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Souffrance au travail : des clones et des ‘’inadaptés’’

Souffrance au travail : des clones et des ‘’inadaptés’’

Par  
Propos recueillis par Jason Bourne

Série sur la double peine des inadaptés 1/4

L’adaptation du salarié au système est au cœur des questions portant sur la qualité de vie au travail. L’entreprise fonctionne de plus en plus comme un système, et la dernière mode en date de ceux qui ayant oublié d’être des directeurs humains des ressources, se voulant directeurs des ressources humaines, est d’en appeler à l’alignement et à l’esprit "corporate". Cette doctrine étant puissamment relayée par des managers clonés et parfaitement "corporate-proof". Les mots des révolutionnaires au pouvoir sont toujours d’une générosité égalitaire qui rappelle la guillotine.

Corporate

Face à l’inadaptation des vilains petits canards qui jouent mal le rôle de figurant qu’on leur propose en leur faisant revêtir une simple fonction, les tenants du système se mordent les lèvres se retenant de prononcer la célèbre phrase finale des mains sales, « irrécupérable ». Les « bienveillants » se contentent de proposer au salarié ciblé, de changer, de ne plus être lui, de devenir simplement la fonction qu’il est censé occuper. L’instrumentation RH est convoquée pour ce faire et garantir toujours plus d’activité à la filière qui organise depuis le début sa survie. On incitera le salarié à changer rapidement. On proposera au salarié inadapté une formation « posture », voire même un « coaching ». Ce dernier devra d’ailleurs ne pas omettre de remercier le système de miser autant sur lui, autant pour qu’il devienne comme les autres. On vous propose de vous aider à rentrer dans le rang, à rentrer dans l’armée des clones. Que demande le peuple ?

Est-ce que cela vaut la peine ?

La question centrale que se pose tout salarié est : est-ce que cela vaut la peine ? Ça ? Tout ce que l’on me demande au travail et qui, au-delà de ma production, met en jeu ma Personne. La question de la pénibilité a toujours été une question relative au gain, au fruit retiré. Elle procède également du ratio à ce qui fait sens. Cette question devient désormais existentielle. La souffrance devient existentielle ! Elle l’a peut-être toujours été. D’où les fameux RPS, risques psycho-sociaux qui, depuis France Télécom, font les gorges chaudes de certains directeurs des ressources humaines, de ceux qui s’en sont fait une fonction dans le système.

Si d’aventures, vous êtes ciblé comme atypique, c'est-à-dire mettant en jeu votre propre personne au-delà du poste, si vous osez être incarnés, en mettant en jeu votre intelligence pour dépasser le simple statut d’organes du système, alors la machine à broyer risque bien de se mettre en route. Et voilà le RPS.

Double peine

La souffrance est donc issue de la question : "Est-ce que cela vaut la peine ?" La souffrance peut devenir insupportable quand la peine se double, quand la sanction se porte sur l’être de la personne. Mais où est donc la double peine ? Simplement dans la culpabilisation psychologisante, prenant sa source chez l’obscur Freud. Non seulement je suis inadapté à un système qui tente de me broyer, mais en plus c’est ma faute, mais en plus je vais devoir être coaché, mais en plus je vais devoir dire réellement changé, car le coaché est le seul à avoir une obligation de résultat dans l’affaire, et en plus je vais devoir au final dire merci. Double peine, c’est encore gentil de ne le qualifier qu’ainsi. Comme en psychanalyse, le problème finit toujours par être la personne. La seule solution devient l’ablation de la personne, c'est-à-dire la dé-personnification de l’entreprise. La personne dans l’entreprise, l’être pourvu de personnalité, se voit qualifié de rebelle, alors même que jusqu’alors il avait l’impression d’être celui qui investissait le plus d’intelligence dans l’entreprise. Le seul qui avait l’impression de vivre une aventure industrielle ou commerciale au service de l’entreprise, se voit qualifié de rebelle. Absurdité que seul un manager bien aligné pourra lui faire comprendre. La chute est douloureuse. Rebelle celui qui était dans l’aventure, pour ne pas dire le zèle. Le zèle de sauver l’entreprise et son aventure industrielle malgré le système bureaucratique qui la ronge comme un cancer…

Lors de son entretien individuel, l’aventurier apprend qu’il n’est pas « aligné » et qu’un coaching va résoudre cette erreur. Le meneur de l’entretien individuel sera contraint de changer son regard pour rendre sa décision efficace, dans la logique bien connue de la prophétie auto-réalisante, qui finit par parfois ressembler à la loi de l’arroseur arrosé…

La voilà cette double peine : Je ne suis pas aligné, je n’attends pas les résultats attendus ET c’est ma faute !

Nous regarderons dans des prochains articles comment mieux définir le contexte de cette double peine et comment trouver des pistes pour combattre cette pandémie dévastatrice…


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