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Le capitalisme woke

Le capitalisme woke

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Anne de Guigné, journaliste au Figaro économie, publie Le capitalisme woke, aux éditions La cité. Dans cette enquête très fouillée, la jeune essayiste décrit la propension grandissante des entreprises à vouloir dire le bien et le mal, et la confusion qui en découle entre valeurs et marketing. Le phénomène du charity business et du diversity business, importé des Etats-Unis, ressemble à s’y méprendre à un rouleau compresseur. Une destruction créatrice est à l’œuvre visant à élaborer une autre société, post-moderne, assise sur le socle de « valeurs chrétiennes devenues folles » selon le mot de Chesterton, au sein de laquelle les minorités -ou déclarées comme telles- constituent un logiciel puissant chargé de dicter la morale et le bien à la majorité. LGBT, décoloniaux, antispécistes, et autres pitoyables olibrius appartiennent à cette matrice conquérante.

Le monde de l’entreprise, et particulièrement les grands groupes, participent pleinement de cette logique, imposant de nouveaux référentiels moraux et comportementaux à leurs salariés. Les codes ont changé, la liberté d’expression et la démocratie se sont éteintes, à l’intérieur des entreprises, comme dans la société toute entière. On peut se demander si ce dogmatisme, contre-nature pour les acteurs économiques, peut perdurer sans risquer de se fracasser sur des consciences rebelles qui le refuseraient catégoriquement à l’avenir… C’est sans doute sans compter avec les très puissants idéologues de la diversité qui ne cessent d’imposer des législations contraignantes, tout en assénant sans preuve à l’appui que ce sont les entreprises les plus diversifiées -en termes de race, d’ethnie, de genre, d’orientation sexuelle- qui connaissent les meilleures croissances et enregistrent des performances supérieures de plus de 30% par rapport aux entreprises traditionnelles demeurées sur un modèle conservateur.

Le capitalisme, d’essence libérale, a pris le parti de transcender ses origines pour assumer un rôle moral. Ce virage politique s’inscrit dans un paysage dévasté où les contrepouvoirs sont à l’agonie ou en voie de disparition pure et simple. Les religions chrétiennes, les syndicats, les partis politiques, les corps intermédiaires jadis si structurants pour la société ont été balayés par l’individualisme matérialiste triomphant, laissant la place au vide désormais occupé par les seules entreprises. Celles-ci sont sommées de respecter leur objet économique tout en assumant une nouvelle vocation : la RSE -Responsabilité Sociale des Entreprises-.

Cette RSE transforme l’entreprise en une entité unique, sorte de « parti/chapelle/association humanitaire/lobby sociétal et environnemental/société lucrative » chargée de répondre à toutes les aspirations et frustrations des citoyens. Ce Léviathan « bienveillant », servi par ses affidés que sont les réseaux sociaux, doit se soumettre à toutes les injonctions particulières et réussir le tour de force de donner sens, espérance, désir de l’engagement, éthique sociale et pain quotidien aux salariés.

Examinons d’ailleurs quelques-uns des exemples que nous donne à méditer Anne de Guigné. D’abord, le sensitivity reader qui, comme son nom l’indique est ce nouveau métier, venu des Etats-Unis et de leur discrimination positive qui se répand en Europe, chargé « de détecter dans un manuscrit aussi bien qu’un rapport annuel d’entreprise ou tout support de communication d’éventuels propos sexistes, racistes ou homophobes. »

Le Name and Shame pratiqué par des activistes, comme ceux de « Sleeping Giants », est une arme idéologique dirigée contre les médias jugés trop conservateurs, à l’instar de Valeurs Actuelles ou CNews en France. La filiale française de Volkswagen s’est ainsi vue interpelée : « Avec vos spots, vous êtes l’un des principaux financeurs de CNews, qui instille et exploite peur, haine, séparatisme, velléités d’affrontement communautaire… Ne pas s’en préoccuper, ce n’est pas être neutre, c’est soutenir. Que comptez-vous faire pour arrêter ça ? »

Les nouveaux prêtres ne « prêchent l’amour et la tolérance » que s’ils conduisent à la société multiculturelle qu’ils désirent ériger et qui se trouve débarrassée de l’héritage et de l’identité des vieilles nations ; ces prêtres d’un nouveau genre sont le plus souvent financés par les impôts des contribuables via les grasses subventions que reçoivent leurs associations militantes. En novembre 2020, la décision de Decathlon de suspendre ses publicités sur la chaîne CNews n’a pas été annoncée par la société elle-même mais par les « Sleeping Giants. » La marque Nike, à l’avant-garde du progressisme politico-économique depuis l’affaire Floyd, soutient quant à elle activement le mouvement « Black Lives Matter ».

Notre auteur, faussement ingénue, se demande dans un accent huxleyen si nous sommes en train de bâtir le meilleur des mondes qui serait apolitique -de nombreux citoyens ayant décidé de ne plus voter- et qui verrait la puissance publique céder aux grandes entreprises privées le pouvoir de définir le bien commun.

Hannah Arendt n’affirmait-elle pas que « quand il s’agit de la vie, toute action est, par définition, sous l’empire de la nécessité et le domaine propre pour s’occuper des nécessités de la vie est la gigantesque et toujours croissante sphère de la vie économique et sociale dont l’administration a éclipsé le domaine politique depuis le début des temps modernes. » ?

Anne de Guigné pose les bonnes questions : « Est-ce vraiment de technicité et de fonctionnalité que notre temps a le plus besoin aujourd’hui ? ». Faisant référence à la gouvernance bruxelloise en Europe, elle s’inquiète pour l’avenir : « La quête de dignité et, en miroir, le ressentiment sont les premiers ressorts de l’histoire humaine, depuis l’Iliade jusqu’à la révolte des ouvriers face à la globalisation. Un pouvoir coupé de toute ambition représentative sombrerait inéluctablement dans la violence. »


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