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Le Petit-prince futur

Le Petit-prince futur

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Verrons-nous un jour, et croirons-nous que toutes ses planètes dans l'univers ne sont laissées à l'homme que pour qu'un de ces matins, nous le retrouvions seul, éparpillé, un homme après l'autre, possédant tous une planète ; ayant chacun les moyens de s'alimenter, de se reproduire et de vivre bonnement. Vivront-ils immortels ses hommes-là immortellement assouvis ?

Journal, vendredi 22 aout 2019.

Je suis le Petit-prince futur. Je me lève le matin, sortant sur le palier de ma propre Terre et nul autre à l'horizon qu'un soleil qui nous soit personnel comme vous aviez autrefois une ampoule. Lorsque je m'informe de la vie que vous meniez à votre époque ; que j'allume un ordinateur qui ne ressemble plus du tout au vôtre mais qui n'est pas si loin de ce que vos arts ont imaginés – tant de siècles nous séparent ! Ce qui est vrai c'est que nos ordinateurs n'ont plus de « claviers » ; ne sont pas même « tactile » ; je ne parle pas à voix-haute pour donner mes requêtes – il me suffit de penser à ce que je rechercherais sans jamais passer néanmoins une commande « ouvrir une page » ; « fermer une page » - il ne suffit plus que de l'intention de vouloir, et sitôt l'ordinateur qui n'est pas en moi (comme vous pensiez alors que votre futur se passerait), tous vos transhumanismes et ses choses qui ne furent qu'une étape ; ses implantations cervicales de vos micro-puces et qui devaient soi-disant vous faire entrer dans une ère nouvelle ; ne furent en vérité qu'un premier pas et l'on se rendit compte bien-vite, pour les choses économiques – que fabriquer, qu'installer tout un dispositif dans chacun de vos nouveau-nés fut une bêtise – et que le coût, le remboursement reconnu d'utilité publique par chacun de vos états, fut absolument astronomique – dès lors vous aviez compris que la chose fut plus simple : il faut laisser l'homme à l'état de nature et que chaque spermatozoïde soit élevé dans la même disposition que le précédent ; la même infrastructure ; et qu'il sorte de la même naissance.

Je ne puis pas dire que vous aviez alors beaucoup plus de chance que nous – lorsque je nous compare, je veux dire : vous aviez des « parents », un père et une mère ; il fallait vous accouchez et parfois cela créait bien des problèmes ; ne songeons même pas à l'éducation que vous receviez et qui changeait selon vos us et coutumes - nous autres avons choisis depuis longtemps et la chose est bien simple : nous ne sommes plus éduqués par nul autre que nos « désirs » et nos intentions. Lorsque j'essaie de mieux voir, d'interroger vos manières de penser ; je me dis que vous aviez alors beaucoup de fourvoiements, beaucoup de choses qui vous empêchaient d'y voir clairement – ne saviez-vous pas, ne vous l'a-t-on jamais dit que vous étiez des hommes qui cherchaient désespérément à être seul ? Que vous vous agitiez bêtement, parfois avec férocité à rechercher la solitude et que votre place en humanité vous désorientait ?

De si loin que je vous regarde je le comprends très bien. Vous êtes une masse de solitude. Le nouveau-né ne pleure-t-il pas un peu parce qu’il est arraché à son propre monde ? La mère qui « met au monde » enfin n'est-elle pas bien heureuse de retrouver sa solitude ? D'enfin avoir un homme à vif avec qui elle puisse interagir, c’est à dire, se mettre à distance ? N'est-elle pas heureuse que son enfant qu'elle portait en elle et qui ne lui donnait que des à-coups qu'elle ne percevait pas autrement que « des coups dans mon ventre », n'est-elle pas heureuse d'humaniser un peu sa propre chair, de se délester ? De lâcher plutôt ce poids-moral, cet impératif qui fut autrefois bien de chez vous et qui permettait la procréation. Lorsqu'enfin votre femme a mis bas – ce qu'elle a de bonheur d'entrer enfin dans une vie en perdant ce poids de l'ordonnance, des bonnes mœurs – enfin ! C'est à l'écart des sermonneurs qu'elle se retrouve bien seule et à son aise.

Lorsque l'enfant grandit, qu'il réclame sa chambre, qu'il s'éloigne de vous dans quelques promenades – que dans ses jardins, dans ses forêts il se construit une cabane ; qu'elle est le mot qui le dirige ? La solitude.

Quand vient le temps de se faire des amis ; faut-il qu'il s'en fasse pour que vous autres parents ne soyez pas alarmés et ne lui réclame plus encore – pour être seul il s'en fait. Mais voyez jouer vos enfants ! Ne parlons même pas de « cache-cache » ou de « police et voleur » ; et combien encore choisissent d'être le voleur pour échapper, pour s'échapper. Que faire de ceux qui jouent le policier et qui recherche ? Parce qu’ils ne veulent pas être trouvés. Lorsqu'il s'agit de battre la campagne ou le lieu de leur amusement ; de rechercher leur ami qui se cache, le loup et le policier sont très seuls ; et lorsqu'ils sont deux ils se séparent le plus souvent pour couvrir le plus de terrain, en fait pour être seul. On n'aime pas le temps, il n'y a pas de temps limite (c'est donc qu'il n'y a pas de fin à leur désir d'être seul) ; l'un des policiers se promène – l'autre veut être efficace, pourquoi donc ? Il se met à courir, à poser ses yeux au-dessous de chaque muret pour qu'enfin, éliminant, éliminant, il soit bien seul ou plutôt, il se presse de trouver pour rejouer le rôle du voleur. Ou bien le policier est-il si efficace qu'il veuille trouver pour son désir de vaincre ; de gagner ; de l'emporter – d'être seul au-dessus des autres et ce faisant bien-meilleur ; les autres le mettant au pinacle et dans sa primauté le rende seul. Lorsque l'un de vos enfant qui joue à se battre : « je vous prends tout seul » ; il réclame son individu et sa solitude et vous contre. Lorsque l'un d'eux « non, tout seul ça va être trop dur » - il sait bien que plus on est proche et plus on est seul, plus on est fondu dans un groupe et plus on se désolidarise ; plus on laisse sa responsabilité et plus on profite de sa solitude tandis qu'on l'a fait perdre à d'autres ; chacun tour à tour se passant le bâton de Moise.

Toutes vos foules ne sont que des hommes éparses qui ne veulent pas être le centre de l'attention et s'échinent pour qu'enfin à genou ; nulle ne puisse les voir et qu'ils jouissent enfin de leur solitude.

Si les enfants aiment tant l'eau ; c'est que l'étendue est lointaine – pareillement si vos hommes sont allés à d'autre continent ; vos terres promises ne furent que des terres d'émancipation des autres hommes, de solitude. Lorsqu'ils revinrent à leur pays, tant-Dieu furent déçu de savoir que les sauvages habitaient les lieux inconnus et que jamais leur solitude ne serait comblés – ils revinrent donc pour s'arranger plus aisément avec des gens qui parlaient leur langage, avec qui l'on marchande une solitude de civilisation. Ceux qui sont resté chez les sauvages n'auront jamais parlé que par des gestes ; leur solitude fut sauve et leur pensée ne fut pas inquiétée par des langues qu'ils ne comprenaient pas. Ils apprirent un jour à dire Bonjour ; mais très-vite et presque instamment ils surent dire Au-Revoir, ou bien Merci, pour remercier bien-entendu et retourner bien-vite à leur solitude. Lorsqu'ils posèrent des questions à leur sauvages ; « comment se rendre là-bas ? » ; « comment puis-je vous aider ? » - n'étais-ce pas une fois encore, le désir de s'intégrer qui devint plus prégnant de jour à jour qu'ils se trouvait à leur ville nouvelle ; pour chasser les regards et l'attention qu'ils se résolurent à défaire un peu leur solitude pour qu'enfin mis au ban, possédant un travail ou que-sais-je on puisse les appeler des « frère » ; des « monsieur » - enfin, des personne à qui l'on permettait les impairs ; c’est à dire l'éloignement, la solitude. Ainsi tous vos hommes furent soumis par dizaine et centaines et milliers, d'un jour ou l'autre se donner pour ne pas qu'on les prît. Et le point d'interrogation n'est-il pas ce point qui se dresse et qui se tord amèrement ; et dont l’extrémité n'a qu'un but – retourner à l'origine, ce point qui est seul et qui n'est pas même rattaché à son corps qui s'étend : ? ? ?. L'interrogation n'est qu'un instant ; tout finit par se résorber et par redevenir seul.

Revenons aux enfants ; s'ils aiment l'eau c'est que l'étendue est lointaine. S'ils aiment la plage c'est que vous êtes dans l'eau. S'ils s'amusent à se lancer des vagues ; l'un d'eux rechigne puisqu'il ne veut pas qu'on l'importune, il veut barboter et être seul. Si l'un attaque c'est pour qu’évidemment on ne le prenne pas à défaut de vouloir une solitude ; par correction que ses parents n'entrevoient pas ses pauvres enfants « qui ne font rien » - c'est aussi par jalousie du barboteur que le premier attaque ! Que la solitude est difficile une fois les yeux dans les yeux ! Pour la reconquérir il faut s'accoupler, se permettre ; et donc se lancer de l'eau. Comme il sera heureux cet enfant, une fois qu'enfin la bataille entamée ou chassé l’énergumène qui rechigne ; il soit enfin bien seul ou noyé, ou noyant sous les eaux. Beaucoup entendent qu'il faille partager cette solitude lorsqu'on est deux ; sinon l'être qui est seul à être seul est un importun ; et l'autre est en attente.

Ils seront trois un jour à se lancer de l'eau mais l'affaire est réglé ; l'un qui abandonnera le premier et que fera-t-il alors ? Il regardera l'horizon, il regardera la plage – il en aura fini de la solitude inquiète des deux autres, il aura partagé un instant pour ne pas être tancé ; et son regard sera perdu au loin. Il verra le bleu du ciel ; il verra les gens sur la plage, ceux qui jouent aux ballons ; ceux qui mettent leurs parasols ; mais toutes ces choses ne seront qu'à lui. Toutes ces pensées sur les autres ne seront que le qui-vive de sa solitude ; que sa mise en garde ; armes et lois dont il sera une altesse.

Et vient alors ce moment où vos enfants ressentent le désir amoureux ; ils voient passer un joli visage et aimeraient l'embrasser. Qu'est-ce au juste qui leur donne cette envie ? C'est encore une décharge de la solitude ; c'est encore cette manière ; à ce moment où ils auront vu ce visage, et l'imaginant à diverses façons – ce sera l'accomplissement de la solitude que l'accouplement : de la solitude mûrie, macérée, mise en tête – fantasmée sur des heures et des jours.

On s'attire à l'autre pour ce qu'on l'imagine et vos chers enfants à qui vous ne pourriez jamais convenir qu'ils ont de l'entendement ; très certainement s'imaginent et leur solitude et leur fantasme. Ce qui rend le visage beau c'est qu'on le croit possible ; ce qui le rend laid c'est qu'on l'a trop connu. Et ces enfants qui dans les autres ont en vérité pour portrait-type de la beauté ; le visage de leur parent ? C'est que leur solitude fut si pleine ; et leur désir de s'accoupler si grave qu'ils n'auront pas tenus une seconde à trouver un visage tout autre ou trop dissemblable. Le fantasme et la solitude sont une même pièce et nulle face n'est l'envers de la médaille.

Le spermatozoïde qui se dirige vers l'ovule est mû par la solitude et par le fantasme sexuel ; rien ne prévaut à l'autre.

L'enfant qui aime un beau visage ; son fantasme sexuel ; sa solitude l'alimente. Et parfois sa solitude est alimentée par son fantasme. Vos masturbations ne sont faites la plupart du temps que lorsque vous êtes seul, que pour la solitude. Sans quoi, vous les donneriez en public.

L'amour ne saurait naître si nous n'aimions pas seul.

Une fois en couple ; n'est-ce pas pour être seul que je vais allez-voir ma promise et lui demander ce qu'elle peut faire ? La question répondue et savoir qu'elle est occupée je pourrais ensuite, dans la quiétude, retourner à mes morpions.

Ai-je assez montré que vous autres vouliez être seul depuis toujours ? Que vous fîtes des tribus ; et dominèrent les autres pour être seul un jour ; faire valoir votre culture pour vous faire accepter le plus facilement ; pour que votre solitude soit admise ? Vous avez toujours jouis pour être seul ; si ce n'était la parodie sociale, la parodie du travail – vous seriez reclus chez vous et plus encore que cela si le monde ne vous demandait rien ; vous seriez seul à votre plaisir.

Je vous parlerais de chez moi : me voici assouvi en toute chose, immortellement assouvi – je veux manger qu'alors se met en route une machinerie sur ma planète ; la voici alimenter par le soleil – la machinerie cassée qu'elle est instamment réparé par une autre qui est indépendante de l'énergie de mon astre domestique. Se pourrait que mon soleil disparaisse ; que j'aurais de quoi en créer un nouveau. L'état de toute la matière est assujetti et nous sommes devenus dans cette dimension ; absolument assouvis – lorsque je veux faire l'amour ; un clone et je donne mon besoin – et voilà que je le ferais mourir aisément sans regret ; le clone n'étant pas du vivant.
Toutes les envies sont comblées – nous n'avons plus à être humain puisque nous voilà seul.

Il n'y a que la fin de mon univers domestique qui me ferait mourir ; « je suis né depuis le matin du monde et je ne m'éteindrais qu'à la chute de la dernière étoile. »

Je suis le Petit-prince futur ou le prophète de la solitude.


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