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Mise en ligne L'Art d'écrire


Écrire

Écrire

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Ta voix dans le désert n'aura jamais hurlé. Pas besoin de rescousse. Tu n'abandonneras aux oasis que ton pas de fuite. Là-bas, tu vois monter de petites Babel. Tourettes d'orgueil où le poème s'obstine rime en l'air, pareil à un oiseau aux ailes mesquines qui rêverait de survol. Fumeuses guirlandes, savants mirages. Du perlimpinpin sous le sabir… Les siècles ont fini de trembler sous l'assaut d'un seul vers.

Il ne faudrait frayer que les chemins de l'inquiétude, cultiver le goût de l'anomalie, maudire le parfait des formules, la rectitude des vecteurs, la certitude des terminus au bout de la flèche.

La vie est la preuve que la vie ne suffit pas… Malédiction des organes qui t'arrachent aux nostalgies d'un inouï astral dont tu rêves encore de porter la trace. Humain trop humain… Tu n'es qu'une énigme sourde aux forces qui te lisent… Un précis de volatilité qui ricane sous l'armature de tes os. Tu es ton propre intrus, l'égaré de ton fourbis anatomique.

Laisse passer à travers la chaude hémoglobine, le mystère qui la pulse. Tu n'as pas le choix. Ceux-là, comme toi, mourront avec d'Indéchiffrables faims au fond de leurs tripes… N'aimer que ceux restés fidèles à la somme de leurs incorrigibles. Poètes de forte trempe. Dans leurs yeux, le feu des torches.

Écrire encore, puisqu'il le faut, puisqu'il n'y a plus rien d'autre, puisque la vie est une lanceuse de poignards dont tu es la cible mouvante. Emouvante s'agite le poète au petit pied fier de son addendum, le petit faiseur de choses exquises pirouettant comme un chien amadoué au sucre.

Écrire, tant qu'à vivre et tant qu'à mourir. Tenir l'assassin à distance. Embrasser les vivants et les morts, le muable et l'immuable, le fugace et l'éternel au bout de ses sens dont on ne sait qu'un chiffre à l'abri de l'illimité.

Écrire. Tenter de cerner son "détail". Il paraîtrait que le diable s'y niche… Laisser venir les mots dans le désordre. Se mettre en état de poème. Réhabiliter les Enfers puisque l'Eden ne donne rien et que n'ont de pitance pour les poètes que les paradis perdus. Ecrire. "Et pour cela préfère l'Impair", évidemment. Ecrire dans l'inconfort, contre la douceur des coulées, la berceuse mortifère des fluides. Ecrire contre le chant des violettes. Ecrire dans le sens des aciers. Et comme en amusette, dire l'amour, ses chairs irrépressibles, ses baisers redoutables, le sourd tempo des souffles sous la peau des chamades. Passer aux noblesses minérales. Dire la tendresse méconnue des pierres, le sombre azur du métal. Voyager. S'inscrire dans le zigzag. Partir des fureurs préhistoriques, et d'un bond bien encré en liqueur de Chine, atteindre les castagnes célestes.

Écrire. Repousser la tasse et le verre, déblayer la table des miracles, celle qui reçoit ta main en dépôt et la guide vers la voie des pixels et des claviers rapides. A moins que le papier… Indigent, forcément, comme les écrans qui attendent qu'on les crève…

Mais au-delà de la trouée, l'écriture poursuit la jetée interrompue et trace le profil des monts et merveilles que tu n'auras pas vus, s'insinue dans le grain des peaux à jamais dérobées. Tu connais le grand peuple de ta mémoire fantôme. Fleuves rouges, mers gelées, orgues noires des abysses, silex aux veines pâles. Derniers gris-gris de la terre.

Sortir. Prendre à la gorge le cygne qui retient ton chant au fond de sa si douce faucille, ou le laisser incliner sa grâce vers la vase d'un canal dont ton oeil a perçu ce matin le museau aigu d'un rat, striant l'eau dans le sens inverse de l'oiseau.


Écrire sans bagage ?
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L'acte d'écrire
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Mauvaise NouvelleActe III
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