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Iran, le pays des Roses noires – 23 mai 2015

Iran, le pays des Roses noires – 23 mai 2015

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Iran, le pays des Roses noires – 23 mai 2015

Samedi 23 mai, Yazd

Yazd est une oasis entre dacht-e Kevir "Grand désert salé" et dacht-e Lut "désert du Vide". Nous n’y arrivons qu’en fin de matinée. J’aurais préféré partir dès potron-jacquet, mais Marc a sans doute eu raison de nous ménager un repos plus long alors que nous n’en sommes qu’à la moitié de notre séjour. Le soir même, nous repartons de plus par un autocar de nuit pour Chiraz. À l’hôtel Oasis, à l’entrée de la vieille ville, nous laissons nos sacs à dos et ne gardons que ceux contenant les valeurs, grâce à l’entremise de notre chauffeur (le mot a été emprunté par le persan comme par le russe). Il prétend n’avoir appris l’anglais qu’à force de convoyer des touristes, et sa maîtrise en est réelle. Sur le toit de cet hôtel, la vue à 360 degrés est impressionnante sur la ville de pisé à l’aspect futuriste. Dômes de terre de Sienne un peu passée, bâdgirs (que l’on peut aussi traduire par "tours d’aération") qui permettent d’abaisser de près de quinze degrés la température d’un logement, hautes montagnes au loin, désert nu (erg?) dans l’intervalle; le sommet le plus élevé d’Iran culmine à plus de 6 000 mètres. Ce n’est pas la ville la plus jolie d’Iran, mais c’est l’une de celles dotées du plus de caractère. D’autant plus que c’est là que les zoroastriens d’Iran sont les plus nombreux (beaucoup de ces guèbres, appelés précisément parsis, ont émigré anciennement aux Indes). Dans les figures, les vêtements, l’influence de l’Est est visible: chalouar kamiz pakistanais, barbe à l’afghane, etc.

 

Tours à vent, Yazd

 


Le musée de l’eau

Je confonds d’abord la mosquée du Vendredi avec le pichtaq "portail à voûte monumental" du tekieh "théâtre" du XIXe siècle (AD [en l’année de Notre Seigneur], non AH [année de l’Hégire] bien sûr; la différence est de 621 ans en 2015). Le mot de tekieh m’évoque plutôt une sorte de monastère islamique en Albanie, où les bektachis forment l’une des pléthoriques sectes chiites. On parle aussi de hosseiniye, du nom d’Hussein, troisième calife et emâm, qui fut massacré à Kerbala par la faction qui deviendra sunnite, de l’arabe sunna "tradition". J’espère ne pas (trop) les confondre… Ces spectacles édifiants commémoraient son martyre. Et chaque année, lors de la "fête" de l’Achoura, connue en Occident par les images des flagellants ensanglantés, les Yazdites se relaient toujours pour porter le Nakhl, structure invraisemblable de bois d’au moins dix mètres de haut (de long). De forme oblongue, il est exposé au milieu de la place Amir Chakhmaq et représente le cercueil du châhid. Sur cette même place, nous achetons à la pâtisserie Hadj Khalifeh Ali Rahbar les premières douceurs du voyage. À l’orientale, elles sont beaucoup trop sucrées, mais celles semées de pistache sont exquises.

 

Pichtaq du tekieh, Yazd

 

À proximité se trouve le musée de l’Eau, enjeu considérable dans l’une des zones les plus arides au monde. Il s’y trouve de la vaisselle de zinc ou laiton, et surtout des photographies des ouvriers des qanats au travail. Il s’agit d’ingénieuses conduites d’eau souterraines, permettant en plus de répartir le flux entre les villages, voire de réguler le débit. Je n’ai rien compris en revanche au fonctionnement de l’horloge aquatique grâce à laquelle chaque famille s’en servait un même laps de temps! Nous passons non loin du bogheh-ye Sayyed Roknaddin, mausolée récent, mais dont la coupole très basse et turquoise, certes un peu criarde, présente l’intérêt de surmonter une bande où la faïence de même ton alterne avec les briques crues, offrant par là une ingénieuse transition avec le corps du bâtiment.

Un occidentalisme onirique, voire érotique

Nous gagnons ensuite, à bonne distance, l’atechkadeh (XXe s.). Il s’y trouve une assez longue présentation de Zoroastre et de la foi de ses fidèles. Le farvahar, symbole de cette foi, mieux connu pour être aujourd’hui le symbole des Assyro-Chaldéens ou du nationalisme iranien non islamique, représente un vieil homme dans un disque et tenant un anneau. L’un des ronds figure la promesse ou l’alliance. Je n’ai pas compris la signification des ailes, mais les trois rangées de rémiges de la queue figurent les bonnes pensées, les bonnes paroles et les bonnes actions. Les deux liens en escarboucles partant respectivement en bas à gauche et en bas à droite représentent enfin le bien et le mal. Derrière une vitre, une torchère portant une vasque du même métal contient le feu. Il est alimenté jour et nuit en bois, notamment d’amandier et d’abricotier.

De retour au centre, nous visitons également le khân-e Lari où je trouve des photographies anciennes et découvre que l’orientalisme de nos artistes du XIXe siècle a son pendant dans un occidentalisme tout aussi onirique, voire érotique. Le maître des lieux s’était fait aménager un cabinet dont le plafond et le haut des murs sont tapissés de peintures qui fourniraient des illustrations aux oeuvres de Maupassant : bourgeoises françaises à la peau très blanche, enfant jouant dans une cour de ferme avec des chatons, etc.

 

Plafond occidentaliste, khân-e Lari, Yazd

Une souricière

Mais la vieille ville est décidément une souricière: nous ne parviendrons jamais à retrouver le très engageant café Mehr. Le dîner une fois reporté, nous avons encore le temps d’apercevoir la prison d’Alexandre et le tombeau des Douze emâms. Ce sont deux jolis édifices cubiques très sobres, sur une placette bistre. Le Macédonien n’a pas dû voir Yazd, mais cette trace est émouvante. Marco Polo nomme en revanche cette étape de la route de la Soie dans son Livre des Merveilles. Retour à l’Oasis. Nous y sommes abordés par Mojdeh "bonne nouvelle" et son amie dont je ne parviens pas à me rappeler le nom, persan, voire perse ; elles nous conseillent pour notre itinéraire. Les routes sont plutôt bonnes en Iran, mais se déplacer en autocar, avec un circuit hypothétique, demande un peu de travail… Elles sont professeurs d’anglais récemment diplômées, chirazi, mais étudiantes à l’Université de Yazd. Nombre des jeunes gens que nous rencontrons étudient l’anglais, c’était déjà le cas de Jaffar à Qom. Je n’ai pas eu de succès avec mon invitation à dîner. Une histoire de type à ramener ou revoir, et il est sans doute périlleux ici de dîner avec des étrangers à sa famille et à son peuple. Mais nous nous sommes fixés rendez-vous le soir même, peu avant minuit, pour prendre l’autocar de nuit vers Chiraz. Mojdeh s’est renseignée et nous a déconseillé de nous faire déposer par le chauffeur à Persépolis, une demi-heure avant Chiraz. Le site serait de toute façon fermé. Dommage, dormir à la belle étoile au pied des taureaux ailés eût été le clou de notre voyage…

 

Coupole de la prison d'Alexandre, Yazd

 

 

Mausolée des Douze Emâms, Yazd

 


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