Lettre à une carabine
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Ou comment mettre du plomb dans la tête d'une jeune étudiante en médecine…
Ma chère jeune amie,
Quel enthousiasme pour tes études de médecine ! Je ne peux que me réjouir avec toi de ton impatience à soigner et de cette ambition dévorante qui t’habite pour, dis-tu, éradiquer la maladie quelle qu’elle soit. Que voilà un fort bel idéal.
Mais à te lire, je me pose une question. Qui cet idéal sert-il finalement ? Le souffrant ou cette tentation de toute-puissance qui fait sombrer tant de tes pairs ? Sans doute y a-t-il des deux. Ne devrais-tu te contenter d’espérer soigner de ton mieux tout en conservant à l’esprit que précisément, ce qui fait notre humanité réside aussi dans nos faiblesses et nos limites, y compris d’ailleurs les tiennes ?
Certains, depuis longtemps déjà, tentent de nous libérer des vieux oripeaux de l’homme fragile. Mais dans leur esprit, il ne s’agit déjà plus de soigner, c’est-à-dire de faire preuve de compassion. Il s’agit désormais d’augmenter le potentiel humain, de « monter de version » comme le disent les informaticiens.
Augmenter le potentiel de l’homme est une chance incroyable, m’écris-tu. Tu te réjouis ainsi que l’on puisse bientôt rendre leur autonomie à des tétraplégiques en branchant directement leurs cerveaux à des exosquelettes. Et il est vrai que la prouesse technique et médicale est remarquable… mais leur a-t-on demandé ce qu’eux-mêmes voulaient, ce dont ils ont réellement besoin ou bien la Recherche l’a-t-elle décidé arbitrairement pour eux ?
La médecine n’est pas d’abord affaire de prouesses techniques mais de relations. Le médecin ne doit pas être celui qui abolit la faiblesse. Il doit être celui qui l’écoute et qui soigne le corps et l’esprit, celui qui soulage et qui accompagne devant le mystère d’une vie douloureuse et éprouvée. C’est toute la grandeur de cette vocation.
Garde-toi des sirènes du transhumanisme qui promeut un monde aseptisé. C’est la grandeur de l’Homme que d’être faible. C’est ce qui le rend interdépendant. C’est la source de toutes les solidarités. L’oublier, c’est condamner l’Homme à la nuit de son orgueil.
Et puis, que serait la valeur de nos vies sans leur poids d’épreuves et sans le terme ultime de la mort ? L’Immortalité dans un corps parfait, c’est la vie prisonnière du temps à jamais. Pour ma part, je lui préfère de beaucoup l’Eternité, une vie enfin libérée de la contrainte du temps.