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Légende du trublion libertaire

Légende du trublion libertaire

Par  

Philippe Sollers, trublion libertaire des lettres françaises, publie Légende. Dans ce roman écrit à la première personne, il prend la posture caustique qu’il affectionne tant pour railler ses têtes de turc de toujours : le religieux, la modernité techniciste, la « France moisie », le suranné attachement aux valeurs conservatrices et à toutes les figures classiques qui constituent l’essence de notre civilisation : « Les représentants du vieux Dieu mort et de la vieille littérature sont destitués, mais continuent à parler et à écrire comme si de rien n’était, ce qui est sans importance, puisque plus personne n’écoute ni ne lit vraiment. Les Banques, le Sexe, la Drogue et la Technique règnent, la robotisation s’accélère, le climat explose, les virus poursuivent leurs ravages mortels, et la planète sera invivable pour l’humanité dans trente ans. Malgré tout, un nouveau Cycle a déjà commencé, et les masques tombent. A vous de juger. » A nous de juger si Sollers joue la comédie ou non, et s’il est un agent actif de la déconstruction qui emporte dans son tourbillon la littérature même.

« Pour échapper au détraquage humain, trop humain, je regarde l’invisible enfin devenu visible […] Vous revenez sur terre pour apprendre que la biodiversité est gravement menacée. Vous avez à peine le temps de vous identifier aux espèces visibles et invisibles qui, comme vous, vont disparaître ; abeilles, papillons, éléphants, rhinocéros blancs, flamants roses, poissons et plancton. Vous sortez, vous levez les yeux vers le ciel et sa merveilleuse indifférence, et vous vous sentez brusquement, comme lui, tout bleu. » Le poète le dispute au polémiste patenté qui, à plus de quatre-vingt ans, poursuit dans la provoc anticléricale, son fonds de commerce fétiche  : « L’offensive PMAGPA devrait liquider tout ça (ndlr : l’arriération de la foi). Voici la nouvelle prière des filles conçues artificiellement par amour : « Je te salue, mère n°1, et toi aussi, mère n°2 ! Vous êtes restées pures de tout contact physique avec le violeur millénaire ! Que vos ovocytes soient sanctifiés ! Que le temps des Mères sans Nom s’accomplisse ! Au Nom des Mères, des Filles et du Corps Médical, Amen ! » » Trop gros pour être vrai, n’est-ce pas ?

Sollers poursuit sa description de l’Absurdie où nous serions, en reprenant la citation sur l’ironie du philosophe protestant allemand Friedrich Schlegel : « L’ironie est la claire conscience de l’agilité éternelle, et de la plénitude infinie du chaos. » ; en évoquant ensuite l’épisode révolutionnaire et les rejetons qu’il a engendrés : « En 1793, la Terreur est à son comble, et la guerre de Vendée, contre les rebelles catholiques et monarchistes, se durcit avec les « colonnes infernales », qui brûlent tout et massacrent hommes, femmes et enfants sur leur passage. Deux cent mille morts. Allez en Vendée, la guerre civile entre les Blancs et les Bleus vous parlera à travers les marais. Les Blancs ont disparu, les Bleus ont gagné, ils ont essayé plus tard de se déguiser en Rouges, mais, finalement, le résultat, devenu Rose, s’est transformé en Gris. La France, comme les autres pays, est Grise dans la Technique. Ca n’empêche pas les employés politiques de palabrer sans arrêt. Le seul calendrier qui reste est touristique, et son pôle d’été demeure, quand même, Paris. »

Claire lucidité ici du poète libertin, pur produit de ce libéralisme venu des Lumières et de plus loin encore, pour dresser le tableau de la société sans cohérence où nous sommes. « Les représentants du vieux Dieu mort et de la vieille littérature sont destitués, mais continuent à parler et à écrire comme si de rien n’était »… Difficile d’imaginer que Sollers, in petto et en vérité, ne pleure pas sur cette double mort. Antimoderne et conservateur notre écrivain? Il n’y a plus, pour lui, qu’un petit pas à franchir désormais. Dieu, après la conversion probable de ce fils prodigue, continuera de rire encore longtemps des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes.


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