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Last night A.D.G. saved my life

Last night A.D.G. saved my life

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« Last night A.D.G. saved my life »1

Il est de notoriété que les zarzélettres, en France, forment une des puissantes caisses de résonance de la bien-pensance. Une preuve de cet état de fait est que lorsque vous évoquerez le nom d'A.D.G. devant un tourangeau ou un blésois, même d'ancienne extraction, il y a fort à parier que votre interlocuteur vous renverra une moue interrogative. A.D.G. ? connais pas. Votre serviteur même vous avouera humblement avoir découvert l'existence et la prose dudit romancier il n'y a pas si longtemps, alors qu'il grandit dans le Blaisois et réside désormais en Touraine. Aucun mystère à cela toutefois : A.D.G., en tant que journaliste et écrivain travaillant après 1968, n'a pas vécu du bon côté de la ligne rouge et n'a donc reçu, pour son talent reconnu, les honneurs que de manière la plus discrète et circonspecte possible.

Si l'on connaît A.D.G. aujourd'hui, cela est souvent de manière indirecte, c'est-à-dire non parce qu'on a lu un de ses romans mais que l'un d'eux, La nuit des grands chiens malades, a été adapté au cinéma par Georges Lautner en 1973, sous le titre Quelques messieurs trop tranquilles. Une magnifique ribambelle d'acteurs (Jean Lefebvre, Michel Galabru, Paul Préboist, Henri Guybet, André Pousse, Philippe Castelli, Renée Saint-Cyr, Miou-Miou) pour servir une truculente histoire policière, sur fond de choc des cultures post 68 : une communauté hippie débarque dans un petit village berrichon, dans lequel un meurtre sera commis. Par ailleurs, un an après, en 1974, la télévision, elle aussi, donnera à voir un projet dans lequel est impliqué A.D.G. : il est scénariste du feuilleton à succès (aujourd'hui, on dirait « de la série ») Chéri-Bibi, fidèle adaptation du roman de Gaston Leroux. Tandis que l'on peut aujourd'hui facilement se procurer ces survivances audiovisuelles grâce au marché du DVD, les romans sont naturellement introuvables sur les rayons des supermarchés kulturels. Heureusement, ils sont presque tous encore disponibles à la vente sur internet et, en cela, reconnaissons que nous vivons une époque bénie où l'on peut aisément se procurer les livres d'auteurs bannis par la nomenklatura.

Qu'a-t-il donc commis, cet A.D.G., prolixe auteur de polars, pour ne pas être digne de la confiance du Parti du Bien ? Alain Fournier de son vrai nom – voyez la nécessité du pseudonyme – né le 19 septembre 1947 à Tours, n'était pas du genre à donner des gages. Il est même probable qu'il se faisait un devoir et sans doute aussi un plaisir d'agir en faisant l'inverse : provocation et esprit de contradiction, goût prononcé pour la liberté, ce genre de penchant ainsi qu'un amour de la patrie et de sa terre natale l'ont amené à penser plutôt à droite. Ainsi, parallèlement à sa carrière d'auteur de polars, il pratiqua le journalisme, de pigiste à Réveil socialiste jusqu'à secrétaire général de Rivarol en passant par grand reporter et chroniqueur à Minute. Cette trajectoire professionnelle lui sera évidemment un relatif handicap dans une France de plus en plus corsetée par le gauchisme culturel. Malgré tout, la Série Noire édita presque une vingtaine de ses romans et on peut considérer A.D.G. comme le double inversé de Jean-Patrick Manchette2, auteur de polars lui aussi, option extrême-gauche, publiant à la même époque dans la même collection de chez Gallimard, les deux noms formant la tête de pont du néo-polar séveunetize à la française.
Alain Fournier dit A.D.G n'était donc pas de gauche. Mettons qu'il fût « anar de droite », étiquette la plus en phase avec ce que l'on sait de lui.
« C’était encore notre manie de jouer les Hussards : entre l’élitisme et l’éthylisme, plus très jeunes gens de trente-cinq ans, nous avions choisi le cynisme morbide de ceux qui sont condamnés par la massification. Vilain mot qui commence comme massicot et finit comme dissection mais bref, nous étions de droite rien que pour emmerder le monde qui d’ailleurs s’en fichait. » (Pour venger pépère, 1980)
À sa mort, en novembre 2004, la grande cohorte des bien-pensants déclarera, par le biais d'un journaliste de Libération, qu'A.D.G avait cessé d'être fréquentable au début des années 80. Constatons que cela correspond exactement, en France, à l'avènement de l'anti-racisme en tant qu'idéologie et machine de guerre socialiste. Il est tout à fait remarquable qu'après avoir fait les beaux jours de la Série Noire, A.D.G. fut le seul auteur de renom à ne pas être réédité lors du cinquantenaire de la collection en 1997… Notre époque se pince le nez : l'auteur du Grand Môme est nauséabond, fermez le ban.3
Son amitié avec un autre tourangeau d'origine, Serge André Yourevitch Verebrussoff de Beketch, sera sans doute, dans cette mise à l'écart progressive (et progressiste), un élément à charge supplémentaire. Cet autre infréquentable fut à l'origine d'un personnage récurrent d'A.D.G. : Sergueï Djerbitskine, alias Machin, journaliste à la Nouvelle République porté sur la bouteille et fidèle ami de l'autre personnage récurrent, narrateur dans plusieurs romans, l'avocat Pascal Delcroix. Dans la vraie vie, A.D.G. et Serge de Beketch se rencontrèrent au journal Minute et leur amitié restera indéfectible. « Machin, comme moi, n’est pas trop démocrate et nous noyons volontiers dans l’alcool ces opinions qu’on accuse de la rage. » (Balles nègres, 1981)

Ouvrir un livre d'A.D.G., c'est comme regarder pour la douzième fois Les tontons flingueurs ou Ne nous fâchons pas, c'est effectuer un voyage dans une France qui n'existe plus, celle d'Audiard et de Lautner. Avec Le grand môme et Pour venger pépère, notamment, vous visiterez la Sologne et la Touraine : Blois, Cour-Cheverny, Bracieux, Tours, Véretz, Bléré, Francueil, Amboise, La Croix, Loches, ces terroirs qu'il connaissait bien sont les décors naturels dans lesquels d'attachants personnages se heurtent à des truands qui n'ont rien de très sympathique. Pas d'angélisme ici, ni de romantisme à base de gangsters fantasmés : les voyous ne suscitent ni fascination ni bienveillance sociologique. « […] ça m’amusait de démystifier ce Milieu que d’aucuns comme José Giovanni mais surtout comme Auguste Le Breton avaient porté aux nues en en faisant des chevaliers à la blanche armure alors que je peux vous dire pour les avoir fréquentés (mon oncle également était un perceur de coffres-forts renommé ; il avait une formation de chaudronnier) à quel point ces gens-là sont des crétins. »
Mais vous pourriez aussi être tenté par des destinations plus exotiques : l'Australie, avec Kangouroad Movie, ou encore la Nouvelle-Calédonie avec le posthume J'ai déjà donné. Le style d'A.D.G. n'est sûrement pas étranger à ses dilections : admirateur d'Albert Simonin, lecteur de Marcel Aymé, Sacha Guitry, Alphonse Boudard et Jacques Perret, il cite aussi volontiers Antoine Blondin et Jacques Laurent / Cécil Saint-Laurent ou encore, hors de France, Evelyn Waugh, Chesterton et Nabokov. Au fil des pages, vous goûterez sans doute une écriture efficace, entièrement au service d'une narration idoine mais digressant volontiers, truffée d'argot et de retranscription de parler populaire, voire de patois (Berry story), de jeux de mots et autres calembours à faire pâlir de jalousie les plumitifs de chez Libé, faisant la part belle à des dialogues gouailleurs et canailles, pleins d'humour, sans oublier de jouer parfois dans les graves différentes gammes de l'émotion.
Au fil des romans, on verra son style s'affiner, son sens du récit s'affermir et son humour noir salvateur s'affûter.

En 2006 fut créée l'Association des amis d'A.D.G., afin de promouvoir l'œuvre d'icelui. Celle-ci semble malheureusement n'être plus active, les dernières mises à jour du site ouaibe datant de 2009 et les quelques mails envoyés étant restés sans réponse. Et cela est fort dommage car c'est auprès d'elle que l'on pouvait se procurer Quelques idées [pas] trop tranquilles, recueil de chroniques rédigées au milieu des années 70 pour l'éphémère revue de Philippe Héduy, Item. A.D.G. y évoquait tour à tour la droite, l’ordre, la liberté, la patrie, la tradition et la religion « dans un style d’une légèreté qui contraste avec le sérieux de son propos. C’est qu’il n’était pas très facile d’être de droite dans ces années-là… ». On se consolera peut-être avec le titre Papiers gommés, toujours disponible et publié par les éditions Le Dilettante, qui regroupe des chroniques initialement publiées dans Le Libre Journal de la France courtoise, revue dirigée par l'ami Beketch. On pourra aussi avantageusement se consoler avec un verre de Montlouis.

http://www.pourvengeradg.com/

Post scriptum : je reviens à l'instant d'une promenade blésoise, et la flânerie m'ayant mené chez un bouquiniste de la rue Saint-Lubin, c'est avec une certaine joie que j'ai appris, de la bouche de l'accorte vendeuse, que « les A.D.G. partent très vite, ça se vend bien !». De là à penser que la mise à l'Index de la Pensée Correcte aurait tendance à se gripper… « Faudrait voir à voir ! »
  1. Superbe titre emprunté pour l'occasion à Pierre Gillieth, pour son entretien avec A.D.G., Réfléchir & Agir n°12.
  2. « A.D.G. n'est pas comme je l'imaginais, un pâle voyou ou un intellectuel bourgeois d'extrême-droite. Il a une vêture de minet, la stature est petite, les douilles très longues, plus une moustache à la John Lennon. Il vient d'un milieu très populaire - sans doute un milieu de chiftire à partir duquel il a d'une part peut-être fait des casses, en tout cas du convoyage de biens volés (antiquailles), et d'autre part il s'est cultivé et il défend la position classique des plébéiens cultivés et révoltés - le pouvoir doit revenir à l'élite intellectuelle, où il se compte. » J.-P. Manchette, Journal.
  3. Gallimard finira tout de même par rééditer quelques titres dans sa collection de poche Folio, manifestement pour éviter qu'A.D.G. n'en récupère les droits, et la bien en vue Actes Sud sera l'éditeur du néo-calédonien J'ai déjà donné.

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