L’artefact contemporain conceptuel
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L’artefact contemporain conceptuel
Qu’est-ce que l’art, et qu’est-ce qui ne l’est pas ? La question se renouvelle à l’ère de l’artefact contemporain conceptuel (ACC). L’art a toujours accompagné l’aventure humaine. Non vital, il reste essentiel : il relie les individus, crée des symboles communs et inscrit une société dans le temps. Or, l’ACC semble remettre en cause cette fonction. Peut-on parler d’art lorsqu’une œuvre ne suscite ni émotion, ni mémoire, ni savoir-faire ? Comme une zone cérébrale blessée révèle sa fonction par son absence, l’ACC impose de définir l’art d’un point de vue anthropologique.
Une œuvre qui n’éveille ni tradition, ni émotion, ni mémoire relève plutôt de l’« artefact ». Si l’artefact conceptuel n’est pas artistique, quelle est alors son essence ?
1. L’artefact conceptuel : miroir du technocapitalisme
Je défends depuis longtemps l’idée que l’ACC partage son essence avec les objets techniques : métro, smartphone, publicité monumentale. Le Bouquet de tulipes de Jeff Koons n’a pas plus d’âme qu’un panneau publicitaire. L’ACC ne relève pas de l’art mais du processus technicien. Loin d’être un art décadent ou futile, il est autre chose qu’un art. Il fonctionne comme un logo, reflet d’une société technocapitaliste et anesthésiée. Une société transformée en « entreprise » ne peut produire que des logos, pas des œuvres d’art.
2. Exposition ou imposition ?
Ces artefacts ne sont pas seulement exposés, ils sont imposés. Financés par l’argent public, ils s’imposent au regard de tous. Le terme « imposition » me paraît plus juste qu’« exposition ». Que nous impose-t-on ? Un totem du capitalisme. Moins créations que logos, ces objets reflètent la mutation d’une société organique en société mécanique, sous la bannière des multinationales.
3. Nommer l’artefact pour en saisir l’essence
René Huygue disait : « Toute œuvre reflète une part du secret d’un lieu et d’un temps. Elle est à la fois expression de l’artiste et révélateur des profondeurs de la société ». L’art exprime l’inconscient individuel, mais surtout l’inconscient collectif d’une époque. Ce que dit Koons de ses tulipes m’importe peu ; ce que dit l’agent chargé de les exposer, encore moins. Mais qu’un État subventionne et présente de tels artefacts comme de l’art est stupéfiant.
La France est unique : c’est le seul pays où l’ACC est devenu art officiel. Ailleurs, plusieurs courants coexistent. Ici, l’État a choisi l’ACC comme unique art reconnu. Aude de Kerros décrit longuement ce fait dans son livre L’imposture de l’art contemporain. Est-ce donc un hasard si la France est aussi le seul pays d’Europe sans armoiries officielles ? L’atrophie symbolique va de pair avec l’hypertrophie de l’ACC.
Nommer les choses avec précision est essentiel. Je ne dis pas que les tulipes de Koons sont « décadentes » ou « négatives » ; ces mots supposent que cela reste de l’art. Moi, je dis autre chose. Ce n’est pas de l’art. Leur essence relève de la technologie, non de l’art. Confondre artefact conceptuel et œuvre d’art, c’est confondre crépuscule et aurore : l’un annonce la nuit, l’autre le jour.
4. L’art comme « signe du temps »
Dans l’atelier, une œuvre est une chose ; exposée, elle devient autre. C’est cette dimension que je retiens. Une œuvre exposée devient un « signe du temps ». Cette expression n’est pas moi. Je reprends l’expression de René Huygue, lui-même sans doute influencé par René Guénon. Pour Huygue, l’œuvre exposée relève de la psychologie collective ; pour moi, de l’anthropologie. Bien que distinctes, les deux approches se recoupent : il y a de la psychologie dans l’anthropologie et vice versa.
L’art n’est pas seulement social ou politique. Il ouvre sur l’invisible. Il est esthétique et contemplatif. La beauté d’une sonate de Mozart ou d’un Vermeer peut nous faire changer d’« octave ». L’art inspiré est dans le monde, mais pas du monde : il ouvre à une octave surnaturelle. Peut-être la finalité ultime de l’homme est-elle cette transfiguration ?
Aude de Kerros m’a un jour confié que l’art est « eucharistique ». Ce mot a bouleversé ma vision.
5. L’art comme transfiguration
Avec le temps, un second terme s’est imposé : « transfigurique ». La beauté peut nous faire changer de plan, passer du monde-machine au monde-légende. C’est ce passage que j’appelle « changement d’octave ».
L’ACC nous prive de cette élévation. Dans le monde actuel, il existe deux magies : la magie noire de la technoscience et la magie blanche de l’art. La première remplace l’homme, la seconde l’augmente. Cette dialectique fondamentale nous vient de Friedrich-Georg Jünger, de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, nous vivons une troisième guerre : la globalisation — dont l’ACC pourrait bien être le logo.
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