Sonia Mabrouk : l’heure des décroisades
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Sonia Mabrouk : l’heure des décroisades
« Le mythe fondateur de l’opposition Occident-Orient nourrit mon imaginaire », confie la journaliste politique franco-tunisienne Sonia Mabrouk, figure active de la liberté d’expression, dans son roman dystopique Et si demain tout s’inversait, sous-titré Résistance ou allégeance, l’heure des décroisades est-elle venue ?
Voici la trame du récit : « Des dizaines de milliers de réfugiés arrivent sur les côtes sud de la Méditerranée. Ils cherchent à fuir une guerre qui s’est propagée à toute l’Europe. Français, Italiens, Espagnols ou Allemands, tous attirés par une nouvelle Terre promise, abandonnant leurs contrées chrétiennes. Des familles entières traquées par les bombardements russes ont dû se résoudre, la mort dans l’âme, à l’exil en terre d’Islam. » En une préface qui ressemble à une sorte de manifeste idéologique et programmatique, Sonia Mabrouk prévient son lecteur : « Le temps d’un nouvel imaginaire est venu. Ce voyage est le vôtre, celui où se mêlent Hannibal, Scipion l’Africain, Saladin, Saint Louis et les rois chrétiens des croisades. L’heure des décroisades a sonné. »
Sur leurs frêles embarcations, fuyant la guerre invasive russe doublée de la guerre civile, les réfugiés européens veulent échapper au chaos et se dirigent depuis deux ans vers la Djalmanie, terre d’exil. Aurélien et Louise, flanqués de leurs deux jeunes garçons, font le voyage. Lui, athée, matérialiste, membre assumé des anywhere (les gens de partout), pédiatre reconnu, a fait fortune en pratiquant le changement de sexe chez les jeunes enfants, surfant sur l’idéologie du gender, de la réattribution sexuelle et de l’androgynat qui fascinent l’Occident. Il est convaincu que l’exil constitue la planche de salut de leur famille. Elle, catholique, attachée à sa patrie, appartenant au clan des somewhere (les gens de quelque part), vit l’arrachement à la France et la perspective de s’installer en Djalmanie comme un crève-cœur et un cauchemar.
Le président de Djalmanie, sûr du vent de l’histoire, considère la djalmanianité comme un trésor. Son discours de mise en garde à la nation est sans ambages : « Méfiez-vous des arrivants occidentaux qui cherchent à pervertir nos traditions ! Ils veulent changer les garçons en filles et les filles en garçons. Ils ne reculent devant rien pour effacer toute trace du passé, des racines et de l’Histoire. C’est un peuple de rats envahisseurs ! Au nom de quoi faudrait-il accepter une société ouverte et multiculturelle ? Notre pays ne sera jamais multi-ethnique ! Jamais ! La société multiculturelle, c’est la guerre de civilisations ! » Les migrants, en cette terre lointaine, ont l’obligation de se convertir à l’islam. Pas d’autre alternative possible. Il ne peut être question d’inclusion, mais seulement d’assimilation totale.
Chez les protagonistes de l’histoire, le choix entre garder son identité et protéger sa famille, entre résister et faire allégeance, est cornélien, impossible à trancher. Habilement et à fronts renversés, l’auteur décrit ce cas de conscience auquel peuvent être confrontés aujourd’hui certains migrants en Europe : la tension entre deux cultures souvent antagonistes. Son récit amène à la conclusion que nul ne doit abandonner totalement son identité, ses valeurs, sa religion au prétexte d’une assimilation exigée par la terre d’accueil. L’adage « À Rome, fais comme les Romains » ne serait donc plus adapté au XXIᵉ siècle, l’acculturation devant se faire a minima.
Si l’auteur assume une riche double culture, sa fascination pour l’Islam et la civilisation arabo-musulmane est palpable. Sa démonstration que christianisme et islam ont intérêt à s’unir pour lutter contre le wokisme, le gender, le trans, le changement de sexe proposé dès l’enfance, et aussi contre l’incinération, l’envoi des vieux dans les EHPAD, toutes sortes de fléaux qui précipitent le déclin de l’Occident, est judicieuse, mais, in fine, Sonia Mabrouk pense que l’islam est plus vivace, plus sûr de sa force cohésive et de son destin, et donc prédominant pour sauver ce qui peut l’être du bon sens, de l’altérité homme-femme… dans notre pauvre monde. Aux yeux de l’auteur, l’islam doit irriguer la vieille civilisation européenne et occuper une place centrale afin d’y établir la communauté des croyants, l’oumma. On croit ici entendre la prédiction de Châteaubriand, qui disait au XIXᵉ siècle qu’à générer du vide en combattant le christianisme, on créait les conditions d’implantation de la religion mahométane. Depuis, les vagues d’immigration ont amplifié le phénomène d’islamisation de la France et de l’Europe.
Dans le roman, le gardien du centre de réfugiés, Farah, hurle à la face du docteur Aurélien honni : « Grâce à la décroisade, tu vas sauver ton peuple et la civilisation ! Tu vas sauver cette Europe déprimée grâce au glaive et à la force de l’Islam, tu comprends ? L’islam, c’est le rempart, docteur, c’est ta seconde chance dans ce monde ! »
Et si demain tout s’inversait ? Si l’Europe arrogante avait besoin du Sud global ? Si le christianisme avait recours à l’islam pour sauver les fondements de la civilisation occidentale ? Telle est la question que pose audacieusement et déraisonnablement le livre.
L’auteur nous livre enfin un autre de ses credo : « Un peu comme les rayures du zèbre, il existe une alternance entre le clair et le sombre, entre la noirceur et la lumière. La splendeur de cette vie n’est pas dissociable de sa face obscure. Nul n’est plus ignorant que celui qui croit que l’émerveillement n’a pas de contrepartie, pas de face B. Il y a toujours un retour de bâton à la magnificence. »