Souffrance au travail : la fonction a tué le travail
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Série sur la double peine des inadaptés 2/4
Dans le précédent volet de notre série sur la souffrance au travail, nous avons osé dire concernant ceux à qui les entreprises reprochent de ne pas être suffisamment "corporate" : « Comme en psychanalyse, le problème finit toujours par être la personne. La seule solution devient l’ablation de la personne, c'est-à-dire la dé-personnification de l’entreprise. La personne dans l’entreprise, l’être pourvu de personnalité, se voit qualifié de rebelle, alors même que jusqu’alors il avait l’impression d’être celui qui investissait le plus d’intelligence dans l’entreprise. » Poussons le bouchon un tout petit peu plus loin pour comprendre comment le travailleur est sommé de devenir systématiquement un fonctionnaire, au sens où il n'est plus sensé qu'occuper une fonction. Il nous faut comprendre que l'entreprise aujourd'hui est le lieu par excellence de la dénégation du travail réel. C'est ainsi que nous pouvons davantage comprendre comment sévit la double peine : celle d'être atypique donc inadapté, et de devoir être modifié pour rentrer dans la fonction, et aussi d'être mis en condition d'échec, et… , et… , et ainsi de suite.
L’oubli du geste professionnel
En attendant le retournement des choses pour le salarié inadapté, le retour glorieux du non-aligné, la souffrance est bel et bien là, la double peine bien installée. Quand le travail est malade, alors cela devient une maladie. Le travail est une expérience, un lieu d’agir, d’expulsion d’énergie. Le problème c’est quand cette énergie ne peut plus sortir, qu’elle est empêchée par toute une batterie de processus, figés dans un système de management bien sûr intégré. Le salarié psycho somatise alors, incapable de transformer son énergie en geste professionnel dans un tel environnement virtuel, et totalement décalé de la réalité de ce qui fait la performance.
Aujourd'hui; dans l’entreprise, les états major savent tout grâce aux légions de reporting exigés par les technostructures devenues obèses à force de devoir recaser d’anciens managers stérilisés par le carcan des grades. Aujourd'hui, tout le monde sait tout, mais personne ne comprend plus rien. C'est que pour comprendre, il faut VIVRE. C’est une faute politique de faire l’économie de l’expérience, de survivre "au dessus" plutôt que de VIVRE. Et c’est pourtant bien le geste professionnel et l’action, qui agissent sur la chose et produisent de la performance, un produit économique…
Si les lieux ont une âme pourquoi pas le salarié ?
Notons ce paradoxe de l’environnement de travail (ex-services généraux) qui a pris conscience de l’importance des personnes en déployant sur la base de l’analyse du travail réel, toute une batterie de solutions tant immobilières que de services aux salariés. Et oui, les lieux de travail sont des lieux habités, dédiés à un usage, un lieu doit avoir une âme, sinon ce n’est qu’un espace. Un lieu est là où une personne réside, agit, travaille. Le corps devient l’étalon de l’espace, et l’on ne peut s’empêcher de penser à Le Corbusier qui avait pris comme étalon de construction d’immeuble ce Modulor qui est un homme debout le bras levé… Les grouillots des services généraux compensent avec leurs meubles et leur cafeteria aujourd’hui dans l’entreprise, la faillite des humanistes au pouvoir dans les ressources humaines. Et pourtant si mes lieux ont une âme, pourquoi pas les salariés ? Si les lieux abritent un corps, pour négliger que les salariés en aient un ? Les personnes humaines qui sont une ressource pour l'entreprise ont le droit d'être prises pour des personnes, et non des organes du système que les organigrammes ne font que semblant de décrire.
Quand l’inadapté est piégé et devient sa propre caricature.
Revenons à notre inadapté, notre salarié pas suffisamment "corporate", notre salarié "non aligné". On commence par être atypique, et on finit vite par déranger au point d’être qualifié de non-aligné ou non corporate. Cette marginalisation opérée par les organes du système va encapsuler définitivement le salarié. Le système le contraint dès lors à devenir la caricature de lui-même. Voilà l'atypique, celui qui a osé être une personne, piégé, incapable de se sortir seul de ce renvoie d'image qu'il subit et qui le caricature avant même qu'il tente d'agir ou de parler. L'inadapté peut craindre de ne parvenir à échapper au piège que par la porte… La lecture de ses résultats se fera au travers du jugement porté sur sa personnalité, et d'autant plus facilement que l'on ne s'intéressera jamais aux résultats réels mais plutôt à la complétude et à la forme de certaines façons de rendre visible ces résultats : reportings et tableau Excel en tout genre, exposés et slides en tout genre.
Les résultats réels peuvent même être entachés. Quand tout le monde est persuadé que vous êtes inadapté, un "cas", il n’y a aucune raison pour que vous continuiez à avoir de bons résultats. Une forme de prophétie auto-réalisante se met en marche et persuade l'ensemble de votre entourage de votre manque de compétence. Il n'y a pas de fumée sans feu, la preuve, vous étiez atypique, vous voilà mauvais aux yeux de tous. La prophétie auto-réalisante s'appuyant sur le collectif ressemble à la rumeur, à la calomnie, au lynchage. Les salariés à qui on demande d’être alignés, de se dévêtir d’eux même pour être "corporate", de n’être plus que des fonctions, des fonctionnaires comme dans une vulgaire république soviétique, vont avoir du mal à trouver de la motivation. L'armée des clones a pris le pouvoirs, les vieux héros raccompagnés vers la retraite. Dès lors, la vue du management de proximité ne donne plus envie. Un clone ne suscite jamais l’admiration…
En synthèse, retenons que le piège est total quand la personne a été identifiée dépassant de sa fonction. Au cœur de sa disgrâce, le non-aligné identifié va nécessairement être impacté par l’incapacité d’atteindre les attentes de son manager. Ces mêmes salariés touchés par cette deuxième peine : La responsabilité de cette incapacité qui leur est bien souvent affectée à eux seuls ! Que dire à ces nouveaux pestiférés ? Quels remèdes leur administrer ? Faut-il légiférer ?
La réponse à ces questions n’est pas aisée et nous la développerons dans des articles à venir. Kateri et Jason vous disent donc à bientôt…