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Un cinéaste bosniaque à Cannes en 68

Un cinéaste bosniaque à Cannes en 68

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Les enfants d’après (Mali vojnici), un film quasi invisible en France depuis sa réalisation.

Nous sommes en mai 1968. A Cannes, des réalisateurs français se mobilisent autour de l’affaire Langlois qui s'est terminée un mois plus tôt, et demandent l'interruption du festival, par solidarité avec les mouvements ouvriers et estudiantins. Cette interruption est refusée par le délégué général, Robert Favre Le Bret. La projection du film Peppermint frappé de Carlos Saura le 18 mai est perturbée par les contestataires parmi lesquels François Truffaut, Jean-Luc Godart, Claude Berri et Carlos Saura, celui-ci allant jusqu'à s'accrocher aux rideaux de la salle pour empêcher la projection de son propre film. Plusieurs membres du jury démissionnent tandis que des réalisateurs demandent le retrait de la compétition pour leurs films. Le conseil d'administration du festival décide finalement de clore cette édition le dimanche 19 mai à 12 heures. Le festival ne remettra aucun prix cette année-là et s’achève par la projection d’un long-métrage documentaire Irish Rocky Road (1) réalisé par le journaliste d'origine irlandaise Peter Lennon (2) et le cinéaste français Raoul Coutard.

En cabine de projection, les bobines 35 mm d’un film choc, celui-ci yougoslave, ne tournerons jamais ; il s’agit de celles de Les enfants d’après, premier long métrage du cinéaste bosniaque Bahrudin « Bato » Cengic. (3)

Synopsis : Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, un groupe d’orphelins de guerre se réunit dans un vieux monastère qui devient leur foyer. Leur seul amusement est de « jouer à la guerre ». Un nouveau pensionnaire, un jeune garçon blond, refuse de participer à ce jeu. La sentence de ses camarades sera impitoyable… »

Très proche de part son scénario du film hongrois Valahol Európában- Quelque part en Europe -1948) de Géza von Radványi, ce film tourné en Noir et Blanc et produit par Bosna Film (établie à Sarajevo), se rapproche très justement de l’adaptation cinématographique de Lord of the Flies (Sa Majesté des Mouches) de Peter Brook, celle-ci sortie cinq ans plus tôt.

On y retrouve la même violence juvénile, idéologique et guerrière, les mêmes codes de lutte de pouvoir , les mêmes structures telle celle du tribunal militaire dressé par les enfants, eux-mêmes contaminés dans cet immédiat après guerre.

Sans manichéisme, le réalisateur Bahrudin Cengic nous montre les ravages et les séquelles qui se poursuivent au-delà cette guerre, ô combien meurtrière et fratricide. La cruauté dépeinte dans certaines séquences est parfois stupéfiante tandis que d’autres scènes surprennent par un traitement à la limite du surréalisme, (ce que l’on ne retrouve point dans un film comme Valahol Európában, Lord of the flies, ou bien encore Demain les mômes (1976) du français Jean Pourtalé) .

« A cette époque c’était un film très dur (…) dans son vérisme. C’était un film difficile à propos d’orphelins qui ne savaient quoi que ce soit à propos d’eux-mêmes. Nous l’avons fait au bon moment. C’était le meilleur moment de le comprendre, parce que l’Europe avait beaucoup d’orphelins qui sont à nouveau manipulés, amenés dans une situation à jouer le rôle de Bosko Buha. J’ai l’impression que leur malheur a été utilisé » Bato Cengic, interviewé par Zdenka Aćin

La musique tirée de chants révolutionnaires donne du rythme à ce film très dérangeant, notamment dès son ouverture. On retrouve le même air dans la dernière scène ; le film se termine par une prise de vue bien angoissante, l’objectif de la caméra faisant face à un soleil plombant, lors d’une chasse à l’homme entre enfants.

C’est cette jeunesse « brulée » des Balkans qui est passé sans transition à l’âge adulte que nous dépeint sans concession, le cinéaste bosniaque.

Nul doute, en cette année 1968, la révolution juvénile était bien en marche. Ce film yougoslave, quasiment inconnu en France même encore aujourd’hui, en témoigne à sa manière. (4)

Notes :

  1. Autre titre: "Rocky Road to Dublin ». Des étudiants radicaux l’avaient rapidement repris et montré de tous côtés car le film exprimait magnifiquement bien l’esprit de l’époque. De ce fait, il avait acquis en un rien de temps un prestige des plus mythiques, d’autant qu’il fut très rapidement interdit en république d’Irlande

    Dvd en version restaurée ici (sous-titres français inclus) : https://www.amazon.fr/Rocky-Road-Dublin-anglais/dp/B000BH2U82/

  2. Peter Lennon, un journaliste de The Guardian, avait demandé à toute une série d’écoliers, de prêtres et de sportifs de haut niveau leur avis sur la vie quotidienne en République d’Irlande. Ce film tourné en 35 mm se voulait une capture sans concession de la société irlandaise de l’époque.

  3. Auparavant il avait réalisé des courts métrages documentaires et a aussi été assistant de réalisation de Zivojin Pavlovic (pour Le retour en 1963). Sa filmographie a été récompensée par plusieurs prix, avec des films comme Le rôle de ma famille dans la révolution (1971) ou La poudre du canon (1990). Durant le siège de Sarajevo, il a tourné plus de 1000 minutes et en a fait un documentaire-essai intitulé Sarajevo. Il est décédé en 2007.

  4. dvd (Zone All – sans sous-titres français) en vente ici : http://www.dvdzona.co.rs/user/najnoviji-dvd-naslovi-u-ponudi-srbija/mali-vojnici/7_212_8228_1_0_500/item.jsp

Film visible ici :


YouTube censure Lars von Trier
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René Féret, véritable artisan du 7ème art et cinéaste de la famille
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Jorge Luis Borges à l’écran argentin
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