égard des déviances. Cette sexualité épanouie ne peut se concevoir que dans un contexte économique, politique et moral serein. Elle présuppose en particulier la capacité des sociétés occidentales à renouveler leur "image du monde", à formuler de nouvelles fins collectives, à s'inventer une nouvelle morale.L’objection de conscience est peut-être le lieu d’un enjeu plus radical que jamais : il ne s’agit plus seulement du droit de ne pas faire ce qui heurte notre conscience, mais de celui d’avoir, simplement, une conscience. C’est tout l’enjeu d’une belle initiative de l’association « objection ».
À l'autre extrême, une société en voie de désintégration, incapable de préserver ses institutions (y compris l'institution matrimoniale), incapable de surmonter les conflits d'intérêt et de valeur, où la dévalorisation des relations sexuelles serait un des aspects de la dépréciation plus générale des rapports humains. Ce modèle ne peut être que celui d'un état transitoire ayant toutes les chances de déboucher à terme sur une société à pouvoir totalitaire de type fasciste » 7
- Pascal Jacob, La morale chrétienne est-elle laïque, Artège, 2012
- Alexis de Tocqueville, La démocratie en Amérique
- Pierre Simon (1925-2008), médecin et homme politique français. Il fut grand maître de la Grande Loge de France de 1969 à 1971 et de 1973 à 1995. Il poursuit son action en faveur d’une nouvelle gestion du concept de vie dans les années 1980 en militant en faveur des techniques de procréation médicalement assistée mais en œuvrant aussi à la réforme de la période de la fin de vie au sein du mouvement pour « le droit de mourir dans la dignité ». Le prix Pierre Simon "éthique et société" a été créé en son honneur sous le patronage du ministère de la Santé et récompense chaque année des personnalités et des œuvres qui s'inscrivent dans le cadre de l'action et de la réflexion sur l'éthique. (Source : Wikipedia).
- Pierre Simon, La vie avant toute chose, p. 239
- Pierre Simon, La vie avant toute chose, p. 87-86
- Pierre Simon, La vie avant toute chose, p. 190-191
- Pierre Simon, La vie avant toute chose, p. 226-227