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Les vies d'Henry de Monfreid

Les vies d'Henry de Monfreid

Par  

« Mes vies d'aventures » d'Henry de Monfreid en « Point » Seuil « Aventures »

J'ai découvert Henry de Monfreid grâce aux « Cigares du pharaon d'Hergé », ma mère me voyant lire l'album me désigna la caricature qu'en fait le dessinateur de Tintin et me parla de cet homme sympathique et pas très moral ce qui éveilla ma curiosité. Je le retrouvai dans « les Secrets de la Mer Rouge », feuilleton français de cette époque télévisé inspiré de ces livres de souvenirs (à l'époque la télévision pouvait être intelligente). Je me passionnais pour cet aventurier épris d'absolu, qui se sentait beaucoup mieux dans le désert, fût-ce le désert liquide de l'océan, qu'au milieu de ses semblables tellement aptes aux compromis, aux bassesses.

Il me communiqua ce « goût du désert » ainsi que d'autres auteurs, dont Marcel Aymé, et personnes rencontrées, ce mépris total des convenances sociales et idéologiques que je retrouve aussi chez Jean-Patrick Manchette en lisant son fabuleux journal, cette propension à de temps à autres envoyer balader une ou deux pintades mondaines et superficielles et pintadeaux du même acabit sa patience à leur égard ayant pu lui valoir plus de considération, cette indocilité face aux maîtres à penser quels qu'ils soient et quelles que soient leurs bonnes intentions.

L'enfance est la période la plus marquante de la vie, les « grandes personnes » n'étant pas bien sérieuses n'y ajoutent rien de bien important, excepté deux ou trois prétentions ou vanités, elles vont même dans la plupart des cas jusqu'à oublier cet enfant qu'elles étaient. Comme nombre d'écrivains, l'homme de la Mer Rouge écrit pour retrouver ce « paradis perdu » de l'enfance, ne pas l'oublier, et ne pas être de ces « grandes personnes » faussement raisonnables.

Henry de Monfreid ne s'est jamais senti du « troupeau », il aurait pu faire sienne la devise de Yourcenar : « Je ne vis pas comme ils vivent, je n'aime pas comme ils aiment, je mourrai comme ils meurent. Ce désir de sortir du rang n'implique aucun mépris envers ses frères humains bien au contraire, connaissant bien leurs faiblesses il est beaucoup plus prêt à la mansuétude, à l'empathie, à l'altérité véritable. Cela signifie aussi que Henry de Monfreid, comme l'auteure de « l'Œuvre au Noir », et comme la plupart des écrivains, ceux du moins qui ont du talent, était doté d'une sensibilité au-dessus de la moyenne ; sensibilité à la beauté, sensibilité à l'autre, à ses travers et ses qualités.

« Abd El Haï », son nom arabe signifiant « esclave de tout ce qui est vivant », était un de ces êtres libres qui de temps en temps donne envie aux autres d'échapper à une condition misérable ou terne.

Il naît dans une famille qui n'est pas aristocrate du tout, son père est un petit escroc sans envergure du Sud de la France marié à une femme « qui n'est pas de son milieu », sa mère le déclare par défi, alors qu'elle a quitté le père de Monfreid sous le nom de famille d'un monsieur qui était passé plusieurs fois dans la demeure familiale et qui avait laissé de bons souvenirs. Henry de Monfreid aime passionnément sa mère qui lui laisse comme seul héritage un sens moral élevé, ce que sous l'angle d'une moraline étriquée l'on pourrait trouver paradoxal vu les trafics auxquels se livrera son fils plus tard mais qui ne l'est pas, et la volonté de sortir de la norme. Sa mère voulait qu'il devienne polytechnicien, un haut fonctionnaire brillant sur des rails confortables  et sans l'anxiété du lendemain, une destinée qui l'eût sans doute rassurée mais qui n'était pas pour son rejeton.

Il restera inconsolable de la mort de celle-ci s'en attribuant la responsabilité de par ses frasques.

Sa vie d'aventures commence alors qu'il est pensionnaire à « l'école alsacienne », et les toits de Paris qu'il parcourt chaque nuit bravant la surveillance de ses maîtres sont des canyons extraordinaires, la nuit projetant sur les murs des immeubles comme autant de cavernes profondes des ombres mystérieuses et fantastiques. Bien sûr, la direction de l'école alsacienne ne l'entend pas de cette oreille poétique et le renvoie assez vite. Il choisit de s'assagir ensuite, en souvenir de sa mère, et travaille dans l'usine « Maggi » un temps, mais un esprit comme le sien ne pouvait se plier très longtemps à la discipline et la routine d'horaires de bureaux aliénants pour des natures comme la sienne. Et c'est presque par hasard qu'il devient contrebandier en armes puis en haschisch de Mer Rouge, engageant un équipage hétéroclite d'anciens esclaves et d'africains apatrides.

Il gagne une réputation « d'infréquentable » en travaillant pendant la Seconde Guerre Mondiale pour les Italiens contre les Anglais, et en ayant des sympathies plus à droite que permis parmi les arbitres des élégances littéraires et politiques. Il est un rien sulfureux à leurs yeux, ce qui est logique, quelqu'un d'aussi indocile que lui est incompréhensible pour leurs esprits dogmatiques.

C'est Joseph Kessel, et aussi Teilhard de Chardin qui l'encourageront à écrire et à raconter ses aventures ce qu'il fait dans 75 ouvrages mis en forme à partir de 1948 lorsqu'il rentre en France suite à vie sauvage au Kenya vivant comme les « naturels » ainsi que l'on disait à l'époque de chasse et d'une agriculture simple dans une cabane perdue dans la forêt avec sa femme et ses enfants.

De lui les sots diront que c'était un grand homme, un homme extraordinaire mais que tout le monde ne peut pas se conduire aussi librement, ce sera un excellent contre-exemple : voyez ce qui arrive à ceux qui s'écartent du troupeau, ils ont une vie chaotique. Mais cette vie chaotique est largement préférable à l'allégeance et à la soumission abjecte des citoyens consommateurs de notre époque dans leur quasi majorité…


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