Déplier le mystère du beau, avec Christine Sourgins

Historienne d’art et blogueuse (https://www.sourgins.fr), Christine Sourgins publie aux éditions Boleine Anatomie de la Beauté. Si son blog affirme que « Sans l’art, la vie serait une erreur », son livre semble inverser la proposition : « Sans la beauté, l’art serait une erreur… » Afin de mieux comprendre son approche du beau, nous l’avons interrogée à travers cinq questions essentielles.

• La couverture du livre

FA : Dès la couverture, une image intrigue : une muse antique, hiératique, tenant dans ses mains un objet énigmatique. Quelle est la signification de cette figure, et quel rôle joue-t-elle dans l’économie symbolique du livre ?

Christine Sourgins : La couverture reprend une fresque de Pompéi, la figure ailée porte un trépied utilisé dans le culte antique, ce qui fait de cette “Victoire” une figure moins guerrière qu’une servante du divin, rôle que la beauté a longtemps endossé ! Oui, la beauté est mystérieuse mais il ne faut pas en user pour se défausser : ce n’est pas un mystère dont on ne peut rien dire mais un mystère (comme ceux de la théologie) que l’on n’a jamais fini d’approfondir… 

• Le titre de l’ouvrage

FA : Le titre met déjà en tension deux registres : celui du scientifique avec « anatomie », et celui du poétique avec « beauté ». Comment ces deux mots, si différents, s’articulent-ils pour former la clef de lecture de l’ouvrage ?

Christine Sourgins : “Anatomie” est aujourd’hui utilisé pour signifier une analyse, ce qui est le cas. Ce terme est en usage à la fois dans le monde médical et artistique, en particulier dans la représentation des nus. Dans les deux cas, il y a allusion à la présence d’un corps, et c’est bien ce que j’entends restituer, l’aspect organique d’une notion constamment attaquée et déconstruite depuis 50 ans. Certains en ont fait un empilement de concepts desséchés ou d’oukases mortifères d’un autre âge (les fameux “canons artistiques”) mais le livre décrit au contraire une physiologie du beau, son métabolisme, sa vitalité.

• Le sous-titre : Qu’est-ce que le beau ?

FA : Le sous-titre de l’ouvrage pose la question de façon frontale, avec une tonalité résolument philosophique. L’auteure se rattache-t-elle à un courant précis, ou préfère-t-elle naviguer entre les traditions, de Platon à nos contemporains ?

Christine Sourgins : « La philosophie s’est intéressée au beau dès Platon et régulièrement nombre de philosophes l’ont embarqué dans leur système, mais la beauté est toujours singulière et les concepts philosophiques, eux, visent des généralités d’où beaucoup de quiproquos. Je fais donc à la philosophie, comme à la sociologie, une place, certes, mais prudente. Je distingue d’emblée l’Idée de Beauté (avec majuscule), abstraction intellectuelle, de la beauté artistique, celle que l’on peut appréhender avec nos sens, et qui est une expérience sensible et existentielle. Le sous-titre est plus pragmatique que vous ne le pensez car beaucoup de nos contemporains ont perdu le beau comme d’autres le Nord : le beau est refusé car restreint à une dogmatique ou alors toléré mais réduit cette fois au grand n’importe quoi “des goûts et des couleurs dont on ne discute pas”. Mensonge, on en a toujours discuté car s’il y a une part de subjectivité dans la beauté, et c’est heureux, si elle est un mystère, elle n’est pas non plus un délire !

• La beauté et la dimension sacrée

FA : La beauté n’est-elle pas aussi porteuse d’une dimension sacrée ? Peut-on dire, avec Aude de Kerros, qu’une œuvre vraiment belle possède quelque chose d’« eucharistique », comme si elle offrait une part de transcendance ?

Christine Sourgins : Il y a effectivement des voies spirituelles du beau, j’aborderai cet aspect dans un troisième livre sur “Les bienfaits du beau”. “Anatomie de la beauté”, le premier livre, c’est en quelque sorte la reconstruction des “murs porteurs”, suivra au mois d’octobre une “Géographie du beau” qui détaille les climats et terroirs où la beauté peut s’épanouir ou pas : l’harmonieux, le sublime, le joli, l’étrange, etc. Puis viendra, en 2026, “Les bienfaits du beau”, “les beautés singulières” (celles qui posent problème, comme la beauté des nus ou la beauté du mal, etc.) et enfin “Guerre à la beauté !” expliquera pourquoi et comment on a mené bataille contre le beau.

• Une rencontre avec la beauté

FA : Parmi toutes les œuvres que vous avez contemplées, si vous deviez en retenir une seule, celle qui vous a véritablement saisie, bouleversée, peut-être même transformée, laquelle serait-ce ? Pouvez-vous nous raconter ce moment précis de rencontre avec la beauté ?

Christine Sourgins : Beaucoup d’exemples sont donnés dans ce livre, j’aborde principalement la beauté artistique car c’est la plus attaquée (sans se priver d’allusions à la beauté de la nature, les deux étant souvent liées). Les exemples tirés de la Peinture, ceux que j’utilise le plus souvent, ont l’avantage, grâce à Internet, d’être faciles à retrouver et le lecteur peut alors vérifier par lui-même. Cela permet d’avoir un livre à petit prix, ce qui ne serait pas le cas s’il fallait financer les droits à l’image.  Personnellement, enfant, j’ai rencontré le beau d’abord dans la peinture surréaliste ; « L’œil du silence » de Max Ernst me fascinait : il me transportait en un paysage antédiluvien d’une troublante quiétude, on y ressentait l’imminence de gouttes d’eau traversant des gouffres : une peinture muette peut donc véhiculer des impressions sonores, de textures, de fraîcheur ; mais que signifiaient ces concrétions rocheuses ou osseuses etc. ? Il est possible qu’on devienne historienne de l’art pour le comprendre…

Christine Sourgins donnera une conférence-dédicace illustrée de projections, mercredi 8 octobre à 17h30. Gratuite mais sur réservation vu le petit nombre de places : réserver par mail à cap-aristee@orange.fr Lieu : librairie Boleine, 41, rue de Bourgogne, Paris 7ème.

Anatomie de la beauté peut être commandé sur le site des Éditions Boleine : https://editions-boleine.fr/catalogue/105-anatomie-de-la-beaute.html