Luc-Olivier d’Algange et Aphrodite
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Luc-Olivier d’Algange et Aphrodite
Frédéric Andreu : « Derrière le voile reposent les images auxquelles toutes noces se réfèrent. C’est là qu’a lieu l’union supérieure ». Ces phrases tirées du Traité du Rebelle, de Ernst Jünger, pourraient sans doute introduire votre nouveau recueil. Deux mots très jünguériens, en effet, « orage » et « lumière », figurent dans le titre de votre nouvel ouvrage. Clin d'œil ou révérence à l'écrivain allemand ?
Luc-Olivier d’Algange : Par l'œuvre d'Ernst Jünger, nous comprenons que nous sommes entrés dans la « sapience » de l'orage, jusqu'à son cœur secret : l'œil du Typhon, — là où règne le calme au suprême, la sérénité donnée et reçue envers et contre tout. Ce n'est rien d'abstrait ou de seulement métaphorique. Dans le fracas du fer, du feu et du sang, Ernst Jünger raconte comment il fixait parfois son attention sur un insecte, un brin d'herbe, en mettant en balance cette réalité, infime et immense, avec tout le reste ; en accordant au drame qu'il vivait et à la furtive contemplation une égale importance… Ainsi, l'œil du Typhon est partout, il est un « centre » qui nous est offert comme une ressource de survie, un contact fécond avec l'impermanence. Jünger, à cet égard, est un Maître, et sa métaphysique est à la fois une théorie — au sens premier de contemplation — et une praxis, un exercice spirituel, une expérience.
FA : Pour Jünger, « là où Aphrodite pâlit, on tombe à des mélanges sans foi ni raison ». Votre nouveau recueil est-il un hymne à Aphrodite ?
Luc-Olivier d’Algange : Oui, ce poème, Le Chant de l'orage lumineux, est tout miroitant d'Aphrodite. C'est elle qui allège nos vies, elle encore la riposte à l'esprit de pesanteur, elle qui chante dans les harmonies les mieux venues de Ravel ou de Debussy, qui me furent une source d'inspiration, dans les scintillements du soleil sur la mer… Là encore, Jünger va droit à l'essentiel. Le monde moderne, uniformisateur, est l'ennemi d'Aphrodite, de la rencontre nuptiale du sensible et de l'intelligible, des noces du Mythe et du Logos… Notre Aphrodite est anadyomène : elle surgit des flots du Mare Nostrum ; elle s'offre dans la nudité que haïssent les barbares et les puritains lesquels, plus jamais, prennent le pouvoir. Il nous reste, contre ce pouvoir à convoquer, les puissances oubliées, oraisons immémoriales, poèmes, qui sont à la fois réminiscences et annonces. La fine pointe est à la fois la fin et le commencement. Avant le Clerc sont le Barde et l'Aède. Cette primordialité n'est point séparée de nous par le temps, par les époques. Elle n'appartient pas à un autre monde radicalement perdu. Elle est un cours qui n'a jamais cessé — par tradition d'abord, les poètes étant, comme le savait Hölderlin, les voix des dieux oubliés — mais aussi, et surtout, par l'immédiateté de l'expérience poétique, par sa façon d'être amoureusement au cœur du temps et de couronner l'instant qui la révèle. Chaque fois que nous quittons le monde des représentations, des apparences non apparues, chaque fois que nous nous enracinons à nouveau dans la géologie de notre conscience, chaque fois que nous sommes hantés et que nos regards se perdent dans les nuages, tout recommence ; et là où nous sommes, tout revient à sa source, à cet Hors du temps, où l'instant et l'éternité se confondent, qui est exactement l'or du temps. On ne saurait concevoir rien de moins administratif, rien de plus incontrôlé, rien qui résiste mieux à la planification. Les hommes les plus divers s'y retrouvent et s'y reconnaissent. S'il est un universel, il sera dans la pérennité de ces expériences irremplaçables, dans ces phrases qui sont des paysages, des océans, des embruns, et les visages qui les reçoivent, à nuls autres pareils, et dont la singularité absolue témoigne d'un faisceau de forces et d'influences qui trouveront là, et là seulement, loin des « mélanges sans foi ni raison », leur résolution éclatante.
Extrait de l’ouvrage : https://www.mauvaisenouvelle.fr/?article=litterature-le-chant-de-l-orage-lumineux--2318