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Europe, autopsie in-vivo

Europe, autopsie in-vivo

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L’Europe, une espèce de ces cadavres modernes, un réanimé ; ça n’a pas de temps, ce genre de mort. Des convulsions, des rêves, des délires sous narcotiques - on ne peut pas appeler ces processus un historique. L’Histoire ? Vraiment ? Les leçons de l’Histoire… Faut rire ! En 2023, on commémore la libération d’Auschwitz en excluant la Russie. La Pologne célèbre Auschwitz, avec les barbelés, le devoir de mémoire, en niant la mémoire, l’intervention extérieure, tous ces milliers millions morts russes dépecés, concassés dans la mâchoire du temps. Ils s’effarouchent devant cette Russie de Poutine irrespectueuse des frontières ; les mêmes admiraient celle de Staline pour avoir enfoncé les frontières à l’Est et éradiqué la Wehrmacht, jusque dans les chiottes. Le droit, c’est le droit des forts, naturel, donc. Le sens de l’histoire ? Que serait-il advenu de l’Europe si les Russes avaient conçu de repousser l’envahisseur à leurs frontières et s’étaient arrêtés là, au nom du droit des peuples à blablabla ? Que serait-il advenu de l’Europe si les Russes de Staline n’avaient pas joué de leur écrasante supériorité pour envahir Pologne, Allemagne ? Questions absurdes évidemment mais qui permettent l’uchronie : l’Allemagne d’Hitler contenue dans ses frontières par de respectueux canons russes et américains aurait dévoré l’Europe, jusqu’au dernier Européen. Pas le moindre de ses habitants qui pût demeurer en vie. Une Europe des camps, une Usine à mort. Fondane qui n’a pas réchappé à Auschwitz, l’avait écrit à Céline : après le Juif, viendrait le tour de l’individu. Les pédés, les handicapés, les Français, tout ce qui n’était pas l’Aryen - et à la fin l’Aryen lui-même n’aurait pas été assez pur pour satisfaire ses jouissances et ses peurs ; l’arme depuis le début était de toutes façons, d’abord, tournée contre lui.

La conquête russe de 45 a libéré l’Europe de la folie européenne. Mais elle ne l’a pas curée. La charge des ouvriers agricoles de l’Est n’a fait que retarder le processus morbide. Cette non-invitation de ses guérisseurs est un signe. L’infertilité structurelle européenne en est une autre. Ces grandes piqûres d’Afrique et d’Arabie que l’Europe se fourre dans le sang blanc… C’est triste d’ailleurs, pour ces Arabes, ces Turcs, ces Noirs, des millions de gamètes perdus dans notre abîme : Don Juan, les dernières libertés, l’adrénaline de la chute attire encore quelques vivants… Ils feront la guerre pour nous. Après les avoir humiliés et déracinés, avec leurs beaux corps d’ébènes et leur force de turcs, ils feront de bons adjudants, des tortionnaires magnifiques. Weil a tout dit là-dessus. L’Europe ira jusqu’au bout d’elle-même…

L’Europe n’a toujours pas compris Hitler, elle n’a jamais pu le comprendre. L’Europe vit dans une sorte de rêve depuis soixante-dix ans, une transe dont elle ne se réveille pas - un coma après une longue torture. Ce qu’elle nomme vie ? Des tressaillements nerveux de son appareil reptilien effrayé par son état de stase. L’Europe est incapable de vivre l’évènement - elle ne peut vivre bien que la peur, comme tous les grands traumatisés. Il suffit d’un claquement de mains, et le chien décanille. C’est par peur qu’elle confond maintenant le visage de Poutine à celui d’Hitler - un pur fantasme, sexuel, oui, rejoué en farce glauque comme rejouent les victimes les méfaits du bourreau. En hitlérisant Poutine, l’Europe se permet d’être elle-même comme aux temps de Munich et de la drôle de Guerre. Krankes Volk - peuple malade, écrivait Malaparte. Cette guerre en Ukraine la libère de ses garde-fous, comme un ex-camé qui se servirait pareil de sa mère morte ou de la défaite de son équipe de foot favorite pour replonger… La peur du communisme et la fragilité russe, l’argent et le divertissement américains ont superficiellement tenu le cadavre en stase pendant cinquante ans - cet équilibre et son agitation économique pouvaient faire croire en un semblant de vie. C’est fini - la supercherie est démasquée : nous venons d’ouvrir un œil hors du coma, mais la réanimation européenne est un échec, elle ne pouvait que l’être, car la réalité est notre échec et notre échec une réalité. Nous avons perdu, perdu jusqu’au bout, et la défaite est un moteur qui ne s’est jamais arrêté. Delirium, nous voulons la drogue, de la pure, et vite ! Trop tard… L’ours russe a lancé une patte, et nous a fait choir du plumard. Dans le premier reflet d’une porte vitrée, à terre, nous nous lorgnons plus maigres et pâles que jamais…

Ne croyons pas, nous frenchies, qu’une ligne Maginot intellectuelle ou spirituelle suffira. Ce n’est plus une question de souveraineté. Le débranchement anglais est tardif, trop tardif - le mal a depuis longtemps traversé la Manche. Un frexit ? Inutile - l’Euro est dans nos veines - solidaire dans le mal, nous avons été intubés des mêmes vaccins. Le temps n’existe pas, il n’a pas avancé depuis 1945 : l’Allemagne est nue et désarmée et la France baigne encore dans sa déroute - un homme à terre et une femme tondue, un joli couple comme moteur pour 400 millions d’enfants. Se réveiller de ça, ce serait mortel - la confortable léthargie, rien d’autre. On brandit le point Godwin, les lois mémorielles, on s’en tient à une histoire factuelle, événementielle : on ne veut pas savoir, on ne veut rien savoir de cette période. Le spectacle, Dunkerque, Tom Hanks, le diable, etc. On rêve d’ailleurs, de jolies retraites sur des plages tranquilles. La violence russe a réveillé le monde ; la France, elle, voudrait se rendormir après des débats techniques sur 43 ou 44 annuités. Le Monsieur-en-costume-bleu-nuit tend l’os à ronger, et aussitôt attaquent les institutions dévouées, deux millions de personnes dans la rue, qui comme tous les cinq ou dix ans, vident les dernières énergies de rébellion d’une France qui ne s’en sort pas, de sa crève. Pendant ce temps, 400 milliards, ordre de l’Otan. La guerre quoi ! La guerre !…

Le nazisme n’est pas allemand - le nazisme, maladie métaphysique, se traite avant-tout par le religieux, et dévore le monde par son absence. Il n’est qu’une forme germanisée de la maladie ; l’Amérique du Nord est frappée depuis longtemps - Irak, Afghanistan, VietNam, néolibéralisme - nous appelons sa résistance au mal un leadership. Pour des raisons mystérieuses, l’Allemagne a été le porteur de la souche Alpha, la plus virulente, si virulente qu’elle aurait pu tuer le porteur ; l’Allemagne en a été le porteur le plus conscient, le plus maladivement conscient, jusqu’au suicide. Avec la chute du Troisième Reich, intubée des rêves narcotiques américains, l’Europe n’a plus les moyens intellectuels, sensibles de vivre la réalité de son Histoire, des mensonges de guérison - l’Europe se croit toujours le médecin du monde, elle est le patient Zéro - l’Afrique l’a bien compris.

Dans les premières pages de son fameux Kaputt, Malaparte a ces fameux mots : l’Allemagne est malade de la peur ; elle a peur de tout ce qui n’est pas elle, des fragiles, des faibles, des juifs. Quelle tristesse que la mort de Fondane ! Chestov au trou ! Ils nous auraient aidés, peut-être, à comprendre ! Le chemin de l’angoisse… Personne ne l’a vraiment emprunté. Anders a pris celui glacé de la technique et du désespoir ; l’existentialisme sartrien s’est empêtré dans le Néant intellectuel : des variants atténués et désespérés du mal - mais le fond refait surface, et charrie avec lui des milliers d’ogives.

L’Allemagne des années 30 avait peur de son avenir et éliminait systématiquement ce qui aurait pu, croyait-elle terrifiée, retarder son rendez-vous avec l’histoire. L’Europe des années 2020 n’a plus peur de son passé et plutôt que d’en prendre le contrepied, avance désormais en lui, mais de façon masquée, dissymétrique, non linéaire. Elle tombe dans le temps, en fragments et poussières, et comme vaporisée par l’Histoire, elle a gagné les nuées. Ce que nous nommons encore histoire, nous, Européens, est plutôt une forme de systématique en perpétuelle rotation autour d’une symétrie centrale - à chaque acte nazi correspond son inverse, sa réparation - mais le point central, le vrai mal, nous demeure caché. Nous agissons encore selon le principe greco-romain du limes, civilisé et barbare, mais plutôt que d’avancer dans l’inconnu, poussé par une énergie vitale, la civilisation européenne tourne autour d’elle-même comme dans une centrifugeuse - un trou noir. Nous avons crû durant ces décades pacifiées pouvoir extraire le boson barbare du civilisé, mais nous n’avons réussi qu’à nous rendre plus fous, plus inhumains, malades jusque dans nos chairs profondes. Grouillent désormais dans de grandes tours de verre, à Paris, Bruxelles ou Berlin, des hommes et des femmes en beaux costumes, qui se pensent gardiens d’une morale pure et parfaite, préservée par la science, approuvée par l’histoire. Ils se croient hommes et femmes parfaitement guéris de l’inhumanité de leurs aïeux ; ils sont en réalité des lémures, des vampires, des peuples de méchants. Leur communication est pure, non-violente. Ils se croient lavés de la haine et de la colère. Ce sont les plus fous, les plus profondément atteints par la maladie. La haine et la colère sont si intimement liées à leur processus intimes et sociaux, qu’ils ne sont plus capables de les dissocier d’eux-mêmes - et ils confondent le calme et la tempérance. Le bourreau est leur bouc-émissaire et sur cette figure de carnaval, ils se déchargent de toutes leurs salissures humaines, leurs bêtises stratégiques. Ainsi justement dosée, la bête immonde ne peut plus mourir de ses accès, mais affecte l’ensemble des structures du vivant, et les remplace. Ceux-là seront les plus aptes à nous mener à la guerre ! Non pas une guerre sacrificielle d’honneur comme certains tenants de la “bonne vieille guerre” pourraient le penser, non pas la guerre des champions de Jünger, mais une guerre de déshonneur, tournée dans la défaite et la faiblesse, une guerre d’immondice et de mensonges, une guerre qui salira, qui ne pourra que salir…

L’Europe, la vraie Europe, doit se voir telle qu’elle est : nue, faible, désarmée, isolée. “L’allié américain”, dans ce théâtre en pleine lumière, prend des allures de metteur-en-scène en noir et blanc, docteur grand guignol morbide, et sa fuite dans son historique isolation, rend plus effrayante sa sinistre figure de maître du temps. La Russie, elle, est un vieil ours pelé, encore musculairement puissant mais au regard affligé et craintif - comprimé entre une Europe zombie avec laquelle elle ne peut plus raisonnablement compter et une Chine en expansion qui a déjà entamé sa colonisation des territoires russes, il a, il le sait, fait le choix de la guerre, la guerre en Europe, la fin de l’Europe, et donc, la fin d’une Russie européenne.

L’Europe le comprendra, mais peut-être trop tard : il n’y avait rien face à nous, le caramantran russe était un mirage placé par des Américains fantoches qui ne voulaient rien de moins que rendre impossible l’union de toutes les Europes. Il n’y a rien en face de nous, la Russie c’est nous dans un rêve qui ne s’arrête pas de prendre fin. La Russie c’est un autre nous ! Un autre somnambule pressé de trouver sa place dans un étau. Et la Russie est malade, comme nous, de cette maladie du sommeil qui rend aujourd’hui son réveil si violent, brutal, son besoin de soin si incontrôlable. La Volga prend sa source en Europe, écrivait Malaparte, et il a fallu une longue et minutieuse œuvre chirurgicale, de séparation du lit de sa source afin de produire d’un même corps, deux aliénés, l’un à l’Empire Américain, et l’autre à l’Empire Chinois, et qui se jettent en frères maintenant l’un contre l’autre. Nous sommes désormais ensemble, Russe et Europe, tels que le vampire qui n’a pas de reflet dans un miroir parce qu’il a éteint toutes les contradictions, tous les contrastes qui permettent à la couleur de naître : un corps entré en guerre contre lui-même. Le monde avait tout à gagner dans cette troisième voie russo-européenne, orient-occident, d’équilibre entre la Chine et l’Amérique. Too late. Russes et Européens sont désormais séparés comme le blanc du jaune par la grande centrifugeuse de la guerre, le barbare et le civilisé glissent dans les voies de l’ordre et du sang, du droit et de l’élimination, sinusoïdale vers ce point central, une trajectoire qui ne ressemble à rien de connu. Certains ont l’audace d’appeler ça un avenir…


Europe morte au cadavre encore lâche !
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Et maintenant l’Europe… pour qui et pour quoi ?
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L'identité européenne se passe de l'Union Européenne
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