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Les Mérovingiens, héritiers des Francs

Les Mérovingiens, héritiers des Francs

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Depuis le XIXème siècle, l’histoire de France n’est guère tendre avec la première dynastie royale, on peine à y trouver une figure connue. En effet, les Récits des temps mérovingiens, composés à partir des années 1830 par Augustin Thierry, ont contribué à diffuser le mythe du Mérovingien violent, paresseux ou débauché, presque un barbare inapte à gérer un royaume organisé. L’école de la Troisième République prend également soin de conspuer les « grands partages » mérovingiens qui divisent les territoires à chaque succession ; ces rois ne doivent pas avoir le sens de l’État, encore moins celui de la Nation, tout anachronisme mis à part. En somme, dans l’inconscient populaire, les temps mérovingiens ne constituent pas l’origine de la France médiévale, mais une parenthèse hors sujet et quelque peu honteuse du roman national.

Dans cette série d’article consacrée aux Mérovingiens, nous allons nous efforcer de dépeindre objectivement plus de deux siècles de règne d’une dynastie qui a posé les fondements de la France du Moyen-Âge.

 

La dynastie mérovingienne est issue de l'aristocratie franque et, même s’il n’existe que peu de sources contemporaines relatant l’histoire des Francs (Histoire des Francs, rédigé par Saint Grégoire de Tours entre 575 et 595 ; La chronique de Frédégaire, reprenant les travaux de Saint Grégoire, et poursuivant l’histoire des Mérovingiens jusqu’en 660 ; ainsi que le Livre de l’histoire des Francs, rédigé par un auteur inconnu, reprenant une fois encore les écrits de Saint Grégoire, et poursuivant l’histoire des Mérovingiens jusqu’en 727), les historiens les mentionnent pour la première fois à l'occasion d'une victoire qu'Aurélien (septembre 214 ou 215 - septembre 275 ; empereur romain de l'été 270 à septembre 275), alors tribun d'une légion, remporte sur eux, près de Mayence, en 242. L'appellation de Francs correspond à un nom collectif adopté vers le milieu du IIIème siècle par une confédération de peuples germaniques. Ce nom, qu'on a essayé de rapprocher d'un verbe vieux-allemand wrangen, combattre, et de framja, l'arme principale de ces peuples guerriers, dérive plutôt d'un radical vieux-allemand Frank, qui signifie hardi, insolent, indomptable et qui, plus tard, prend le sens de libre, indépendant. En effet, les différents peuples francs, quoique ligués entre eux et tout en portant le même nom, ne forment pas une nation compacte avec gouvernement central et une administration uniforme car ils entrent et sortent de la confédération avec la plus grande facilité et sans inconvénient, suivant les hasards de la guerre et les nécessités du moment. Chaque tribu conserve une indépendance relative, son propre gouvernement, ses particularités, ses lois et ses coutumes. En principe, le but de la ligue paraît avoir été la guerre défensive et offensive ; mais souvent il n’est autre question que le pillage, ou simplement la satisfaction de leur goût pour les aventures et, au besoin, la conquête de terres étrangères. Pendant longtemps les principaux peuples francs continuent à garder leurs anciens noms. Les diverses tribus qui composent la confédération des Francs, se partagent en deux grandes divisions, les Francs Saliens et les Francs Ripuaires. 

Les Francs Saliens, dont les Sicambres (ascendants des Mérovingiens) sont la principale tribu, tirent leur nom de leur position géographique sur le bord de la mer, qui est appelée saile dans le dialecte de la langue celtique usité en Belgique. Ils occupent l'île des Bataves et le pays belge jusqu'à l'Escaut. Au IVe siècle, les Francs Saliens, battus par l’empereur Julien II (331 ou 332-363 ; empereur romain de 361 à 363), deviennent les Lètes de Rome (ou alliés affranchis), qui les laisse s’installer en Gaule belgique. C’est ainsi le premier peuple germanique à s’établir de manière permanente en territoire romain, et donc le premier aussi à se latiniser. Au commencement du Ve siècle, les Francs Saliens redeviennent hostiles aux Romains, et poussent leurs conquêtes sous leur chef Clodion au-delà de Cambrai, jusque sur la Somme. 

1 - Clodion le chevelu

Les Francs Ripuaires, qui habitent primitivement entre le Mein et la Lippe, et dont les Cattes sont la principale tribu, sont appelés ainsi parce qu'ils se sont établis ensuite sur la rive gauche du Rhin, dans la contrée appelée Ripa, entre ce fleuve et la Meuse, d'où les victoires de Constantin Ier (272-337 ; empereur romain de 306 à 337) et de Julien II ne les repoussent que passagèrement, et dont Aétius (395-454 ; sénateur romain et généralissime de l'armée de l'empire d'Occident), qui les combat sous Valentinien III en 430 (419-455 ; empereur romain d'Occident de 424 à 455), les laisse en possession. Ils étendent leur territoire, sur la rive gauche du Rhin, jusqu'à la Meuse à l'Ouest, et jusqu'aux Ardennes au Sud, et sur la rive droite jusqu'à la Werra, à l'Est. 

2-Les populations en Europe vers le Vème siècle

Lorsque l’on évoque la société franque, et donc la dynastie mérovingienne, on pense immédiatement à un groupe de conquérants barbares évoluant dans un monde déchu. Il est vrai que leurs us et coutumes sont à l’opposé du raffinement romain, pourtant, au fil des siècles, les Mérovingiens ont adopté une bonne partie des pratiques de gouvernement tardo-antiques, soit qu’ils les aient apprises directement de Rome, soit qu’ils les reçurent des Burgondes, des Wisigoths et des Ostrogoths, peuples dont le degré de romanisation était encore supérieur au leur.

Tout d’abord, d’un point de vue religieux, et à l’instar des autres peuples originaires de Germanie, les Mérovingiens se convertissent tardivement au christianisme, préférant vénérer un panthéon de divinités scandinaves dont la principale est Odin : dieu des morts, de la victoire, et du savoir et, dans une moindre mesure, il est également considéré comme le patron de la magie, de la poésie, des prophéties, de la guerre et de la chasse. Divinité guerrière et polymorphe, il est représenté comme un homme âgé, barbu et borgne (il aurait perdu son œil au cours de sa quête du savoir) se déplaçant sur un cheval à huit pattes nommé Sleipnir et armé de sa lance, appelée Gungnir, qu’il suffit de jeter au-dessus de la tête de ses ennemis pour les tuer. Avec son épouse Frikka, Odin donne naissance à un fils, Thor, dieu du Tonnerre, également très vénéré par les peuples germaniques. Ce dernier est équipé du marteau magique, Mjöllnir, dont le manche est si brûlant qu’il doit le tenir avec des gants de fer. D’autre part, selon la légende, l’univers est divisé en neuf mondes, les dieux vivants à Asgard, les humains à Midgard. Les hommes morts les armes à la main peuvent cependant rejoindre le monde des dieux, étant emmenés au Walhalla, le palais d’Odin. Tout comme les Gaulois en leur temps, les Francs n’érigent pas de temples en l’honneur de leurs dieux, les rites se déroulent en forêt, autour d’un rocher, ou dans une caverne. Ce n’est qu’au cours des années 500 que la dynastie mérovingienne se convertit au catholicisme et, dès la fin du règne de Clovis (511), la famille royale multiplie les fondations d’églises, de monastères ou d’institutions charitables. Rois et reines mérovingiens apparaissent en outre comme des interlocuteurs importants du siège pontifical sur les questions d’orthodoxie, de discipline ecclésiastique ou d’envois de missions vers les peuples lointains. Les souverains francs sont à ce titre très présents dans la correspondance du pape Grégoire le Grand (590-604). Malgré quelques tensions ponctuelles, l’Église reconnait au roi mérovingien un statut particulier puisqu’il a la responsabilité du Salut de l’ensemble de ses sujets.

Sur le plan militaire, et contrairement aux Romains qui comptent beaucoup sur la cavalerie, les Francs se battent à pied (seul le chef combat à cheval, ce dernier ayant comme objectif d’être bien vu par ses troupes pour transmettre les ordres) sans cuirasse, ni casque, ne portant qu’un bouclier de cuir dans la main gauche et utilisant une arme dans la main droite. Plusieurs choix s’offrent à eux : la framée (lance de grande taille), la scramasaxe (épée de taille moyenne dépourvue de garde), l’angon (lance à crochet permettant d’immobiliser l’adversaire en se fichant dans son bouclier), la francisque (hache de jet ayant un seul côté tranchant ; peu précise elle fait néanmoins d’importantes blessures, elle est également utilisée pour casser les boucliers ennemis) et la spatha (épée longue permettant de toucher l’ennemi au sol plus facilement, utilisée à l’origine par la cavalerie romaine). Par ailleurs, ces derniers disposent d’une stratégie sommaire, combattant en formation triangulaire immobile (le cunei).

Figure 3-Armes franques d’époque mérovingienne

Ces armes qui sont technologiquement développées pour l’époque, alliées à un savoir-faire au combat développé par les Francs, sans cesse menacés à l’époque par leurs voisins germains, celtes et romains, permettent à ce peuple de s’imposer assez rapidement mais au prix de durs combats… Les victoires de Clovis sont en partie dues au fait qu’il aligne sur le champ de bataille non seulement ses Saliens, mais aussi des cohortes de Gallo-romains, et qu’il s’attache à garder vivantes la rigueur et la stratégie de l’armée romaine, dans laquelle nombre de Saliens ont servis en tant que Lètes.

Le pouvoir royal possède également ses propres traditions, dont certaines nous sont connues. La royauté mérovingienne, comme beaucoup d'autres, nécessite, pour la légitimer, un rituel exprimant et créant le consensus. Ce rituel, l'élévation sur le pavois par les hommes libres, a longtemps été attribué à tort à une tradition germanique alors qu’en fait, ce sont les empereurs romains qui, élus par leur armée, se dressaient debout sur un bouclier afin de symboliser l’accès à la sphère divine, au sacré. De plus, l'élévation sur le pavois, qui met en scène un chef militaire et ses soldats, affirme également le caractère guerrier de la royauté. La transmission de ce cérémonial s'est faite d'Orient vers l'Occident au IVème siècle, par le contact entre les peuples germaniques et l'armée romaine. Pour autant, cette tradition n’est pas approuvée par l’Eglise car elle manifeste de l’élection du roi par ses armées mais pas par Dieu ainsi, elle disparaît à partir du VIIème siècle, lorsque le clergé monopolise le rituel du couronnement royal.

4-Élévation sur le pavois

D’autre part, traditionnellement, le nouveau roi doit circuler dans son royaume, monté sur un char à bœufs. Ce rituel du circuit symbolise la prise de possession du territoire au sein duquel le roi démultiplie les forces de production et de fécondité. Ce rite archaïque est moqué par Éginhard, fidèle et biographe de Charlemagne où, dans son entreprise de décrédibilisation de la dynastie mérovingienne, il décrit des rois se déplaçant constamment vautrés dans un char à bœufs et forge l'image des rois fainéants. Il s'agit cependant d'un très ancien rite de fécondité dont on trouve déjà un témoignage dans La Germanie, qui est un court traité écrit par l'historien romain Tacite (historien et sénateur romain né en 58 et mort vers 120) aux alentours de l'an 98 et consacré aux peuplades germaniques vivant au-delà des frontières de l'Empire romain.

De plus, chez les rois francs, l’élection, symbolisée par l'élévation sur le pavois, se combine avec l'hérédité, manifestée par la transmission du nom dynastique. Très vite, les rois mérovingiens transmettent les noms complets de leurs ancêtres à leurs enfants : le nom est à la fois un outil identitaire et un programme politique. Ainsi les fils de Clovis (Clodomir et Clotaire Ier) donnent un même nom burgonde à leurs propres fils (Gunthar / Gontran) pour appuyer leur prise en main de la Burgondie. Ils affirment la légitimité de leur dynastie sur ce nouveau territoire en la reliant à un ancêtre des rois burgondes. La notion d’hérédité est poussée à son extrême puisqu’à la mort d’un souverain, son royaume est partagé de façon équitable entre tous ses héritiers mâles, chacun recevant également le titre de roi. Nous verrons ultérieurement que cette tradition, consacrant l’émiettement du royaume des Francs, sera source d’une multitude de conflits et d’un fort affaiblissement de la monarchie.

Un autre élément de légitimité du roi est la symbolique de la longue chevelure, siège de pouvoir sacré et de force. Dans l'Ancien Testament, on lit que la consécration à Dieu implique le renoncement à la coupe des cheveux. C'est cette même symbolique qui s'exprime lorsque le juge Samson perd sa force surhumaine après s'être fait couper les cheveux par Dalila. Si le port des cheveux longs chez les Francs est bien antérieur à la conversion au christianisme, c’est néanmoins ce symbole qui inscrit les Mérovingiens dans la filiation des rois de l'Ancien Testament. Pépin le Bref ne négligera pas la force de ce symbole et lorsqu'il décidera de déposer le dernier Mérovingien, Childéric III, avec l'aval des papes Zacharie et Étienne, il n'omettra pas de le faire tondre.

À partir des années 530, le royaume mérovingien dispose d’une structure quasi étatique, où le souverain produit du droit, dirige les forces armées et encadre le système d’imposition. Le territoire est quadrillé de districts, pour la plupart hérités de la carte des cités romaines, où le roi nomme de grands administrateurs qui portent les titres antiques de duc (dux), patrice (patricius) ou comte (comes). Ces officiers demeurent sous l’étroite surveillance du Palais et peuvent facilement être révoqués ou déplacés. Nominations, promotions et limogeages permettent au roi de contrôler l’ensemble du jeu sociopolitique. Malgré une forte imprégnation des coutumes romaines tout l’appareil des lois et de la justice reste primitif et violent. Les Francs ignorent l’égalité devant la loi car leur justice, rendue suivant la coutume de la « Loi salique », diffère suivant la condition sociale de la victime et la gravité du délit. En effet, ils considèrent les délits et les crimes comme des offenses personnelles entraînant, de la part de la victime ou de ses parents, le recours à la vengeance, ce qui entraîne généralement des luttes sans fin. Aussi, la loi franque permet au plaignant de s’adresser à un tribunal, appelé Mallus, qui est au carrefour des deux traditions, romaine et germanique : pour la tradition romaine, on retrouve la présidence du tribunal par un seul homme, le comte, lequel est assisté par le Rachimbourg (ensemble de notables âgés au courant du droit coutumier), repris de la tradition germanique. Avant le jugement, le tribunal entend parfois des témoins, mais il peut aussi imposer des épreuves, fondées sur la croyance que les divinités interviennent pour désigner le coupable, ce sont les ordalies dont les plus connues sont : le duel (l’accusateur et l’accusé se livrent un combat ; le tribunal donne raison au vainqueur) ; l’épreuve de l’eau (l’accusé est plongé, pieds et poings liés, dans une cuve remplie d’eau ; s’il surnage, il est innocent) ; l’épreuve du feu (l’accusé doit, par exemple, traverser un bûcher en flammes ; s’il n’est pas gravement brûlé, il est acquitté).

Les contemporains ne dénoncent jamais la « fainéantise » des souverains mérovingiens mais plutôt leurs excès de pouvoir ! De leur côté, les Byzantins se montrent admiratifs et, dans les années 580, le chroniqueur Agathias (avocat, poète et historien byzantin né vers 530, mort entre 582 et 594) écrit : « Les Francs ont pour l’essentiel le régime politique des Romains, observent les mêmes lois, ont les mêmes usages en ce qui concerne les contrats […]. Ils ont des magistrats dans leurs villes […] et, pour une nation barbare, ils me paraissent fort civilisés et très cultivés. » Formées à l’exigeante école du droit romain, les élites du monde franc ont développé le goût des écritures. Par ailleurs, le roi produit de nombreux actes (nomination, donations, mandements, jugements…) et attend des réponses en retour. Dans ce contexte, il existe dans la Gaule mérovingienne une sorte de mentalité bureaucratique qui pousse à conserver des archives et à compiler des formulaires destinés à faciliter la conception de nouveaux textes. Pour notre malheur, cette documentation est composée sur papyrus jusqu’au milieu du VIIème siècle ; ce support fragile a souvent été perdu et le vide archivistique qui en résulte a nourri le mythe d’un royaume franc sous-administré. Par contraste, la masse de robustes parchemins conservés pour la période carolingienne a peut-être conduit à surévaluer les capacités gouvernementales de Charlemagne.  


 Les premiers Mérovingiens
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Clovis, Roi des Francs
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Succession de Clovis : de l’unité à l’unité
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