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Villages de France, un petit lifting ?

Villages de France, un petit lifting ?

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C'est au cœur d'un centre-bourg encombré d'estivants en short et en tongs que j'ai lu cette petite phrase sur un panneau qui trainait là sans qu'on sache trop pourquoi : « La ville de Péta-au-Shnock a depuis les années 1970 misé sur le tourisme pour vivre ».

Immédiatement, j'ai bondi, me cognant la tête sur un de ces lampions qui donnaient à la place un air de kermesse d'école maternelle.

La veille, j'avais déjeuné chez un grand-oncle, qui vivait là depuis sa naissance, vingt ans avant que la ville prenne cette fameuse décision. Il m'avait raconté son enfance dans ce tout petit village de quelques centaines d'âmes vivant de la pêche et de l'agriculture. Il m'avait décrit la place centrale, celle-là même où je me débattais maintenant contre une guirlande sous les cris et les lazzis d'une famille hollandaise, à cette époque moyenâgeuse où elle ne sentait pas encore le graillon et où son pavage multi-séculaire n'était pas encore rendu glissant par les restes de chi-chi jetés et écrasés là par les espadrilles de milliers de touristes. Il m'avait raconté la plage où les barques des pêcheurs venaient s'échouer pour décharger leur cargaison.

C'est pour voir tout ça que les rares touristes venaient dans ce village jusque dans les années 70, pour vivre quelques jours cette vie-là. Voyant qu'ils aimaient ça et revenaient d'une année sur l'autre, les édiles du village ont décidé de tout faire pour pouvoir accueillir plus de ces visiteurs saisonniers.

Pour les loger, ils ont entouré les maisons typiques de pavillons ou d'immeubles modernes et pratiques. Pour répondre à leur envie de partir avec un objet du folklore local, ils ont entouré la place centrale de magasins de souvenirs fabriqués en Chine. Pour combler leur désir de farniente, ils ont évacué les pêcheurs de la plage pour laisser la place aux surfeurs et aux baigneurs.

Plus ils pouvaient accueillir de touristes, moins le village existait : noyées sous les installations touristiques, les dernières maisons typiques sont devenues des musées ou des boutiques. L'été, on ne les voit plus : elles sont cachées derrière les panneaux publicitaires et derrière la fumée des baraques à chi-chi. L'hiver, elles sont vides, comme les rues.

Les vieux comme mon grand-oncle, qui ont connu le village « avant », ne le reconnaissent plus. Ils l'aiment encore, mais un peu comme on aime encore un défunt. Les touristes, eux, l'auront oublié dans deux ans : ils confondront Péta-au-Shnock avec Perpète-les-Oies, tu sais, là où il y avait cette crêperie trop bonne, ah non ça c'était à Trouducudumonde, c'était sympa mais il avait pas fait beau.

Un village qui décide de vivre du tourisme, c'est une jeune fille qui choisit la chirurgie esthétique : au début, elle est plus belle, et elle croit qu'on l'aime plus. Mais à mesure qu'elle se fait refaire de partout, elle perd toute particularité, toute personnalité, et ce n'est plus elle qu'on aime : c'est l'image que fabrique le plastique qui la compose. Et quand elle vieillit trop pour que le plastique fasse encore illusion, on l'abandonne pour une autre, plus jeune, moins plastifiée, moins momifiée.

Alors elle meurt doucement, seule et abandonnée, en regardant avec envie les autres vieilles qui, ridées, décrépies, cassées, ont encore au moins pour elles d'être encore humaines, quand elle n'est déjà plus qu'un déchet qu'on n'attend que de pouvoir jeter à la poubelle.

Chers villages de France, ne vous laissez pas prostituer par des promoteurs avides, qui n'attendent que de vous habiller en mini-jupe et de vous maquiller à la truelle avant de vous jeter dans les bras des foules gluantes de juillet et d'août ; repoussez leurs avances immondes, préférez vos habits usés et vieillissants à leurs faux cuirs et leurs fausses fourrures. Restez sauvages mais fiers et dignes. Et si vous devez mourir, que ce soit de votre belle mort, et que votre cadavre engraisse au moins la terre, quand ceux des malheureux ayant cédé aux sirènes du tourisme ne pourront jamais que la polluer et la rendre stérile.


Fin de la Nouvelle-France (1689 – 1763)
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