Rencontre avec Antoine de Meaux
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MN : Antoine de Meaux, vous signez un premier roman historique sur la Révolution à Lyon. Ce roman relate en particulier l’épisode de guerre civile qui intervint dans la capitale des Gaules en 1792 sur fond de crise sociale et qui donna lieu à des représailles jacobines sans précédents. Ma première question porte sur l’objet de ce combat et donc la nature même du projet révolutionnaire. Bien sûr, vous soulignez que certains se battaient pour leur foi, d’autre dans un objectif politique, mais finalement le premier scandale contre quoi Lyon se souleva ne fut il pas le jacobinisme lui-même dans l’organisation du pouvoir qu’il suggérait ? La première violence, le premier scandale de la Révolution Française ne sont-ils pas finalement la négation du territoire, au profit des comités de quartiers de la ville de Paris où désormais le sort du pays était jeté ?
Antoine de Meaux : L’insurrection de Lyon est née d’une contradiction de la Révolution. On ne peut pas, d’un côté, accorder la liberté, y compris à l’échelon local, et de l’autre la reprendre, même au nom d’un supposé « salut public ». Les Lyonnais ont relevé cette contradiction et refusé de se soumettre. Ils ont avec d’autres, un peu partout dans le pays, sauvé l’honneur… Il y avait parmi eux des chrétiens à la tête dure, des orphelins du roi, des girondins roulés dans la farine, des naufragés, des innocents et des rêveurs. Mais j’aime surtout à croire que les Lyonnais se sont d’abord soulevés au nom d’une sagesse très ancienne, faite de mesure et d’intelligence, de savoir-vivre, de plaisirs partagés. Au nom de la liberté et de la fraternité, du panache aussi, ils n’ont pas attendu la Révolution pour porter les couleurs de ces vertus françaises.
MN : On a coutume de dire à MN que seul le roman modifie un être… Nous sommes donc particulièrement sensibles à votre démarche narrative pour nous relater ces événements dramatiques. J’oserais un rapprochement entre votre travail de narration avec celui d’un peintre. Vous tissez détails, décors, histoires dans l’Histoire … est-ce en accrochant l’imaginaire que l’on parvient réellement à faire comprendre ce qu’il s’est passé ? La narration permet-elle, mieux que tout autre approche purement documentaire, de refaire prendre chair au tableau historique ?
AM : Tout roman est un monde recréé. Dès lors, l’expression fugitive sur le visage d’une femme, le détail d’un uniforme, l’odeur d’un pré sous la pluie ont autant d’importance que les actions des personnages dont l’Histoire nous garantit l’authenticité. Dans Le Fleuve guillotine, Chalier est l’égal du Chancru, Précy est aussi vivant que Jeanne, la petite coureuse de nuit. L’imaginaire et les reliques se rejoignent et s’étreignent dans une même nuit. C’est la puissance du poème. Pour autant, le roman ne peut prétendre « faire comprendre ce qu’il s’est passé ». Tout juste, proposer une lecture nouvelle. Le roman n’a de réalité que lui-même.
MN : On discerne qu’il y a dans la guerre civile, au-delà de l’affrontement entre frères, une volonté de détruire sa propre civilisation, chose que l’on a du mal à imaginer lorsque l’on baigne dans une ville encore si chargée d’histoire, comme Lyon. Vous citez dans votre ouvrage cette parole révolutionnaire : "Lyon, comme Carthage, doit être détruite". Les livres, et particulièrement les romans historiques, sont-ils là pour conjurer le sort, raviver la civilisation ?
AM : Il y a certainement un désir d’exorcisme, mais on sait que les livres ne peuvent pas grand-chose contre l’Histoire qui déferle. Toutefois, les sociétés meurent, les livres restent. Comment s’en étonner ? Ils sont un commerce délicieux, la plus haute forme de civilisation, avec la conversation, à laquelle ils participent. Rien ne pourra jamais les remplacer. Je vois aussi en eux une puissante image de ce qu’on appelle la Communion des saints. Une façon d’unir, à travers le temps, les vivants et les morts, et aussi ceux qui viendront après nous.