Luc-Olivier d'Algange, qui êtes-vous ?
Livres Mauvaise Nouvelle https://www.mauvaisenouvelle.fr 600 300 https://www.mauvaisenouvelle.fr/img/logo.pngLuc-Olivier d'Algange, qui êtes-vous ?
Écrivain à la fois solitaire et solidaire, discret et disponible, Luc-Olivier d'Algange semble préférer les plateaux montagneux où planent les aigles royaux, aux plateaux de télévision ! Afin d'essayer d'entrer, sur la pointe des pieds, dans son œuvre protéiforme faite de poésie et d'essai, nous lui avons adressé sept questions.
Pourquoi sept ? Parce que tel est le nombre sacré des légendes qu'il affectionne par dessus tout. Le but de notre démarche ? Tenter de mieux situer un auteur rare. Guetteur du bel apparaître dans ces temps disgracieux du paraître, Luc-Olivier d'Algange, qui êtes-vous ?
FA : Votre page «wikipédia» indique que vous êtes né à Göttingen. Quel souvenir personnel gardez-vous de cette cité allemande célébrée notamment par la chanteuse Barbara ?
LO d’A : Je n'ai aucun souvenir de Göttingen, je n'ai fait qu'y naître, mais en revanche je me souviens bien de Cassel, où je vécu jusqu'à l'âge de six ans, et surtout de Einbeck où vivait ma grand-mère du côté maternel. J'y passais de nombreuses vacances, surtout en hiver. Je me souviens, en particulier, des têtes de sangliers qui ornaient les murs et de la petite véranda où régnait un fatras fantastique, et qui servait aussi de frigidaire, voire de congélateur, les températures en hiver descendant communément au moins vingt. Je me souviens du poêle à charbon et de la cave, un peu effrayante, où il fallait aller chercher le noir combustible. Je me souviens de ma luge, avec laquelle, rétrospectivement, je suis heureux de ne m'être pas tué. Je me souviens des amis de ma grand-mère, joviaux et nostalgiques ; de la ferme de mes cousins et des animaux que, petit citadin, je découvrais. Je me souviens surtout des forêts alentours, - et le sentiment m'en reviens chaque fois que je relis Heidegger, dont la prose est parfois rugueuse comme celle d'un vieil arbre. Les interrogations fondamentales, depuis les présocratiques, sont liées à l'enfance : « Pourquoi y a t-il quelque chose plutôt que rien ? »
FA : À quel âge avez-vous commencé à écrire ? Gardez-vous souvenir de vos premiers textes ?
LO d’A : Curieux des livres, des lettres, des crayons, j'ai commencé à écrire, avant d'aller à l'école, des histoires de chevaux dans un allemand phonétique. Un camarade plus âgé m'avait appris l'alphabet : il n'en faut pas plus. Je pensais alors que les chevaux, bien que nous leur commandions, étaient plus intelligents que les humains, et je serais presque enclin à le penser toujours… Mais je n'ai commencé à écrire véritablement, et en français, qu'au collège, avec les encouragements d'un professeur d'exception qui avait le don de nous faire entrer dans le monde d'un poème simplement en le lisant à voix haute, sans le déclamer, mais sur le souffle, le rythme profond. Ses « explications de texte » étaient de véritables herméneutiques et les sujets de rédaction qu'il nous proposait de prodigieuses provocations à l'imagination. « Imaginez le monde des Hommes-Oiseaux » ou encore « Imaginez un dialogue entre l'Ondine de Giraudoux et l'Ophélie de Shakespeare ». Ce professeur, au demeurant, me défendit avec fougue contre la direction du collège qui voulait me mettre en « fin d'étude » nonobstant mon inclination à l'école buissonnière et, peut-être, quelques juvéniles insolences. Je lui dois d'avoir découvert ces auteurs qui m'accompagnent encore aujourd'hui : Rimbaud, Mallarmé, Saint-John Perse, Edgar Poe, Lovecraft, Giraudoux, Stéphan George, Ernst Jünger,… Enfin nommons le : Jacques Delort, - rien à voir avec le Ministre – et auteur d'un beau livre sur la poésie et le sacré. Ce fut lui, aussi, qui me fit publier mon premier article, sur Saint-Pol-Roux, dans la revue Etudes et Récherches.
FA : Les écrivains observent souvent des « rites » propitiatoires à l'écriture. Certains ne peuvent écrire qu'en écoutant de la musique ; d'autres, a contrario, ne le peuvent que dans le silence d'une thébaïde retirée du monde ? Qu'en est-il de Luc-Olivier d'Algange ?
LO d’A : Le rite serait, par quelque prière, d'être, avant même de commencer à écrire, en accord avec un paysage intérieur, venu du souvenir ou de l'imagination, si tant est qu'il faille distinguer l'un de l'autre. Mieux encore est d'installer son scriptorium dans un tel lieu, chose aisée puisque j'écris à la main et que suffisent un carnet et un stylo. Nul besoin de ces machines, toujours un peu encombrantes et qui exigent une prise électrique. Il m'a toujours semblé lecteur ou écrivain, que les phrases naissaient des paysages, qu'elles en prolongeaient les couleurs et les rumeurs. Pour écrire, il me faut, de préférence, un ciel au-dessus de la tête. Quand bien même les phrases que nous écrivons n'en disent rien directement, ne le décrivent aucunement, le paysage s'infuse dans les mots qui en gardent les essences et les secrets. Les propos, même les plus abstraits à première vue, se chargent de l'esprit des lieux où ils furent conçus. J'évoquais, à propos de Heidegger, la Forêt, et pareillement et de toute évidence, nous percevons, lisant Nietzsche, la lumière de l'Engadine.
FA : Pouvez-vous citer un ou deux ouvrages qui ont bouleversé votre vision du monde ?
LO d’A : Venons aux tout premiers, dans l'ordre d'apparition, même, bien sûr, il y en eut d'autres. Le Zarathoustra de Nietzsche, tout d'abord, qu'un jeune homme ne peut lire sans le cœur ne batte la chamade. ; Hyperion d'Hölderlin, qui ouvre à la poésie absolue, véritable foudre d'Apollon ; et Les Contes cruels de Villiers de l'Isle-Adam qui firent que, face à notre temps, soudain nous nous sentions moins seuls dans nos refus et dans nos songes.
FA : Les mots "légende", "songe", "orée tremblante", "chant du merle" blasonnent souvent vos textes. On se demande : quelles sont les contes, les fées - voire, les contes de fée - qui vous inspirent ces jolis mots ?
LO d’A : La « vraie vie » commence toujours dans le conte et la légende, sitôt nous quittons la fiction sinistre que le monde abstrait, le monde planifié, nous impose . Seul un écran nous sépare du monde légendaire. Tout ce dont parlent les contes existe bel et bien. Bel et bien, - dans la beauté et dans la bonté que nous retrouvons lorsque les écailles nous tombent des yeux. Bel et bien, et partout, même dans les lieux les plus déshérités et les plus sinistres. Chaque heure est le blason d'une réalité visible-invisible : tremblantes orées. Ce n'est que par soumission, aveuglement, surdité spirituelle que nous cessons de les percevoir, par crainte aussi, - car le monde légendaire, en ses périls et merveilles menace à chaque instant ce que nous pensons être nos certitudes. Les forêts sont profondes, les océans, incertains, et l'on risque fort de s'y métamorphoser.
FA : Dans d'autres de vos textes, on entend tinter les maillons d'une "chaîne d'or" que vous désigner par « cadena aurea » de la tradition. Que signifie cette locution latine plus guère usitée de nos jours ?
LO d’A : La chaîne d'or, la catena aurea existe en dehors de nous. Elle est un influx, une tradition qu'un concours de chances nous permets parfois de reconnaître. Entre les Ennéades de Plotin et le vaste poème de Schelley, Epispsychidion, - ce qui veut dire l'Ame de l'âme, - il y a bien plus qu'un simple jeu d'influences littéraires. Un tradere s'est perpétué dont on trouve des signes de tous temps et je me suis efforcé, dans certains de mes livres, d'en interpréter d'une façon qui n'est pas seulement historique ou chronologique. Certains auteurs retrouvent ces ressources sans presque rien savoir de leurs prédécesseurs. Une même expérience leur fut donnée : celle de la multiplicité chromatique des états de la conscience et de l'être… L'érudition, certes, est belle, mais elle n'est que le satellite de cette expérience intérieure, de cet ensoleillement de l'être.
FA : L'action de votre prochain roman se déroule, paraît-il, au Portugal ? Voulez-vous tirer pour nos curieux lecteurs, un coin de voile sur ce projet en cours ?
LO d’A : Ce roman, pour lors, est à mi-chemin, et au point où j'en suis, il me faudrait pouvoir séjourner quelque temps sur les rives du Tage, et en attendre la suite comme le sébastianiste attend, un soir de brume, le retour du Roi Caché. En d'autres temps, un mécène eût pourvu à mes frugalités… Le songe demeure cependant d'un roman comme un « feu de roue » alchimique, d'une temporalité sphérique recréée, en tonalités et a-tonalités, dans une forme où le « résolument moderne » rimbaldien ne contredit pas mais accomplit la Tradition.
Sur Propos réfractaires
Il existe des "livres fenêtre", il existe des "livres chemin" ; il existe aussi des "livres pour faire réfléchir nos têtes" et des "livres qui nous prennent par la main". Propos réfractaires est un peu tout cela à la fois, fenêtre et chemin… Tout dépend, bien sûr, des pierres d'attente du lecteur. Lu et approuvé pendant l'hiver, j'attendais, pour ma part, un "livre chaleur" qui m'aide à lutter contre les frimas hivernaux. Contre le froid qui commence en décembre et contre le froid civilisationnel qui a commencé le jour où les machines ont remplacé les dieux.
À la fois ennemie du ressentiment et amie des légendes, la pensée de Luc-Olivier d'Algange est un part-feu contre cette époque sans rivage que nous avons la disgrâce de vivre. Le titre Propos Réfractaires, « est venu de lui-même et presque malgré nous » prévient l'auteur dès la première ligne. Un titre qui ne dit peut-être pas le tout de l'ouvrage, mais qui en dit beaucoup. On reconnaît en effet un livre à son titre comme on reconnaît un arbre à ses fruits. « Livre fenêtre » de nos étés trop chauds, Propos Réfractaires est aussi une « brique réfractaire » pour nos hivers trop froids. Patrice de la Tour du Pin nous prévient : « Les peuples sans légendes se condamnent à mourir de froid ». D'où, l'urgence de lire ce « livre réfractaire » qui diffuse dans nos âmes la chaleur lente et sereine des légendes.
Propos Réfractaires, 21 euros, Editions L'Harmattan, collection Théôria.
https://www.editions-harmattan.fr
Un projet poétique (à Luc-Olivier d'Algange)
Je reviens de ma lecture de votre ouvrage les poches pleines de rêves ! Le talent de dire le pays, la chaleur des mots dans les yeux. L'accent qui fait toute la différence ! Voilà plus d'une heure que la bougie attend la fin de la nuit. Ma lecture vacillante s'achève sur un début qui ne fait que "commencer" par un nouveau pas de danse…
À mon tour, je partirai récolter les couleurs de l'eau. Je toucherai une à une les gouttes du silence. Pour que la chaîne des mots ne tombe pas entre de mauvaises nuits, je voisinerai les champs de blé travaillés de bonne heure, les maisons mitoyennes qui baillent dans la forêt, au balcon les filles bardées d'aventure !
- Je parle peut-être en esthète de l'inutile. Incompris de la plupart ? Pour me faire comprendre, je me déferai de tout sauf de la bague d'allégeance à la poésie.
Enfin ! J'ai trouvé l'accent qui manquait à la fleur cueillie ! Une aile d'encre envolée dans le poème ! Je la tiens pincée entre le pouce et l'index. Comme pour la servir à l'invisible fraîcheur ; afin de mieux voir dans la fleur, le sceptre ; et dans le pays, le royaume !
- La légende disait donc vrai ! la reine d'Islande est plus belle que la neige, ses pas éclairés de joliesse ne reflètent que des pieds innocents. Pour sa Majesté, mon poème apparaît en roses de sang…
Dans son pays, les enfants parlent aux animaux ; il n'y a pas une fleur qui ne connaissent son nom. Parfois,des batailles éclatent avec tout ce qui refuse la lumière. Cependant, même tenus dans le silence, les mots qui suivront diront tout de mon amour !