Les faibles sont nos maîtres en humanité
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Mon cher jeune ami,
Je t’entendais moquer il y a quelque temps de cela, l’un de tes collègues qui ne parvenait pas à comprendre une notion qui pour toi était d’une simplicité crasse. Celui qui ne franchira jamais la ligne d’arrivée, celui qui ne saura pas se défendre face à l’adversité, celui qui renoncera à force de n’en plus pouvoir… la faiblesse d’autrui est pour toi une tare, un sujet d’amusement cynique. Je m’en attriste.
Permets-moi de te rappeler qu’il s’agit d’un trait commun à toutes les idéologies brunes ou rouges qui ont marquées le siècle dernier. Les dérives eugénistes et les délires transhumanistes sont aussi nourris à ce même lait de l’orgueil qui se veut toujours plus fort, plus grand et plus efficace. Combien d’idéologies mortifères ont-elles chercher à créer un homme nouveau, affranchi de ses faiblesses et par la-même de toute singularité.
La faiblesse est inhérente à la nature humaine. Elle nous marque de son sceau dès notre conception. L’instinct de maternité et de paternité naît de cette fragilité. Elle est une vertu cardinale à mes yeux. L’expérience de la faiblesse nous rend opiniâtres, imaginatifs, solidaires. Notre faiblesse est en réalité le terreau de nos forces.
Cette faiblesse est aussi le marqueur de notre appartenance à un collectif. Fort, je n’ai besoin de personne. Parce que je suis faible par nature, je fais l’expérience de ma dépendance. Je dois apprendre à compter sur autrui, à m’enrichir de son talent et de sa force. Ma fragilité me fait frère et héritier. Elle est la condition de la transmission. Notre faiblesse est donc aussi le terreau de la culture.
Elle est encore à la fois le creuset dont nous sortons et la fosse dans laquelle nous chutons dans ce grand mouvement éternel qui forge l’humanité. Notre histoire personnelle est un éloge à la faiblesse. Nos forces viendront à nous trahir. La glorieuse puissance de nos corps et de nos esprits se laissera corrompre par le temps. Nos certitudes s’éroderont, polies aux vents de nos échecs et de nos déceptions. Au terme du voyage, que nous restera-t-il sinon nos faiblesses ?
Vois-tu, pour accepter et affronter sa faiblesse, il faut beaucoup de lucidité et de courage. Les faibles sont nos maîtres en humanité. Je gage que tu auras la force et la chance de t’en rendre compte.
Ton dévoué
Hilarion de Sainte Croix