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Le secret bien gardé des quatre saisons de Laurence de Marliave

Le secret bien gardé des quatre saisons de Laurence de Marliave

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Il arrive qu'une hasardeuse maraude sur internet se transforme en une provende de couleurs et de formes. La fresque intitulée Les quatre saisons, observable sur Instagram, est de cette aventure-là.

Mon premier coup d'œil posé sur cette saisissante composition fauviste fut tout emprunt d'admiration. Qu'en est-il du vôtre, chers lecteurs ? Les arbres versicolores, les frondaisons fauves - ou cubistes - ne redonnent-ils pas aux oiseaux de votre pensée, le goût des virevoltes et des picores de baies sauvages ?

Il est temps de fermer les yeux. Puis, à votre aise, de les ouvrir à nouveau. Un second regard se fait jour, plus dubitatif et songeur. En fait, notre regard ne perçoit pas clairement les quatre saisons promises par le titre de la fresque. Et cela pour des raisons qui font sans doute partie à l'Histoire de la peinture : depuis le mouvement dit Fauve (ou Fauviste) -  initié il y a plus d’un siècle par Matisse - les couleurs n'ont plus pour seul objet de représenter le réel observable. À la rigueur, la neige peut être peinte de vert ou de rouge. Face à la fresque de Laurence, seul le balayage rétinien répété - qui est une autre maraude des oiseaux de la pensée - peut parvenir à repérer les quatre saisons. À l'extrémité gauche, l'œil perçoit le printemps ; à l'extrémité droite, il perçoit l'hiver. Entre ces deux bords, l'été semble triomphant avec une végétation luxuriante qui laisse apparaître, ça et là, le bleu du ciel.

Le feuillage ruisselle de teintes humidifiées par la chaleur. Les pommes rouges du pommier apparaissent bonnes à croquer. Plus à droite, les aplats ambrés désignent assez clairement les feuilles mortes de l'automne.

À l'extrême droite de la fresque, le sol apparaît strié de sillons qui ressemblent aux rayons du soleil noir de Gérard de Nerval. Ces derniers débordent du lopin de terre et chevauchent sur un aplat vert. Mais bien sûr ! c'est l'hiver avec ses couleurs pâles, le gris, le marron et le vert. Quant aux sillons noirs, ils vont puiser dans la mémoire du lycéen que j'étais, un cours d'Histoire. Je me souviens d'une affiche de propagande des année 40 où j'avais vu le même champ strié par les sillons d'une charrue…

Cette association entre l'image de l'art et une autre image stockée dans le fond de notre mémoire est une des innombrables combinatoires possibles. Telle est, peut- être, la magie blanche de l'art : susciter des rêveries hasardeuses, joueuses et associatives…

Encore un autre exemple, chers lecteurs, de cette magie inhérente à l'art. Ce que nous avions pris à première vue pour une tour de château fort sise sur une butte (cf. le fragment ci-dessous, à droite) : s'est avéré être le tronc d'un arbre ! C'est peu dire l'effet kaléïdoscopique que contient cette fresque mirifique. Ces deux exemples de ressouvenir n'ont sans doute qu'un intérêt anecdotique. Toute œuvre peut ouvrir la boîte noire des souvenirs. On peut appeler cela l'effet-miroir de l'art, effet qui vient chercher dans notre mémoire les images enregistrées dans la psyché. Le pouvoir de les exhumer du royaume blanc de l'oubli, de la Léthe grecque, est peut-être une des finalités internes de l'art. Qui sait ?

L'effet de mouvement cinétique [que j'avais cru repérer avec plus ou moins de bonheur dans le carnet Voyage dans mon village, autre œuvre de Laurence de Marliave] se révèle ici en plein jour : ce n'est pas un menu détail qui fait comme bouger la composition picturale, mais la composition elle-même qui devient animation heureuse. Comment cela est-il possible ? L'observateur contemplatif cherche à situer l'hiver (associé notamment à la couleur blanche de la neige) et il ne le trouve pas. Il ne trouve pas non plus l’été dont le disque solaire est absent. Cette absence d'items codifiés culturellement a pour conséquence d'entraîner l'œil dans une quête sans fin. Du coup, le regard passe entre les rideaux des couleurs, des aplats juxtaposés, à travers les feuillages, mais il ne s'arrête pas, il poursuit son mouvement de droite à gauche et de gauche à droite sans arrêt.

Le secret de cette fresque intitulée Les quatre saisons réside peut-être dans cet effet cinétique que l'invention du cinématographe n'a fait que mécaniser. Le balayage optique de notre œil cherche à repérer les quatre saisons mais il n'y parvient pas complètement. Pourtant, elles étaient bien là sous nos yeux les quatre sœurs de l'année ! et dans l’ordre codifié par notre culture : le printemps (à gauche du tableau), l’été, l’automne et l’hiver (à droite), mais notre premier regard ne les voyait pas !

Dans un aphorisme resté célèbre, Héraclite dit : « la nature aime à se cacher ». Nous pouvons appliquer cet aphorisme à l'art de Laurence de Marliave. Celui-ci connaît cet étonnant paradoxe : en se montrant, il se cache ; en se cachant, il se montre. Cette dialectique est au cœur même de ce que René Guénon entend par le sens du secret.

Au rebours de l'art de Laurence de Marliave, qui est gardien du sens du secret, l'art contemporain a sacrifié l'image sur l'autel du concept. Il a perdu du même coup le sens du secret tel que compris par René Guénon. Que cet art officiel hyper subventionné pavane et fasse la danse du ventre, nous ne l'aimons pas car il choque le sens commun. En termes guénoniens, il est la représentation même de la "haine du secret". Il reflète un temps hors du temps célébrant l'inversion des hiérarchies traditionnelles. Toutes les époques ont su garder le primat de l'image sur le concept, du Mythos sur du Logos, de la Politique sur l'Économie. L'art dit "conceptuel" célèbre l'inversion de ces hiérarchies. Il n'est pas la cause mais l'effet de cette inversion. Il m'apparaît comme une réplique - au sens sismique du terme - de ce qui se passe dans la société française de 2024, soumise à la loi tyrannique du marché.

L'art reflète toujours un état de la société. Et cet art dit conceptuel d'essence remplaciste des autres courants d'art, pourrait bien être la visibilité même de cette haine du secret telle que définie par René Guénon dans le "Règne de la Quantité".

Pour notre plus grand bonheur, la fresque de Laurence est de cet art qui n'a pas oublié, en ses philtres souverains, le sens du secret. Bien qu'elle soit sensée représenter les quatre saisons, cette fresque ne contient aucun des symboles saisonniers tels que le soleil, les oiseaux et très peu de ciel. Isis y demeure pourtant secrètement. L'œil contemplatif recompose, au gré de notre rêverie associative, le ciel, le soleil, les oiseaux au milieu des feuillages. Pour le plus grand plaisir de nos yeux et de nos âmes !

https://laurencedemarliave.com/

 


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