Découvrez la collection Mauvaise Nouvelle, aux Éditions Nouvelle Marge.


« On n’aura pas de retraites, c’est sûr » : à Paris, les jeunes manifestent, sans sourire

« On n’aura pas de retraites, c’est sûr » : à Paris, les jeunes manifestent, sans sourire

Par  

REPORTAGE – Marquée par un regain de participation, la mobilisation de ce samedi a compté dans ses rangs un nombre bien plus important de jeunes, qui ne cachent pas leur désespoir.

Sur les trottoirs sales et irréguliers du boulevard St Martin, une jeune femme guide sa petite fille en trottinette ; les passants essayent de les éviter, ils sont pressés. Ce samedi de manifestation, Paris n’est plus le royaume des badauds et des promeneurs. La maman, elle, va à contre-sens quand le mouvement général, lui, tend vers la place de la République. La statue de la Marianne se profile au loin, mais elle semble bien petite sous le flot des fanions colorés, des ballons de baudruche et des chars bariolés. Il est 13h30, le 11 février, et le cortège de la manifestation contre la réforme des retraites est sur le point de s’élancer.

 

Pas de mélange avec les « boomers »

En attendant de se joindre aux manifestants, Samantha et Flore se partagent une barquette de frites. Sous leur frange et de leurs yeux lourdement fardés, elles observent les stands régionaux de la CGT, où les cafés passent de mains en mains ; mais, quoique manifestantes, elles ne s’y mêlent pas. Les deux jeunes filles ne sont pas les seules à avoir fait ce choix de rester à l’écart des syndicats ; autour d’elles des groupes de deux ou trois trentenaires regardent les « boomers » rire et bavarder entre eux. En entendant les notes éraillées d’une chanson de Michel Sardou, Samantha esquisse un sourire moqueur. « Si déjà, ils pouvaient arrêter les vieilles chansons françaises, on irait plus volontiers manifester », soupire Flore qui fronce le nez, faisant se balancer son percing du septum. Pourtant, les jeunes sont bien présents, cette fois-ci. « On a profité du samedi, c’est pratique. Je ne peux pas me permettre de faire grève, moi », explique Mathis, 30 ans, designer végétal. Les pronostics des syndicats se sont réalisés : déplacer les manifestations le week-end a eu une réelle incidence sur l’âge des participants. Sous le soleil voilé de l’hiver, les chevelures brunes, blondes ou roses des moins de 40 ans brillent dans la marée de têtes blanches ou grisonnantes. Cependant, à l’image de Samantha et Flore et bien qu’ils protestent aux côtés des retraités ou des cinquantenaires, ils ne se fondent pas dans la masse. Ils ne marchent pas au même rythme ; et rassemblés en petite clique, ils sont plus rapides que le cortège. Ils préfèrent ne pas se fixer derrière les camps de la CGT ou de la CFDT, quitte à faire des allers et retours pour retrouver des copains.

 

Motivés, mais sans sourire

D’autres représentants de la génération Y défilent avec leurs clans politiques ou idéologiques, dont la majorité des membres a entre vingt et trente ans. Ici, pas de flashmob ou de musiques démodées ; il y a à peine de drapeaux, et encore moins d’enceintes braillardes. Les moyens sont sobres : des pancartes écrites au feutre sur des morceaux de cartons de pizza, une grande banderole en tissu, brandie par dix personnes, et c’est tout. En revanche, les cris y sont plus forts, les visages plus tendus, on n’y papote pas. La jeune garde antifasciste se fait remarquer par ses cagoules, ses membres par leur regard hypervigilant.

 

Celui qui a dit que « la jeunesse heureuse est une invention de vieillards » aurait pu se trouver dans cette colonne, car les sourires sont rares. Les seuls de cette génération à en arborer malgré tout sont les animateurs des groupes syndicalistes qui chantent « allumez le feu » énergiquement. Serait-ce le sourire du désespoir ou de l’inconscience ? Inès, une fleuriste de 25 ans n’hésite pas à poser un pronostique grave : « nous, nés après les trente glorieuses, on n’aura pas de retraites, c’est sûr ». Constat qui revient régulièrement sur les lèvres de ces adultes, pour qui le gouvernement prévoit encore quarante ans de labeur, et qui veulent défendre les droits législatifs de leurs grands-parents : « si on ne se bat pas maintenant, quand est-ce qu’on le fera ? Sinon ce sera déjà trop tard », ajoute Lola, la compagne d’Inès. Cependant, si tous ou presque prévoient un avenir sombre, certains ne voient pas l’intérêt de manifester. A deux rues de la cohorte, Thomas et Yanis, enveloppés dans leurs manteaux très « bobo », ont préféré faire trente minutes de queue devant une friperie huppée du boulevard Beaumarchais.


Retraites : l’important est de durer…
Retraites : l’important est de durer…
Urgence et tragédie
Urgence et tragédie
Le sourire d’Emmanuel
Le sourire d’Emmanuel

Commentaires


Pseudo :
Mail :
Commentaire :