Occam l’initiateur ep.4
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VI. Occam insiste sur ses points de départs logiques
Toute la construction occamiste s’appuie sur des principes logiques qui commandent toute sa dialectique : c’est la structure sous-jacente constante. Car Occam redéfinit tout : la logique, philosophie de la nature, philosophie éthique et politique, droit, théologie, ecclésiologie.
L’instrument logique que développe Occam, en contradiction, comme nous allons le voir, avec la logique aristotélicienne, n’est pas complètement nouvelle. Dans l’histoire des idées, rien n’est vraiment nouveau. Les racines logiques d’Occam sont à retrouver chez les Sceptiques et les Sophistes.
Mais peu avant Occam, d’autres avaient tentés de proposer des voies semblables. Pierre d’Espagne avait ainsi rédigé un manuel1 qui sera la référence de base dans les milieux de recherche au XIIIème siècle. Ces combats intellectuels se font également sur fond de rivalité entre les Facultés des Arts (dont la philosophie) et les Facultés de Théologie. Ces dernières demandaient aux premières de réduire leurs activités à la logique formelle : « Envoyez-nous des étudiants sachant parler le latin et raisonner correctement, et ne cherchez pas autre chose2 ».
Les théologiens refusaient aux philosophes la capacité d’apporter autre chose que l’aisance dialectique. En gros, ces théologiens réduisaient le champs d’analyse de la raison au développement de la grammaire. Ces théologiens considéraient donc l’analyse philosophique comme une simple logique formelle. Cette réduction de l’usage de la raison à la syllogistique coupée de l’induction première va engendrer très tôt des réactions violentes. On se souvient des invectives de Pierre Damien contre ces scolastiques déjà décadents au XIème siècle….
Par exemple, un certain Boncompagnus, qui enseigne la grammaire à Bologne, est tellement coupé de l’induction réaliste qu’il pense que la science du droit doit demander ses prémisses, non plus au réel objectif patiemment induit3, mais de la grammaire : des règles de grammaire. C’est bien un hyper-intellectualisme qui règne alors dans les milieux de recherche. Mais il faut savoir que c’est Jacques de Venise qui va étoffer les traductions latines du corpus aristotélicien encore en partie inconnu.
Bref, à l’époque d’Occam, ceux qu’on appelait les « artistes » (de la Faculté des Arts, dont la philosophie), recherchent certes un langage précis - ils ambitionnent d’être de bons techniciens du raisonnement – mais finalement très conceptuel. Ces recherches, très fécondes par ailleurs, constituaient une sorte de grammaire spéculative élaborée qui donnera plus tard la grammaire de Port-Royal.
L’écueil est évident : cette mécanique mentale est inévitablement rapprochée du mode mathématique. On constate ainsi dans la formation universitaire de Occam une hypertrophie de la logique formelle poussée jusqu’au délire conceptuel que dénoncera plus tard la lucidité d’un Thomas More4.
Occam, « fanatique de la logique5 », ne remet pas en cause, comme le fera More, le formalisme non-inductif de cet outillage technique qui finalement présente des grilles qui altèrent la vision du réel… Entendons-nous bien : Aristote ne méprise pas cette logique formelle qu’il a grandement contribué à expliciter. Mais ces grilles logiques doivent être remplies de moyen-termes issus du réel, car le risque est grande de déduire des concaténations de raisonnements purement formels et en dernière instance vides de sens…
Occam est donc en accord avec Aristote pour accorder à la logique le rôle d’instrument indispensable à l’accès aux sciences. Mais l’induction reste première chez le Philosophe, sinon le risque est grand de développer des argumentaires qui ne respectent plus les nuances du réel. « Pour Ockham, la logique est l’équivalent de ce que peut être pour le savant d’aujourd’hui la méthode mathématique6 ».
L’algèbre logique occamiste prépare la suprématie du mode mathématique cartésien. Occam est donc un logicien formel incapable d’accepter les contraintes du réel : ses points de départ logiques s’appuient sur des définitions de l’être qui empêchent le processus inductif d’aboutir à l’abstraction.
Occam ne voit donc l’unité et l’ordre de la philosophie d’Aristote et semble exposer des règles de la pensée sans d’abord définir le mode d’existence des universaux. C’est le manque de rigueur à ce sujet des manuels alors en vogue qui va permettre à Occam d’interpréter leurs analyses dans un sens nominaliste.
VII. La logique d’Occam héritière d’Aristote… sauf l’induction
Les trois étapes de la logica modernorum qu’expose Occam suivent les trois opérations de l’intelligence humaine explicitées par Aristote dans ses traités logiques:
- Théorie des termes ou concepts et de la supposition : première opération
- Théorie des propositions ou des jugements : deuxième opération
- Théorie des syllogismes et de la démonstration rationnelle : troisième opération
Jusqu’à présent, Occam semble suivre les analyses d’Aristote. Mais alors que le Philosophe insistait sur la première opération qui aboutit à la découverte de la définition qui sera moyen-terme du syllogisme, Occam, à la suite il est vrai de ses devanciers, ne se préoccupent plus de la source des concepts pour se concentrer uniquement sur les conditions des enchaînements corrects de nos raisonnements.
On voit bien que l’interrogation fondamentale de la logique est d’ordre « matériel » : d’où vient la signification des termes que j’utilise ? Occam reprend les rubriques universitaires classiques à son époque. Le bon usage de ces rubriques garantit des raisonnements corrects. Aristote n’a jamais dit autre chose, lui qui est l’inventeur du syllogisme…
Mais le refrain occamiste est en opposition à la logique aristotélicienne : l’anglais ne cesse de rappeler qu’il existe des mots généraux qui ne correspondent pas aux réalités concrètes : je ne vois pas l’homme en général, je vois Paul. C’est tout le processus inductif qui est nié chez Occam.
Occam se pose donc la question de la signification des mots, mais sans admettre le passage de quelques cas observés à la plupart des cas selon des degrés de nécessité. A la suite des logiciens universitaires, surtout de Pierre d’Espagne, Occam va jongler avec la distinction entre la significatio et la suppositio.
Ce sera toujours l’écart entre les choses concrètes et nos mots abstraits qui sera dénoncé. Le problème de la concordance de nos propositions avec le réel est donc reposé. Et par là même la question du vrai et du faux.
Nous sommes forcés de voir ici les futurs thèmes nominalistes de Thomas Hobbes.
Le réaliste aristotélicien sera d’accord pour dire que le concept mental est antérieur au mot qui sert conventionnellement à la désigner. Que l’homme nomme le concept homme par le son homme (français), mensch (allemand), man (anglais) etc, ce concept au départ ne se nomme pas lui-même mais reste unique chez le français, l’allemand, l’anglais, etc.
VIII. Les présupposés de la logique d’Occam
À suivre…
1 Les Sommes Logiques : inventaire des procédés logiques qui sera l’ouvrage introductif pour les étudiants en philosophie de l’époque. Avec Lambert d’Auxerre, Pierre d’Espagne est le maître de Occam.
2 Georges de Lagarde : Op. Cité, p. 38
3 Nous ne voulons pas dire par là que tous nos concepts dérivent directement d’un objet concret mais que nous devons commencer par considérer le réel concret avant de s’élever dans une abstraction plus grande. Sinon, les liens ne sont plus manifestes.
4 Lettre à Dorp.
5 Lagarde, op. cité, p. 45.
6 De Lagarde, op. cité, p. 46.