Avec des "si" on mettrait Paris en bouteille !
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Avec des "si" on mettrait Paris en bouteille !
- Un rendez-vous au Vert Galant -
Presque nuitamment. Et sous une petite bruine qui fait briller les diamants du quai des Orfèvres… Enfin, je trouve la bonne adresse !
Ils sont là ! Les amis sont là ! Avec leurs silhouettes d'être là. Juste derrière la vitrine.
La vitrine, elle ne paie pas de mine, mais elle donne sur une pièce traversée d'un filon de présences historiées.
Parmi les anciens usagers des lieux, on compte, parait-il, un certain Yves Montant… Alors que la co-organisatrice de la soirée nous fait visiter les coulisses des lieux par quelques portes dérobées ; qui, un petit débarras rempli d'objets ménagers ; qui, une cuisine étroite terminée par une fenêtre… un détail retient toute mon attention :
Là, sur la table de réception. Des bouteilles de différentes formes sont posées dessus. Parmi elles, une bouteille nommée « Aude ». Étrange nom pour une bouteille ! vous ne trouvez pas ? Que fait cette bouteille ? Et si cette bouteille était la bouteille sans laquelle, avec des si, on mettrait Paris en bouteille ? La fameuse bouteille de l'expression, quoi !
D'autres convives rejoignent notre premier groupe. Les bulles de champagne montent dans les verres à silhouette d'oiseau. Si je voulais jouer sur les mots, je dirais que des verres, il y en a de bien des manières écrites ! Si ! si ! je vous assure ! des VERRES ! Un VERT Galant (nom de la galerie où nous sommes) ! Et aussi un VERT de peinture, celui qui verdit sur les tableaux exposés sur les quatre murs de la dite galerie.
Des tableaux coruscants… tout à fait ! Je me rapproche d'eux et les sculpte d'un œil attentif et baladin. Je les glisse une à une sous mes paupières ; elles rêvent désormais sous les rideaux de mon âme. Et renaîtrons, un jour peut-être, sous forme de poèmes…
Bref, ce soir, je connais plusieurs ivresses. Tout d'abord, l'ivresse de reconnaître les convives sans vraiment les connaître …
Et l'autre ivresse, bien sûr, est celle qui incombe aux gens non habitués à boire.
Que dire de cette ivresse-là ? On aurait dit que les convives marchaient dans un bateau qui tangue au grès du taux d'alcoolémie variable de chacun. L'un des convives a bu trois verres d'affilé… Je le connais, ce coquin ! - C'est mon voisin qui me l'a dit et il parlait de son voisin qui était moi ; c'est dire !
Et puis… soudain, Maximilien (l'animateur de la soirée) prit la parole…
Un vrai orateur, ce Max… Un vrai ! Il applique, on le remarque, la technique du plongeon dans le dire… cela consiste à ne pas trop préparer son texte. Et de plonger tout en se raccrochant aux filets de ce qui se passe autour de soi. Là, juste devant l'auditoire. On plonge dans l'eau du dire, quoi ! Et la grâce agit de surcroît…
« Nous allons crever » dit-il !
« Nous allons crever ! » Un Max au accent plus célinien que jamais ! Et je dirais même un Max célinien apostolique !
D'autres convives entrent dans l'espace. Et forment presque spontanément de petites grappes de-ci, de là… et cela forme des îlots de fréquence psychique. Ici, une grappe de raison ; là, une grappe de raisins ; ici, une grappe d'oraison…
Les regards se croisent et se questionnent : mais qui est qui ? Et qui fait quoi ? L'art de reconnaître l'autre sans le connaître… Est-ce cela la sociologie parisienne ?
Sans l'art, sans la beauté, sans la joie de se retrouver, j'aurais sans doute manqué quelques halos lumineux autour des choses… Quelques îles flottantes dans l'air.
Il faut dire que ce soir-là, je suis arrivé avec une de ces migraines qui ne dit pas son nom. Même pas une vraie migraine. Plutôt, un état de saturation métronique, de codes urbains et d'écrans de téléphone. La vampirisation de l'hyper-urbanité…
Et oui, cela arrive le mal de tête à Paris ! Cela arrive !..
Mais… mal de crâne ou non… je crois de plus en plus que l'Art ne parle pas au "moi" mais au "roi" qui est en nous. Il parle à ce « nous-collectif » qui est, aussi, une sorte de roi…
C'est terriblement troublant de savoir qu'un roi habite en nous, n'est-ce pas ? Surtout en plein milieu d'une Res Publica fondé sur la mort des rois !
Le temps passe. Il faut partir et partir vite pour ne pas manquer le métro…
Je fais quelques bises d'aurevoir. À ma grande surprise, une de ses bises tombent maladroitement sur le pouce de ma destinataire. Oui, le pouce !
J'ignore ce qu'est depuis devenue cette bise ?
Un souvenir parmi d'autres ?
Une bague fantaisie ?
Une goutte de pluie d'une "eau revoir" ?
Il n'est pas plus simple de connaître la destinée des bises… que de connaître le destin des pas ! (Il y a des bises et des pas qui servent à la danse, et d'autres non). Et puis, "bise", cela veut aussi dire un petit vent frais soufflant sur l'île de l'inconnu…
Une belle soirée ! Une de ces soirées semeuses de souvenirs. Une soirée de soie et de Ré. Un soirée dorée. Do Ré, comme autant de notes de musique.
Et cette manière florale de dire le temps qui passe…
Cette manière de dire le temps qui passe et qui repasse les couleurs du souvenir !