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Les œuvres de Barbey d’Aurevilly au cinéma et à la télévision

Les œuvres de Barbey d’Aurevilly au cinéma et à la télévision

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Depuis 70 ans les écrits du romancier et nouvelliste français Barbey d’Aurevilly ont suscité quelques rares adaptations télévisuelles et cinématographiques.

Un petit retour sur ces adaptations (récemment déterrées et numérisées pour les plus anciennes d’entre-elles) nous permet de saisir un peu de la réalité et du surnaturel dans l’œuvre du romancier normand, celle-ci sujette à la libre inspiration des cinéastes du petit comme du grand-écran.

Barbey d’Aurevilly adapté pour le grand écran

En 1952, des réalisateurs français et italiens de renom tournent un film à sketchs Les Sept Péchés capitaux (I sette peccati capitali) financé par Gaumont pour la France et la 20th Century fox pour l’Italie.
Parmi les sketchs, « la Luxure » d’Yves Allegret.

Résumé. Les premiers émois d'une adolescente, Chantal, qui se croit enceinte, rapprochent celui qu'elle croit être son séducteur, Ravila, et sa mère, Mme Bianca, la belle aubergiste.
Le Scénario, l’adaptation, et les dialogues sont signés par Jean Aurenche et Pierre Bost, d'après une nouvelle de Jules Amédée Barbey d'Aurevilly.
Au casting, nous découvrons Viviane Romance pour le rôle de Madame Blanc, et Maurice Ronet en curé.

L’année suivante, en 1953, sort également un autre film à sketchs d’Alexandre Astruc. Le programme s’intitule Les crimes de l’Amour et inclus deux moyens-métrages : Le Rideau cramoisi, adaptation de la nouvelle éponyme de Barbey d'Aurevilly première des six Diaboliques et Mina de Vanghel d’après un roman de Stendhal publié par Romain Colomb dans la Revue des Deux Mondes 100 ans plus tôt.

Ce film très bien réalisé obtient le prix Louis-Delluc en 1952 et est par ailleurs présenté hors compétition au festival de Cannes la même année. L’ancien couvent bénédictin rue Saint-Jacques à Paris (VIè) sert de décor naturel.

Le Rideau cramoisi

Résumé.

La nouvelle commence dans une voiture à chevaux. Le narrateur voyage en compagnie du Vicomte de Brassard, qui, à la suite d’un arrêt devant une maison, va lui raconter un évènement troublant de sa vie de jeune homme. Alors qu’il était tout juste lieutenant il logeait chez un couple. Leur fille rentra de pension et le Vicomte finit par avoir une aventure avec elle. Pour venir le retrouver, la jeune fille nommée Albertine, doit traverser la chambre de ses parents. Mais un soir, brutalement, Albertine meurt dans les bras de Brassard. Il ne sait plus quoi faire et, mortifié, il rapporte son cadavre dans sa chambre et fuit.

Ce film qui joue très habilement des contrastes en noir et blanc, retranscrit assez précisément toute l’atmosphère gothique de la nouvelle en question.

Barbey d’Aurévilly adapté pour le petit écran.

Hauteclaire ou le Bonheur dans le crime est un téléfilm français réalisé par Jean Prat, adapté par Françoise Dumayet, et coproduit en 1961 par l’ORTF (Office national de radiodiffusion télévision française). Ce long métrage est une adaptation télévisuelle de la nouvelle « Le Bonheur dans le crime », tirée également du recueil Les Diaboliques. Diffusé pour la première fois le 13 juin 1961, il est annoncé par le présentateur Georges Lherminier.

« L'action se passe sous la Restauration, au château de Savigny, près de Nerville, petite ville dévote et pudibonde du Cotentin. Le docteur Torty en est le médecin. Il raconte une histoire dont il est le seul à connaître le secret, celle d'un couple criminel, sans remords aucun. La jolie Hauteclaire Stassin, fille du maître d'armes, rencontre le comte de Savigny, marié à la noble et languissante Delphine. Follement éprise du comte, Hauteclaire s'engage comme servante au château. Peu de temps après, la comtesse meurt empoisonnée. Les amants coupables resteront ils impunis ? »

« Le film s’ouvre sur une scène où le docteur Torty s’adresse, depuis son bureau, directement à la caméra, c’est-à-dire à nous, téléspectateurs. Il présente ainsi les personnages principaux et situe l’action. Le médecin, tant dans la nouvelle de Jules Barbey d’Aurevilly que dans l’adaptation télévisuelle de Jean Prat et Françoise Dumayet, fait office de narrateur. Il intervient, tout au long du film, grâce au dispositif de la voix-off.
(…) Le téléfilm, suivant le schéma narratif, se déploie en trois parties annoncées par l’apparition du docteur Torty qui nous parle d’ami à ami, depuis son bureau. Le plan ne cesse de se resserrer autour du médecin au cours de ces apparitions, comme si le téléspectateur entrait de plus en plus dans la confidence. Le médecin apparait lors de la scène d’ouverture du film en plan taille, sa seconde apparition est filmée en plan poitrine et la troisième en gros plan. Le dernier tiers laisse place au dénouement. »


Mireille Darc tient là l'un de ses premiers rôles dans le personnage de Hauteclaire Stassin dans le téléfilm Hauteclaire ou le Bonheur dans le crime.

Claude-Jean Bonnardot réalise Le Chevalier Destouches en 1966, toujours pour la télévision.


Jean Sobieski ici en Chevalier Destouches.

Résumé. Pendant les derniers soubresauts de la Chouannerie, pratiquement écrasée par les soldats de la République, le chevalier Des Touches, chef redouté des "Blancs", tente de ranimer la révolte agonisante. Il semble invincible et insaisissable. Pourtant, il est trahi et tombe aux mains des Républicains…

En 1970 le cinéaste italien Carmelo Bene réalise Don Giovanni, film quasi expérimental librement inspiré de la nouvelle Le Plus Bel Amour de Don Juan parue en 1867.
Don Juan essaye frénétiquement de séduire la fille de sa maîtresse, une adolescente coquine et d'apparence laide, qui est très pieuse. Il utilise tous les expédients à cette fin, allant jusqu'à réaliser un théâtre de marionnettes, inspiré des Aventures de Pinocchio, jusqu'à se déguiser sous les traits du Rédempteur, mais ses efforts semblent vains.
Le film, qui a coûté quelques millions de lires, est tourné dans un espace intérieur très exigu. Le montage consistait en un grand nombre de plans, dont plusieurs étaient si courts, de quelques images, qu'ils n'étaient perceptibles qu'à un niveau subliminal. Don Giovanni commence par une scène en noir et blanc (entrecoupée de deux cadres en couleur) et se poursuit ensuite en couleur. Carmelo Bene écrit dans sa Vita :
« Don Giovanni est de l'art en morceaux, de la musique en morceaux. […] Don Giovanni est un traité sur la mort, sur la putréfaction des morts encore vivants. C'est le moment le plus lyrique de mon cinéma. » — Carmelo Bene (1)

« Les références à la peinture sont multiples : Ingres et ses odalisques au début avec le corps de la mère ; La Venus au miroir de Velázquez et La bataille de San Romano d'Uccello lorsque Don Jan s'accroche aux multiples lances. Le texte en italien est entrecoupé d'anglais, de français et d'espagnol. Les commentaires doctes sont dis en anglais ("Non, tu ne te vanteras pas de me faire changer, ô Temps ! Tes pyramides, reconstruites sur de nouvelles assises," (123e sonnet de Shakespeare) ou "…vient de notre désir et non de pas comment on nous l'a raconté" ainsi que les commentaires sur le fait que le véritable artiste, comme Don Juan, soit celui d'un art inachevé. Le texte en Français ne provient pas de Barbey d'Aurevilly mais de Sainte Thérèse de Lisieux. Quelques phrases en Espagnol encadrent l'image de La Venus au miroir.
Le film est tourné très rapidement, à nouveau avec Masini comme chef-opérateur en 16 mm couleur sauf le prologue, en noir et blanc, dans des lumières très sombres dans une petite maison de l'Aventina appartenant à la peintre Salvatore Vendittelli, collaboratrice depuis 1961. Le montage de Contini est particulièrement complexe : quatre mille plans, avec des inserts de trames colorées, avec parfois des jointures visibles et sonores.
Le film est présenté le 13 mai 1970, à minuit, à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, puis dans une projection parallèle à Venise le 29 Août. Il sort à Paris au Théâtre Marigny le 30 Octobre puis en salles en Décembre. En Italie il est distribué par l'habituel régional indépendant, à Rome, au Salone Margherita le 1er Septembre 1970 et à Milan, et dans les Jewel Orchid 12 Février 1971. Les recettes sont ridicules : 12 millions et demi (mais le film obtient le prix qualité). Après les premières sorties, le film était devenu invisible car les copies et négatifs avaient été saisis à la suite d'une faillite. Le film est devenu de nouveau disponible à travers le National Film Archive. » (2)
Le Don Giovanni de Carmelo Bene a été très bien accueilli par les critiques français et italiens, comme Alberto Moravia et Goffredo Fofi. Olivier Père parle des films de Bene comme des « cristaux cinématographiques uniques, égarés dans le cosmos » (3). Henri Langlois comparait les films de Bene à des pâtisseries aux saveurs mélangées, et parlait de films remplis de cailloux. Les uns s’y brisent les dents, les autres s’en emparent et en font des rubis. Gilles Deleuze dans L'image-temps déclare que Bene est « un des plus grands constructeurs d’image-cristal » : « C’est toute l’image qui bouge ou palpite, les reflets se colorent violemment, les couleurs elles-mêmes cristallisent… ». (3)

En 1977, Raymond Rouleau adapte à son tour le rideau cramoisi avec Un amour de jeunesse. Le film est tourné en vidéo pour la télévision.
Résumé : Quel brûlant secret cache ce rideau cramoisi ? Un vicomte se souvient d’une aventure de jeunesse : alors qu’il loge chez des personnes âgées, la rencontre de la jolie fille des maîtres des lieux bouleverse son cœur. La jeune femme semble totalement insensible à la cour du soupirant. Et pourtant, une nuit…

En 1981, le réalisateur Jean Prat adapte pour la télévision une autre œuvre de Barbey L'Ensorcelée, celle-ci parue en 1852.
L’histoire se déroule dans un petit village de Normandie. Un soir, un voyageur de passage se retrouve bloqué dans l’auberge du village. Les habitants lui racontent alors les étranges évènements qui s’y sont déroulés quelques années plus tôt. Une femme, Jeanne le Hardouey, épouse d’un riche paysan de la région, rencontre, alors qu’elle se rend à la messe, un homme étrange masquant continuellement son visage sous son capuchon noir. Lorsqu’elle aperçoit enfin son visage, elle se rend compte qu’il est défiguré. Il s’agit de l’abbé de la Croix-Jugan qui, après s’être engagé aux côtés des Chouans, des hommes se révoltant contre le pouvoir révolutionnaire, a tenté de se suicider mais n’en garde qu’une blessure à la figure. Elle est fascinée par lui et elle en tombe peu à peu amoureuse. Quand Jeanne est retrouvée morte, noyée dans un lavoir, l’abbé fait immédiatement l’objet de toutes les accusations.
Le téléfilm est un succès au moment de sa parution. Cependant, il est peu à peu oublié. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles, en 1991, se sentant exclu et inadapté à la télévision nouvelle, Jean Prat mettra fin à ses jours.
Ce téléfilm malheureusement tourné en vidéo (en U-matic, le Bétacam n’arrivant sur le marché que l’année suivante, en 1982) a terriblement mal vieilli. La définition reste de moindre qualité.

En 1981 toujours, la réalisatrice Jeannette Hubert signe Une histoire sans nom, tiré du roman éponyme, et ce, encore pour la télévision.

Résumé. En 1790, dans les Cévennes, Mme Ferjol ouvre sa porte à un mystérieux inconnu, le père Riculf, qui va séjourner chez elle. Une visite qui va déclencher d’étranges événements. Après son départ, sa fille, Lasthénie, tombe malade. Sa mère comprend rapidement que la jeune fille est tombée enceinte, mais cette dernière refuse de l’admettre.

La dernière adaptation en date : Une vielle maîtresse
En 2007, l’inénarrable Catherine Breillat réalise le film « Une vielle maîtresse » d’après le roman éponyme.
Résumé. Paris 1835. Le beau Ryno de Marigny doit épouser la jeune Hermangarde de Polastron dont il semble réellement épris. Mais sa maîtresse Vellini, une Magalaise possessive qu'il fréquente depuis dix ans, ne peut l'imaginer durablement dans les bras d'une autre…

« C’est lent, c'est sophistiqué, c'est sensuel.
Contes, marquis et courtisanes de luxe, on est entre gens de bonne compagnie, et le peuple travailleur est bien loin qui n'apparaît que de temps en temps au détour d'un fiacre ou d'un bateau de pêche. Au milieu des poncifs de l'aristocratie du début XIXe: honneur, manières policées et oisiveté, mais aussi perfidie et libertinage, entre promenades au Bois et soirées à l'Opéra, on a le temps de se consacrer aux soupers fins et grivois et aux aventures d'alcôve.

Je laisse les experts cinéphiles analyser les aspects techniques du film ; moi qui suis simple et bon public, j'ai joui des beaux appartements, des tissus, des beaux paysages et des beaux acteurs (ah ! Michael Lonsdale en vieux noble retors !).


Michael Lonsdale incarne le Vicomte de Prony dans une vielle maîtresse.

Le protagoniste, beau et androgyne, plutôt antipathique mais tellement convaincu de son destin tragique qu'on lui trouverait presque des excuses. L'épouse officielle, blonde, belle, lisse et un peu oie blanche, dont le destin est de subir celui des autres. Et la maîtresse espagnole, pas belle mais suffisamment sensuelle pour ne pas être laide, follement ardente et fatale qui elle prend son destin (et celui des autres) en main (on pense évidemment irrésistiblement à Carmen).
C'est exactement comme ça qu'on devait s'imaginer l'histoire quand on lisait Barbey d'Aurevilly dans notre jeunesse studieuse et romantique. » (5)
Il s’agît de la dernière adaptation cinématographique à ce jour.
En 2009, le réalisateur Denis Malleval reéaliser à son tour le téléfilm Le Bonheur dans le crime avec Didier Bourdon en Docteur Crosnier.

Gageons que le grand dandy d’Aurevilly continuera d’inspirer d’autres cinéastes pour les années futures.

Du coté des DVD et VOD

  • Les Sept Péchés capitaux (I sette peccati capitali) 1952 – Épisode La Luxure d’Yves Allegret DVD (Z2) ‎ TERMINAL VIDEO ITALIA SRL 2009 (Import italien - pas de sous-titre en français).
  • Le rideau cramoisi d’Alexandre Astruc (1953) est visible ici https://www.youtube.com/watch?v=lnzUY4dO23c
  • Hauteclaire ou le Bonheur dans le crime de Jean Prat (1961-TV), Le Chevalier des Touches de Claude Jean Bonnardot (1966-TV), Un amour de jeunesse de Raymond Rouleau (1977-TV), L'Ensorcelée de Jean Prat (1980-TV), Une histoire sans nom de Jeannette Hubert (1981) sont disponibles sur la plateforme en ligne madelen.ina.fr/
  • Don Giovanni de Carmelo Bene (1970)
  • DVD (Z2) CG ENTERTAINMENT SRL 2013 (Import italien – pas de sous-titre en français).
  • Une vielle maîtresse de Catherine Breillat (2007)
  • DVD (Z2) Studio Canal

(1) (it) Carmelo Bene et Giancarlo Dotto, Vita di Carmelo Bene, Milano, Bompiani,

(2) « Don Giovanni »
(https://www.cineclubdecaen.com/realisateur/benecarmelo/dongiovanni.htm),

(3) Olivier Père, « Hommage à Carmelo Bene » (https://www.lesinrocks.com/cinema/hommage-a-carmelo-bene-26562-09-08-2006/), sur lesinrocks.com, 9 août 2006

(4) Nous renvoyons le lecteur vers ces deux critiques :
https://www.critikat.com/actualite-cine/critique/une-vieille-maitresse/
https://www.lemonde.fr/cinema/article/2007/05/26/une-vieille-maitresse-catherine-breillat-ravive-la-guerre-des-sexes_915368_3476.html

(5) Taranos DVD Toile le 15 février 2016
https://dvdtoile.com/Film.php?id=21408&page=4


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