Qu’est-ce qu’enseigner ?
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VII. Qu’est-ce qu’enseigner ?
Pour faire le lien entre l’enseignement et l’induction, nous proposons une synthèse d’une analyse de Thomas d’Aquin en Question 11 du De Veritate : De Magistro
Nous choisissons de prendre comme guide de lecture le mode de connaître inductif et son lien avec l’art de l’enseignement.
Article 1 :
La capacité d’enseignement d’homme à homme est liée à notre mode naturel de connaître.
Le maître enseigne par signes, mais la connaissance des choses est première par rapport à celle des signes (Thèse, 2). Par conséquent, le maître donne des directions –déterminées par la logique naturelle de l’esprit humain - qu’empruntera le disciple afin d’obtenir la science par soi, et non l’adhésion à une opinion sous l’argument d’autorité.
Le mode connaître platonicien, qui survit de quelque manière chez Saint Augustin, est invalidé en respondeo. Connaître, ce n’est pas se souvenir.
Saint Thomas, en reprenant le mode naturel de connaître autonome de chaque intellect agent, soutient l’efficacité des causes secondes dans l’ordre naturel : ceux qui renvoient tout aux causes premières font fausse route. « Ce faisant, elle passe [cette thèse] à côté de l’ordre de l’univers qui est constitué d’un enchaînement ordonnée de causes, enchaînement à partir duquel, la Cause Première, en raison de son éminente Bonté, donne non seulement l’être, mais encore le pouvoir causal aux autres causes » (Respondeo).
Saint Thomas renvoie à Aristote et à son mode de connaître : « en effet, les formes naturelles préexistent certainement dans la matière, non en acte, comme le disent [les Platoniciens], mais assurément en puissance. » Et ce qui les fait passer à l’acte dans notre esprit, ce n’est pas seulement l’action de la Cause Première, mais une cause proche, à savoir notre intellect agent individuel.
Par ailleurs, saint Thomas reprend également Aristote dans son enseignement sur les vertus (Ethique à Nicomaque, VI) : il existe en nous des dispositions naturelles à développer ces vertus (spéculatives et pratiques). Ces ébauches sont comme des potentialités qui passent à l’acte par exercices. « Il convient de parler de l’acquisition de la science de la même manière ».
Les germes de la science préexistent en nous sous la forme des « premiers principes ». Saint Thomas intègre ici saint Augustin et assimile ces premiers principes (ou axiomes) à aux raisons séminales du de Trinitate. Mais ces raisons séminales ne peuvent être assimilées aux principes qui seront causes de la conclusion et donc de la science, de la certitude. Il y a là, à la fois, un problème de traduction et d’interprétation.
L’acquisition de la science se fait ainsi de deux manières : grâce à ces germes de science en nous : c’est l’invention (ou découverte personnelle) ; ou par l’intermédiaire d’un moteur extérieur « apporte son soutien à la raison naturelle » : c’est l’enseignement. L’enseignement est un art.
Or, l’art imite la nature. Les productions de l’art reproduisent les mouvements observés dans la nature. « Il en va de même dans l’acquisition de la science : celui qui enseigne conduit les autres vers le savoir en procédant tout comme celui qui se conduit lui-même, par la voie de l’invention, vers la connaissance qu’il ignore ».
« On peut dire qu’un homme en enseigne un autre dans la mesure où il suit dans son exposition, avec l’aide de signes [mots écrits ou parlés, schémas, etc], le processus rationnel que déploie sa propre raison naturelle ».
Autrement dit un homme peut enseigner un autre homme quand le maître cause la science dans le disciple mais par l’activité naturelle de la propre raison de ce dernier1 ! « Voilà ce qu’est enseigner ! ». La certitude, état de l’âme, ne se transmet pas : mais les voies de la certitude, oui. Car il y a une différence entre la science et l’opinion, entre transmettre les voies de la science et transmettre des opinions.
Et Saint Thomas de citer Aristote dans les Seconds Analytiques (I, 2, 71b-17-18) afin de manifester que la science est dans la conclusion, mais que c’est le disciple qui induit ses propres principes (Moyen Termes) qui seront points de départ du syllogisme.
Quand la voie découverte ne conduit pas aux principes (Moyen Termes), nous n’avons pas la science, mais une opinion.
Dieu est notre maître intérieur dans la mesure où c’est le Créateur qui a induit en nous les premiers principes logiques évidents par eux-mêmes (dignitates ou axiomes) qui sont au fondement logique des principes ou Moyen-Termes qui sont les prémisses de la conclusion scientifique. Il faut bien le noter : les dignitates ne sont pas les moyen-termes à proprement parler : ils fondent logiquement ces moyen termes ou définitions des choses qui causent la conclusion certaine.
Dans la réponse 2, saint Thomas précise néanmoins sa pensée : « la connaissance des choses n’est pas provoquée en nous par celle des signes, mais à partir d’autres choses plus certaines, à savoir la connaissance des principes » : ici, il ne s’agit plus des principes premiers mais des moyen –termes de l’argumentation. « C’est la connaissance des principes [moyen-termes], non celles des signes, qui entraîne la certitude des conclusions ».
Ces principes sont longuement induits par notre intelligence avant que nous en percevions la nécessité, alors que les principes premiers ou dignitates (axiomes) sont immédiatement perçus comme vrais. C’est le mode progressif de la connaissance qui est en jeu ici.
Que fait l’enseignant réaliste ?
« L’enseignant présente les signes des réalités intelligibles d’où l’intellect agent du disciple abstrait les représentations intelligibles… D’où il suit que les paroles de l’enseignant, qu’elles soient entendues ou lues, sont causes de la même manière dans l’institution de la science dans l’intellect que sont causes les choses extérieures pour l’âme ». (Ad 11).
Saint Thomas affirme pourtant que les paroles de l’enseignant exercent une causalité plus proche que les objets sensibles hors de l’âme.
Dans le ad 13, saint Thomas rappelle la doctrine logique d’Aristote selon laquelle la certitude des conclusions dépend des principes qui causent ces conclusions. D’une certaine façon, c’est ainsi que Dieu nous parle : « Nos connaissances certaines proviennent de la lumière de la raison inscrite en nous-mêmes par Dieu qui parle en nous grâce à elle, et non pas de l’homme qui enseigne de l’extérieur ».
Par conséquent, et saint Thomas reprend l’autonomie de l’intellect agent au ad 18, les principes qui seront moyen–termes des syllogismes sont découverts par chacun intérieurement par induction. Le maître présente des signes extérieurs et conduit ainsi l’intelligence du disciple à retrouver l’usage réaliste de sa raison (Somme Théologique, Ia, qu.117, a.1).
Autrement dit la vérité est à la porte de notre intelligence, mais cette porte ne s’ouvre que de l’intérieur. Personne ne peut contraindre profondément quelqu’un à adhérer à des conclusions sans prémisses valables, sinon en violant la confiance, comme le font les Sophistes.
VIII. Synthèse des relations maître / disciple
À suivre…
1 « Le maître ne produit pas la lumière intellectuelle dans son disciple, ni ne lui communique directement les idées intelligibles, mais par son enseignement, il pousse l’intéressé à former lui-même par la puissance de son esprit les conceptions intelligibles qu’il lui présente extérieurement sous des images sensibles » (Somme Théologique : Ia, qu. 117, a. 1).