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Mon cher jeune ami,

Mon cher jeune ami,

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Tu me dis aimer écrire, mais ne te reconnais que peu de talent pour cet exercice. Hélas, et il suffit pour cela de contempler le catalogue de bien des éditeurs modernes, le talent ne fait pas souvent recette en littérature. Mais laisse-moi attirer ton attention sur deux écueils majeurs auxquels se confronte celui qui écrit.

 Le premier est intrinsèque à la nature illimitée de notre imagination. Celui qui la possède avec abondance n’est pas moins à plaindre que celui qui en manque. Elle l’entraîne à la poursuite de mille chimères qu’il enragera de ne savoir coucher sur le papier. L’Homme, depuis la nuit des temps, confronte sa créativité à ses propres limites techniques ou intellectuelles. C’est vrai de l’écrivain mais aussi du peintre, du musicien, du cuisinier, de l’ébéniste… Certains ont abandonné là le champ d’une bataille pour laquelle ils n’avaient pas l’étoffe. Ils ont sombré dans un vaste déni qui confond art et facile bassesse. Ils ont cessé de lever les yeux pour courber la tête limitant bien souvent leur courte-vue à leur entre-jambes. D’autres ont accepté ce combat et s’y livrent sans retenue. Dans cette lutte singulière avec eux-mêmes, ils cherchent cette transcendance qui les mènera au-delà de leurs pauvretés. Cette voie exaltante, héroïque, c’est celle qu’empruntent les génies et les fous. Il faut être des deux pour bâtir des cathédrales, pour dépeindre la comédie humaine, pour mettre en musique le bourdonnement joyeux de l’été ou la chevauchée des walkyries… La création est fondamentalement un acte de révolte. L’affirmation qu’un monde imbu de lui-même ne conduit qu’à l’immobilisme de la mort. La créativité est l’ultime résistance, celle qui fait de nous des dieux.

Mais, vois-tu mon ami, il existe un deuxième obstacle auquel tu dois te mesurer. Admettre que la valeur de tes écrits soit celle que lui donne autrui, c’est te prostituer. Qui connaîtra ces milliers de mots biffés, ces pages égratignées, ces phrases fracassées à l’établi de ta plume ? Qui saura ces heures de froide bataille à ciseler ce vers, à fondre ces envolées au creuset de ton cœur mis à nu ? Qui comptera ces nuits d’affut dans les maquis de ton esprit à traquer la bonne expression ? Qui peut se faire juge de ton talent ? Bien sûr, on écrit pour être lu. Mais mesurer la valeur de sa création à l’aune de l’applaudimètre est une hérésie, une trahison contre soi-même. Si plutôt que de façonner le monde je me laisse modeler par lui alors ma révolte succombera. Mes cris chanteront alors la beauté des barbelés entourant ce près où je bêlerai avec mes bienheureux frères de laine. A quoi me servirait alors d’avoir du talent ? A mieux bêler ?

La question à vrai dire n’est pas de ton talent mais plutôt de ce que veux-tu faire de ta plume ? La pelle du fossoyeur de ta liberté ou le glaive conquérant de ton humanité ? Malheureusement, notre temps n’aime pas les guerriers, fussent-ils de papier.


L’ami philosophe de l’académicien
L’ami philosophe de l’académicien
Cher Philippe de Villiers,
Cher Philippe de Villiers,
Un jeune prêtre à l’école de Georges
Un jeune prêtre à l’école de Georges

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