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Fenêtre sur… Pascal Payen-Appenzeller, un poête d'avant la poésie

Fenêtre sur… Pascal Payen-Appenzeller, un poête d'avant la poésie

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A l'instar de l'augure antique, le poète observe les écritures de Paris. Voit-il les dieux se retirer du monde moderne ? Voire, lui insuffler mission salvatrice d'écrire dans ce retrait divin ? En tous cas, le jour de l'incendie historique de Notre Dame, en 2019, il a vu, en direct, la flèche du navire vaciller sur elle-même…

Au premier plan, posée en équilibre sur des cairns de livres, la maquette des monuments historiques, création des «ateliers de Chanteloube», représente le double de Paris, sa ville «bien aimée» qu'il traverse «à la vitesse de ses yeux».

Par Frédéric Andreu

 C'est dans son appartement parisien que le poète nous a reçu le jour du printemps 2023. Un appartement qui n'est pas sans rappeler un de ces cabinets de curiosités des non moins curieux voyageurs du temps des navires à voiles. On explore son appartement comme la cale d'un bateau rempli d'objets insolites, peintures d'artistes, grilles forgées par Goudji et autres trésors provenant de ces multiples vies antérieures. Les fenêtres sont d'autres tableaux à partir desquelles Pascal, en augure-poète, relève les auspices de Paris. Un 15 avril 2019 il voit Notre-Dame en flammes ! Ce jour-là, «il faillit se suicider » ; d'une autre fenêtre surplombant le cimetière du Père Lachaise, apparaissent ses grands frères, les arbres ! Son imagination voltige de houppiers en houppiers jusqu'à se poser sur la mystérieuse canopée de la parole qu'est le poème. S'il est vrai que les lieux de résidence, les aménagements "intérieurs" disent toujours quelque chose de ceux qui y résident, on comprend pourquoi cet appartement du neuvième étage situé rue du Repos est à la fois un lieu de réception, un musée imaginaire et une cellule d’ermite.

 

Nous le voyons ici, pensif, au milieu des toiles d'Agnès Senga :

Au milieu du cabinet de curiosité, notre échange tourna autour de quelques verres de vin et quelques vers divins. Parmi les phrases saillantes : « Les poètes d'aujourd'hui sont fades, extérieurs à leur poésie. Ils ne haranguent pas, ils n'incarnent pas. Ils sont cantonaux ; ce sont des faux suisses ». On le voit, l'auteur est sans complaisance à l’idéologie de notre temps. Ajoutons que les poètes qu'il fustige n'ont pas de signature dans le sens où le monde qu'ils décrivent ne dit rien d'eux-mêmes et vice versa ; ces derniers demeurent fondamentalement extérieurs. Nous évoquions pourtant des poètes les plus en vue de notre temps, André Velter ou Guy Goffette.

Nous allons voir pourquoi cette affirmation n'a rien de péremptoire ou de frondeuse. Pascal reformule ici ce que d'autres ont dit avant lui, Dominique de Roux en tête. En réalité, les œuvres et les artistes dits contemporains ne représentent rien d'autre que le nihilisme assourdissant de notre époque. Aussitôt publié ou exposé dans l'espace public, un des effets magistériales de l'art est de toujours faire miroir, voire réplique - au sens sismique du terme - aux mouvements telluriques qui traversent la société d'une époque. Dans les périodes d'oppression idéologique comme la nôtre, les œuvres disent davantage l'institution qui cosigne l’œuvre que l'invisible lui-même. En d'autres termes, l'institution se pense elle-même à travers ses œuvres officielles. N'oublions pas que lorsqu'il parle d'art, Pascal Payen-Appenzeller («PPA» pour les intimes), né en 1944, parle du point de vue d'une génération où les femmes étaient encore des femmes ; les hommes des hommes ; le ciel, le ciel ; la terre, la terre. Bref, un temps encore hanté par la loi naturelle. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

Un autre critérium de l'identité est le nom que l'on porte. Le prénom Pascal est lié à Pâques, au passage que sont aussi les fenêtres, et au passeur en poésie qu’il est ; quant à Payen et Appenzeller, ses deux noms de famille, ce sont aussi deux tropismes. Le nom de son père est sans doute à prendre au sens premier, celui du paganisme le plus archaïque, remontant aux sacrifices humains et aux pierres à cupules (dont sa poésie donne le sentiment d'être un équivalent verbal) et le nom d’Appenzeller qui est aussi un des vingt-trois cantons suisses. Que signifie «Appenzell» ? En langue germanique, zell renvoie à la cellule. Comme en Français, le mot désigne tout aussi bien la cellule biologique que la cellule du monastère ou de l’ermitage, micro et macrocosme, quand appen désigne les Alpes. Il y a fort à parier que ce nom tire son origine d’un de ces alpages où les corporations de bergers conduisaient les processions ritualisées de moutons et vaches à cloche. Je disais précédemment que l'appartement de Pascal est un cabinet de curiosité ; c’est aussi un appenzell, une cellule située en altitude, dans Paris.

Il y a donc chez Pascal une tension entre le paganisme chthonien et obscur, dionysiaque, et l’aspiration apollinienne aux clartés célestes. Tout cela se retrouve chez lui - comme en chacun de nous - polarité contradictoire et complémentaire, ombre et lumière, quand son prénom indique la recherche du juste passage, le trait d’union, entre les deux. Ce n'est pas un hasard si, dans un poème qui lui est dédié, les mots augure, rite et mégalithe m'ont été inspirés. Nomen est omen ! Les mots sont présages et certain « savent même de nous des choses que nous ignorons d’eux » (René Char). Ce sont ceux du poème. Les émissions de Radio Courtoisie de Pascal, rares enclaves radiophoniques consacrées à la poésie et aux poètes dans le monde francophone, sont d'autres cellules qu'il tisse avec ses propres fils (au double sens du terme) et ceux de ses invités. D'où la trame très personnelle que prennent certaines de ses émissions.

Le premier métier de Pascal est tailleur de pierres. Encore la pierre brute, celle du mégalithe ou des pierres gravées que sont certains de ses poèmes. Ce métier appartient sans doute au côté payen voire chtonien de Pascal. Il est aussi pasteur protestant, qui est, lui, dans doute un legs maternel.

Pour autant, PPA se dit plus volontiers prêtre en poésie que prêtre en religion. « Ma langue ne sait plus quelle parole porter sur les parvis des églises et devant les peuples rendus sourds » écrit-il dans son Mercure de Paris (page 17). Cette affirmation pourrait paraître singulière, voire sacrilège de la part d'un pasteur, si l'anthropologie ne nous apprenait pas des réalités du même ordre : il n'y a rien d'étonnant à se dire prêtre en poésie puisque tel est précisément l'Homme archaïque, l'Homme des temps premiers qu'est le païen. Pour cet Homme cosmocentré (et non ego-centré), cueillir une fleur est naturellement sacral ; une rencontre est sacrale, observer un oiseau l'est aussi. Le poète serait-il donc un détecteur du sacral plus que du sacré ? On dit en tout cas de ces hommes premiers qu'ils étaient chamanes. Et c'est bien ce que PPA dit de lui-même.

En fait, nous savons que la césure sacré/profane est apparue historiquement au détriment du sacral cosmique ouvert à tous (et donc non réservée à une caste sacerdotale) celui de l'augure, du songeur et de l'aède. L'univers était perçu comme le séjour des dieux, et l’ « Homme, le berger de l’être » (Heidegger). Les premiers clergés institués ont ensuite chassé chamanes et aèdes ou les ont confinés à des fonctions subalternes. Quelques rois font de la résistance ; en Egypte, Akhenaton entre en lutte contre la caste sacerdotale de son époque, mais le basculement est déjà amorcé. Il correspond aux premiers empires commerciaux et à la rentrée en clandestinité des aèdes. Il marque l'avènement des Hommes et de leur univers ; les chamanes, les druides comme Merlin se réfugient alors dans les forêts et les îles lointaines ; l'art poétique demeure, voire se développe en tant que littérature, mais devient déjà une « figure de l'oubli » : on finit par ne plus comprendre les grands mythes que l'on récite par simple mimétisme, au lieu d'y voir des puissances invocatoires et des récits initiatiques. On a dit d’Homère qu’il était aveugle pour cacher qu’il était le voyant suprême.

PPA est un survivant de ce temps arché d'avant le poétique et même d'avant la poésie. Il est une sorte d'archéo-poète situé entre Ezra Pound et Jean Cocteau. Comme Dominique de Roux, il est un métaphysicien sans croyance. Il ne se réfugie pas dans la forêt des Carnutes, en druide pourchassé, mais c'est pourtant un arbre qui le sauve lorsqu'il saute par sa fenêtre le 17 août 2004. Plus précisément, un marronnier. Dans ses émissions, il n'hésite pas, comme Gombrowicz, à ôter sa cuirasse et parler librement de ses faiblesses, de la mort et de l'amour, bref de sa signature que l'on aurait tort de prendre pour de la vantardise.

Bref, on comprend mieux pourquoi les poètes labellisés par le système lui inspirent peu d’intérêt. Ces derniers forment une sorte de nouveau clergé culturel, des climatiseurs de salle, rêveurs plus que songeurs. Depuis l'accession au pouvoir de Mitterrand, et de l’inénarrable Jacques Lang, dont Pascal est pourtant un ami, la France a même institué un clergé qui participe activement au Soft Power de son propre effacement. Ce sont des commissaires institués par Jacques Lang qui décrètent ce qui est beau et ne l'est pas, et qui distribuent sans contrôle l’argent public dans de très somptuaires temples de la nouvelle religion sociétale ou FRAC et fric règnent en maîtres. Nous autres poètes de l’ancienne tradition, nous n’avons cure de leur Printemps des poètes et autres parkings culturels ou règne l'entre-soi et le snobisme ! Pour nous, la poésie est des quatre saisons de l’année et de la journée. Chaque instant peut être une épiphanie poétique. Comme le dit Jean Giono : « Il y a des maçons d’ombre qui ne se soucient pas de bâtir des maisons, mais qui bâtissent des pays mieux que le monde. » Ce sont les poètes.

Soyons les serviteurs de la seule beauté qui vaille, celle qui nous vient des anges et des dieux, reflétée dans le miroir profond de notre mémoire !

Michel Arouimi, en familier des ondes de Radio Courtoisie, vient de nous livrer son témoignage. Nous le remercions pour ces paroles si justes et personnelles : « Fêté par ses amis, PPA parle de ses travaux, de ses passions, qui portent le nom de grands amis ou d’amis très grands, de ses rêves et de son vécu, son passé et son futur… Autant de pôles dont la différence s’estompe dans son discours. Le sens littéral de ces aveux est d’ailleurs moins certain que le non-dit qu’ils font sentir : une tension, joie et douleur mêlées, qui inspire aussi bien les écrits de Pascal ; sans y être nommée, sinon par des métaphores qui ont l’air de choses vues. 

Au micro de son émission, met-il en fuite, par une boutade, quelque pensée de son invité ? C’est que les auditeurs n’auraient pu la suivre. Les caprices de son discours sont un velours trop frappé, toujours attaché au métal de ses incursions dans les non-dits de l’invité. Mais la main qu’il tend ne fait qu’un avec son adhésion aux choix musicaux les plus personnels de ce dernier. 

L’écoute, l’entente sont parfois plus subtiles, comme ce matin où il évoqua pendant un enregistrement, et sans rapport avec l’objet de notre dialogue, le décès de l’un de ses proches, au moment même où je songeais sans rien en dire aux funérailles d’un parent éloigné, auxquelles je n’ai pu me rendre après cette émission. De ces coïncidences, Pascal est familier. Sa parole se joue d’elle-même, et parfois de vous, mais c’est une porte ouverte sur l’au-delà des mots… »

 

Pour contacter Pascal Payen-Appenzeller : ppa@legestedor.com :  0033/628188699

 

 

 


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