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Une saison sous la mer

Une saison sous la mer

Par  

Je ne sais plus.
Quand ai-je choisi
de payer de poèmes
ma vie,
pour pouvoir la prolonger.

Payer l’électricité,
le riz
un loyer
l’école de mes fils
le savon
le maïs et le pain

Ce que je sais,
c’est qu’à chaque fois
que je propose un poème
pour me sauver la vie
il en est, chez les amis
comme les commerçants
qui me disent non,
comme si la poésie
était indigne,
et ne valait pas l’argent
que je n’ai pas.

Ce don de soi,
cette charge de travail,
ce temps courbé sur des feuilles
à quatre heures du matin
ou quatre heures de l’après-midi,
on les veut pour rien
comme un cadeau,
comme, pire, un dû.

Mais la poésie n’est à personne.
Elle se passe, se confie,
se chiffonne
et se perd,
elle n’est la bonniche de personne,
et personne n’a de droit
sur elle.

Je ne peux pas l’offrir,
je ne peux que l’échanger,
comme l’argent qui file,
et qui, ayant à peine touché
ta paume ou ta poche,
a déjà repris le chemin
de ton boucher ou du percepteur.

Ma poésie n’est pas à moi,
elle me vient d’ailleurs,
je travaille à la faire venir,
et m’emploie à la faire partir,
ma poésie n’est pas à moi
parce que je ne peux te la donner.

Prends ce poème, et laisse-moi repartir avec
ce vin, ces patates et cette bouteille de gaz :

UNE SAISON SOUS LA MER
Ô, j'ai bien vu chuter depuis le canadair
Capturés par erreur dans trois ou quatre étangs
Les scaphandriers bleus, plongeurs en panne d'air
S'éventrant au corail, plus planes qu'un flétan
 
Le masque entre deux eaux, l'homme-grenouille adresse
Au baigneur fatigué son gant couvert de mousse
L'automate imbibé, flasque en son battle-dress
Joue les épouvantails, le ressac à ses trousses
 
Le champ qu'il supervise est du vert des bouteilles
Qu'on fracasse avec joie sur le coin des navires
Pétrifié sous la vase, il perçoit les soleils
Filtrés par les litrons du bourbier à gravir
 
Un crabe violoniste habite dans sa palme
La pince du minus prélève des charniers
Sur le pantin rouillé qui observe avec calme
Le corps d'une nageuse, ainsi que l'araignée,
 
Se battre dans la boue, sentant monter la crampe
Ses chevilles piégées par un filet maillant
Bientôt la lutte cesse, on croirait l'hippocampe
A la nuque arrondie, pieds liés, s'agenouillant
 
La fille ondoie au large, à dix brassées de lui
Le soir tombe et un phare éclaire au lumignon
L'étrange ballerine argentée dans la nuit
Les prédateurs curieux reniflent son chignon
 
Un courant chaud parfois les rapproche tous deux
S'il pouvait seulement tendre encor plus sa main
Et tirer sur le fil pour attraper un peu
Ce merveilleux ballon, ce joli zeppelin
 
Il existe non loin un récif, un atoll
Une villégiature où le sable est moins brun
Ils auraient pu y jouir, entraînés par Eole
Je l'ai croisé jadis, dans mon noir sous-marin

Tu regardes la mer
Tu regardes la mer
Mer de vinaigre
Mer de vinaigre
Ode au Cinquième Empire
Ode au Cinquième Empire

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