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BARBARA, le film d’une femme qui chante

BARBARA, le film d’une femme qui chante

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J’écoutais tout le temps Barbara quand j’avais 16 ans. J’ai toujours 16 ans. J’aurai toujours 16 ans. On n’est pas sérieux non plus. Et avec le film de Matthieu Amalric, tout, j’ai tout retrouvé. D’abord la voix de la femme qui parle avant celle de la femme qui chante. Le film s’ouvre sur Barbara qui parle. C’est cette singularité qui va souligner tout le film. La singularité de la femme qui s’est contentée, sans forcer, sans artifice, sans jamais se travestir, de faire de sa parole une musique. On retrouve son phrasé au débit excessif, ces salves de syllabes qui se bousculent dans une respiration, la langue qui tâtonne autour d’une seule idée dans un da capo perpétuel, idée qu’elle ne pourra finalement exprimer qu’en chantant.

Jeanne Balibar ose en toute humilité l’imitation. Elle ne va pas réinventer une Barbara, nous donner à voir comment on peut interpréter Barbara, comme on revisite un rôle. Elle imite tout simplement et le réalisateur filme l’entraînement, le travail de l’actrice devant la vidéo de la chanteuse. Et par l’imitation, tout, j’ai tout retrouvé aussi. Ce regard noir espiègle et autoritaire à la fois, ce regard qui nous oblige et qui fuit sans arrêt dans les coins de l’œil sans parvenir à s’échapper, et que la paupière recouvre pour imposer notre silence, écrin de son souffle qui va se faire sonore par intermittence. Ces lèvres qui accompagnent les mots jusqu’à leur sortie pour qu’ils ressemblent à des baisers. Ce corps encombré de lui-même, aux gestes maladroits d’où s’échappe en jeu d’ombres une grâce à la sauvage. Un menton qui se relève pour s’échapper de l’horizon du piano et fait plonger le nez comme un bec dans les airs. Ces longs doigts craquants comme des arbres en hiver qui dessinent l’air dans les airs.

Le film de Matthieu Amalric ne nous raconte pas l’histoire de la chanteuse, il n’a pas ce foutu défaut des biopics d’aller chercher ce qui est enfoui et vulgaire chez l’être pour mieux le rendre public dans une volonté d’aplatir tout ce que l’on a aimé, de mettre à notre niveau tout ce qui fut vertical. De la vie de la femme qui chante, nous n’en saurons pas davantage que ce qu’elle avait raconté. Le couple Amalric-Balibar nous donne à voir Barbara tel qu’elle a voulu être pour les autres, tel qu’elle se faisait cadeau pour nous tous. L’éternel est ainsi préservé. Nos mémoires.

Même si il y a tout de même une chronologie, puisqu’on débute avec une Balibar chantant les chansons de Brassens que Barbara interprétait à l’Ecluse et on finit à Précy sur la voix déraillée qui n’est plus que le « spectre » qu’elle a été. La diva devint sorcière au soir de sa carrière, sans que je puisse détourner mon regard ni mon écoute. Au-delà de cette chronologie plus que discrète, Amalric plonge la femme qui chante dans une construction où elle n’est plus que le sujet d’un film dont nous voyons la réalisation. Il y a une mise en abîme du sujet pour mieux le préserver. Voilà donc l’histoire du film : un réalisateur réalise un film sur Barbara, il est fasciné par son actrice si proche de la réalité, si confondante. Et nous épousons son émotion, son trouble en voyant les images de l’actrice et de la chanteuse se superposer, leurs voix se succéder. Si cette mise en abîme sert à réaliser le clip extrêmement esthétique qu’est le film, elle n’est pas véritablement utilisée. Ce film, s’il ne raconte pas l’histoire de Barbara, et nous nous en félicitons, ne raconte aucune histoire du tout. Et cela pose problème pour un film. On aurait eu envie que le réalisateur soit amoureux de son actrice jouant Barbara, que l’actrice soit jalouse de l’héroïne qu’elle joue, que le réalisateur confonde les mots des chansons avec la réalité, etc. Bref que la mise en abîme serve. Que la confusion des genres se propage comme un virus et que la fiction Barbara contamine la réalité jusqu’à ce qu’Amalric avoue avec les mots écrits par Depardieu fils pour la dame en noir : « A force de m’être cherchée, c’est toi que j’ai perdu. »

Si on n’est pas fan de Barbara, le film ennuie. Comme un hommage. Moi je ne me suis pas ennuyé. Cela m’a donné à voir Barbara tel que je l’ai en tête, tel que je l’aurai toujours en tête. C’est moi qui aurais du faire ce rôle ! Il était fait pour moi. Je l’imite aussi très bien, à prendre une voix un peu perchée, un peu nasale avant, charriant quelques colères de gorge et s’absentant un coup sur deux. Je peux chanter comme elle, avec le souffle, en bouffant des syllabes, en filet puis en trombe, en trombe puis en filet. Je peux bouger comme elle, saccader la danse, faire l’albatros féminin. Moi aussi je peux faire les gestes de la diva sur son rocking-chair. Moi, comme tous les fans de Barbara. « On est des milliers, on pourrait soulever une armée. » dit Luchini dans Jean-Philippe. Aucune peur du ridicule puisqu’on aime. Jeanne Balibar a pris mon rôle ! Le rôle que tous les fans voulaient tenir. En attendant, nous regardons avec les yeux fascinés, ces yeux qui aiment souffrir, ces yeux qui sont prêts à s’aveugler pour voir ça, les yeux de Matthieu Amalric, de ceux qui ne s’autoriseront jamais à être aimés par ce qu’ils voient. Je m’aperçois que je n’avais jamais fait de papier sur Barbara. C’est sans doute la vertu de ce film. Maintenant qui nous fera un film sur l’albatros du rock, Dominique A ?


Lou Casa interprète Brel
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Le Sud, lieu mythique puis de désenchantement de Victor Erice
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Jorge Luis Borges à l’écran argentin
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