Grandeur du petit peuple
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Dans Grandeur du petit peuple, Michel Onfray manie l’oxymore imitant, lui l’athée, la litanie des Béatitudes « Heureux les pauvres de cœur… », ou encore l’invite christique « Les derniers seront les premiers. » Faut-il croire au ralliement de l’auteur du Traité d’athéologie au christianisme et à sa conversion au précepte évangélique du primat du petit qu’il faut servir comme le Christ ? C’est aller vite en besogne et en conclusion hâtive tant notre intellectuel médiatique semble être marqué au fer rouge par les souvenirs pénibles de ses années de jeunesse au pensionnat et la fréquentation des religieux qui étaient aussi ses professeurs. Disons aussi qu’en matière de christianisme, Onfray est à côté de la plaque tant il débite de contre-vérités, d’âneries et de poncifs éculés. Faut-il alors voir dans le titre de son ouvrage plutôt l’éloge de la simplicité, de la petite condition sociale, ou bien une harangue lancée aux puissants de ce monde ? Un peu des deux sans doute. Dans Grandeur du petit peuple, Onfray suit le fil chronologique des événements de fin 2019 qui, pendant de longues semaines, ont été marqués par la révolte et la colère des gilets jaunes. Les GJ, ces « victimes du libéralisme, ces plus modestes, que, depuis 1983 et à marche forcée, Mitterrand a considérablement paupérisés : des riches de plus en plus riches et de moins en moins nombreux, et des pauvres de plus en plus pauvres et de plus en plus nombreux, voilà le résultat de vingt-cinq ans de politique maastrichtienne. »
La France, qui s’est agrégée sur les ronds-points, est celle qui souffre de tous les déclassements : économique avec la mondialisation libérale, social avec son expulsion au fin fond des zones oubliées de la périphérie rurale et péri-urbaine, culturel avec la préférence que les élites politique, médiatique et universitaire ont octroyée aux us et coutumes des populations issues de l’immigration. La France invisible des GJ constitue d’ailleurs une sorte de repoussoir pour les élites progressistes qui la jugent trop patriarcale, trop blanche, trop chrétienne, trop rivée à l’ancien monde. Le mépris ahurissant dont elle a fait l’objet est la preuve de ce qu’il eut été préférable aux yeux des élites qu’elle demeurât absente des radars et acceptât sans broncher sa lente agonie. Les ploucs, les fumeurs de gauloises, les irresponsables qui roulent au gazole, les déplorables (mot d’Hillary Clinton pour qualifier les électeurs de Trump) sont sortis, grâce à la contestation, du maquis de l’indifférence. Ces bêtes un peu sauvages mais pas bien méchantes tinrent en haleine le pays pendant de longs mois au moyen d’une fronde aussi déterminée que légitime : « Les gilets jaunes savent bien que la transition écologique invoquée pour justifier les augmentations de taxes, c’est très bien, mais comment fait-on sans voiture quand on habite une ville qui n’est pas équipée de transports en commun ? Le boulanger du Cantal devrait-il faire ses livraisons en métro ? L’infirmière bretonne, ses visites dans la campagne du Trégor en tramway ? Le plombier, ses déplacements dans le bocage ornais avec ses outils en train de banlieue ? Et le visiteur médical de Corrèze, devrait-il faire ses milliers de kilomètres mensuels en trottinette électrique ? Sinon à vélo pour les urgentistes d’un village des Pyrénées ? La femme qui va accoucher dans les Ardennes devrait-elle se rendre à la maternité en rollers ou en skate ? La France ne se réduit pas à une poignée de mégapoles : Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux. Car, après, en dehors, au-delà, en plus de ces villes tentaculaires, il existe en France un peu plus de 35000 communes. Des millions de gens vivent à l’extérieur des mégapoles : peut-on exiger d’eux la trottinette de la transition énergétique comme horizon indépassable ? »
Les politiques et les médias ont tout fait pour discréditer le soulèvement et ses instigateurs jugés incapables de formuler la moindre proposition intelligible. Pour rendre le mouvement définitivement détestable, il fallait encore lui donner la couleur de la violence. Ce qui fut accompli par le truchement des black blocs et autres mouvements d’extrême-gauche diligentés en hauts lieux pour casser l’image bon enfant de l’alliance béret, baguette, barbecue, rond-point, France des villages, bon sens, bien vivre, décence. Ah, quand on dit que la tyrannie « douce » et antidémocratique est bien arrimée au sommet de la République…
La politique libérale de la droite et de la gauche est responsable de la disparition progressive de la classe moyenne. Nos hommes politiques ont suivi docilement le mouvement de la globalisation destructrice imposée par le monde marchand anglo-saxon. Ce constat de la tragique désintégration des classes populaires peut s’établir dans de nombreux pays occidentaux, au-delà de la France. Cette classe moyenne, constituée des employés, ouvriers, agriculteurs, petits commerçants, artisans, fonctionnaires, a pourtant le poids démographique le plus important, comparativement aux autres catégories sociales. Et elle a participé activement au mouvement des GJ. Et elle vote populiste le plus souvent. Par un syllogisme évident, on peut donc affirmer qu’elle incarne la vision majoritaire de la société et qu’elle devrait, à ce titre, être écoutée des élites et faire l’objet de réelles attentions. Il n’en est malheureusement rien.
La vague populiste ne se traduit pas encore concrètement dans les urnes en France. Contrairement à la Russie de Poutine, aux Etats-Unis avec Trump, dans la Chine communiste et libérale dirigée par Li Xinping, au Brésil de Bolsonaro, dans l’Angleterre brexitienne de Johnson, en Italie avec Salvini, en Turquie avec Erdogan, dans la Hongrie de Orban. Il ne reste presque que la France, stupide géant aux pieds d’argile et pusillanime, pour ne pas défendre son modèle de civilisation, son identité, sa souveraineté, trois notions totalement imbriquées les unes aux autres et fondamentales sur le sujet brûlant de son avenir. Curieux, mais peut-être pas définitif.
Onfray prend fait et cause pour le bloc populaire et fustige le bloc élitaire. On ne peut lui donner tort tant la classe dirigeante, depuis des décennies, fait preuve d’incompétence et d’inconséquence. Le girondin proudhonien, qu’il dit être, ne voit que par la loupe du peuple. Cette surpondération populaire dans l’analyse n’est pas mauvaise en soi, si et seulement si on n’omet pas la nécessité de disposer, pour toute société viable, d’une aristocratie, d’une élite. Bien sûr, cette élite est à redéfinir, elle ne ressemble en rien à celle qui gouverne. Elle puiserait plus sûrement ses modèles dans les hautes figures de l’histoire de France avec ses rois, ses reines lumineuses, mais aussi parmi quelques-uns de ses dirigeants d’après la révolution française. Le point commun de ces grands personnages de notre histoire ? L’amour inconditionnel de la France et de son génie dont ils furent les plus hauts représentants et les défenseurs ardents.