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Autour de Mes fragiles, Jérôme Garcin

Autour de Mes fragiles, Jérôme Garcin

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Mes fragiles… ?
C'est d'un trait d'abord que j'ai pu lire ce livre-là. D'un trait, comme l'on boit ou comme on reçoit les chagrins et les chocs successifs et si rudes qui vous tombent dessus… En crochets et en uppercuts du quotidien si traître.
Puis vinrent des reprises, des replongées, des relectures au fil à fil.
Pages brèves, pages serrées, pages de bouleversement et d'éboulements de la vie. Pages arrachées peut-être difficilement à Jérôme Garcin. Imposées à lui-même, dictées peut-être bien hors de soi. Pour dire les pertes successives, le désarroi devant la mort, le trop-plein brusque de chagrins. La douleur. Et pour chanter à voix basse, mais non pas à voix de basse, ce respect et cette éternité du cœur consolant, tremblé mais aimant toujours, tout ce que l'on doit aux siens, aux fragiles qui nous entourent et que nous aimons. Que nous aimons pour toujours, au-delà du temps soudain frappeur, inattendu ou pas, d'avoir à les perdre.

Mes fragiles, c'est un récit qui dit la rupture violente ou sèche, et cette horreur de l'imprévu et de la raide soudaineté de l'épreuve et des départs, de la mort mais le sillon qu'il donne et creuse chez le lecteur n'est pas du genre sec.
Les larmes que l'encre retient, que le papier absorbe sans exactement les boire toutes, vraiment ne disparaissent pas. Elles sont dites, écrites, ou fidèlement jetées sur le papier et très visibles, mais sinon avec résignation, du moins avec une profonde et belle dignité ; leur lyrisme est tenu et vif certes, mais il est de franche décence ; et l'on sent comme chez Henri Calet en Jérôme Garcin, un cœur ou un être secoué, rempli de larmes.

En relisant ce livre si à vif et vibrant de vies estompées, mais pas exactement perdues de vue, éloignées trop rapidement sinon temporairement, arrachées mais jamais abandonnées, au fil de cet été, c'est un vibrato étrange qui est retrouvé ainsi, donc, et qui secoue et anime ou bouleverse le lecteur, au moins d'une manière en partie comparable à ces brusqueries de rupture du mouvement, de règle rompue, de cassure soudaine et à répliques sismiques et sensibles, lesquelles devaient être si présentes devant ses pages blanches pour le témoin blessé qui est Jérôme Garcin, et qui n'est pas seulement ici un écrivain ou bien un auteur…

Ce récit si prenant que forment les pages de Mes fragiles, il faut le lire avec retenue, pense-t-on d'abord. Mais c'est la pudeur de Garcin qui, finalement, à la surprise, ouvre toutes les digues de l'attention, du cœur et de l'amour chanté, lyrique, blessé mais constant. Ces pages-là, je vous l'avoue, lues à plusieurs reprises me déchirent le cœur et me touchent en pleine profondeur.
Jérôme Garcin, plongeant dans ce qu'il vient de perdre sans cesser de l'aimer, enfoncé ou blotti d'angoisse et d'émotion au fil dur et cassant pourtant de trois deuils, est ici à plein un explorateur du vrai, du plus émouvant mouvement et du battement des êtres ; ses trois pertes familiales (mère, frère et tante), si rapprochées pour lui, enfin aussi chez le lecteur, prennent, oui, prennent et creusent le cœur, y laissant un sillon chaque fois plus profond, plus dense et plus à vif.
Pourtant, de ce déchirement si fort du cœur et de la vie à vivre, il n'est pas possible de penser exactement que Jérôme Garcin isolé, frappé, enfoncé dans le chagrin et esseulé coups après coups, n'en sortirait que sans espoir.
Même si un deuil, contrairement à une expression si répandue qu'elle est souvent vide, à une idée faussée et fausse à la fois sans doute, n'est jamais fait, on ne le construit pas plus qu'on ne sait en sortir, et l'on ne s'y fait pas. Nos morts nous escortent. Et la vie qui a été la leur jamais ne cessera de nous émouvoir. Nous vivons avec les nôtres, toujours, même si tout-à-coup, ils semblent très au lointain de nous tous.

La brisure qui infidèle inévitable nous sépare de vie à vie à chaque perte, à chaque frôlement, à chaque poussée de froidure si brutale de la mort qui frappe haut, décidément, voilà qui ne nous fait pas accepter l'abandon des autres, celui qui pourtant nous est ou qui nous sera imposé. Chaque être que l'on aime, chaque proche si fragile ou solide qu'il soit, est son propre gardien et le propre vivant aussi d'une vie marquée, et cette existence si réelle et si profonde, qui peut être marquée, elle aussi, par la maladie la plus âpre, par un progressif effacement de soi et de la force si touchante qu'on aime chez les autres, on ne sait pas toujours l'exprimer, la dire après, la dire pendant, ni la partager avec ce respect nécessaire, et la pudeur profonde. Et l'on s'enfonce alors dans la seule durée du chagrin.

Je voudrais dire, toutes lecture et relectures faites, combien, je partage tout le bloc vif, toutes les nuances, les doutes aussi que vous exprimez, dont vous témoignez, vous, Jérôme Garcin, de ce ton si beau et clair qui reste le vôtre au singulier, dans ces pages presque aussi sauvages que douces, aussi âpres que secrètes, aussi criées que serrées en vous, en vous serrant à vos vivants … Mais, au fond, savez-vous bien, bien franchement, que vous les partagez ? Et à quel point ? Vos mots vous accompagnent, ils vous échappent aussi. Et vos maux avec eux, si ces derniers ne disparaissent jamais absolument.

Si ému Jérôme Garcin… Si retenu et si éprouvé Jérôme Garcin…
Prenant inexorablement et si sensiblement appui malgré tout sur vos fragiles, comme l'on marcherait et chercherait appui, sans aide suffisante en apparence, en s'engageant dans l'étroite solitude affrontée au creux continu d'un chemin rude et semé d'aiguilles, dans une pinède où l'on serait jeté en nudité, il me semble que vous vous y cherchez plus encore, que vous y recherchez avec une vraie constance les vôtres, les fragiles partis mais pas perdus, et que vous étendez votre aile secourable et de vie sur tous vos vivants, ceux qui restent, et qui sont à protéger eux-aussi ; l'émotion qui me tenait en relisant ces pages-là, en plein cœur de cet été brûlé, ne me quitte plus ; ce n'est pas un partage ordinaire que j'y trouve, et pas celui d'un livre ordinaire.

Plus qu'une réponse à des pages partagées, je voudrais offrir ici, la certitude, même relative et, pourtant, aussi belle qu'elle reste franche sans forcément être plus simple qu'une autre : que ce livre a pour moi l'effet et la force d'une véritable et très profonde, accomplie et sensible communion. Vos déchirements, Jérôme Garcin, ont force, peut-être imprévisible pour vous, mais évidente pour moi, de pleine vie. C'est fraternellement, Jérôme Garcin, que je me sens si lié à vous lire, et à relire ces pages-ci. Jamais aussi profondément, je crois, depuis Théâtre intime et d'autres de vos pages dans La Chute de cheval, dans Olivier (que vos Fragiles rejoignent tous les deux, à coup sûr), depuis aussi quelques-uns de ces fragments de douleurs et de lumières dans votre si précieux et si beau Dernier hiver du Cid, jamais probablement et sincèrement, je n'avais pu éprouver et voir à l'œuvre autant de force amoureuse et de violence, de tendresse, de douleur et de bonté comme mises toutes en état d'effraction, jamais non plus un tel signal complet de la bonté pleine et nette aussi, malgré toutes les ruptures vécues et que pleurent dignement votre livre superbe et si plein de vérité et de franchise, vertus devenues rares. Et d'une netteté si vive cette bonté, vraiment, qu'en lisant ces 'Fragiles'pour la troisième ou la quatrième fois, j'en suis touché encore plus.

Ces relectures, il faut le dire exactement, me font partager, communier et souffrir avec tout ce qui nous prive des êtres, dans ce paradoxe pourtant de nous rattacher aussi à eux si fortement, avec tout ce qui nous restera sans doute jusqu'au premier matin à vivre au-delà de la terre : toujours ou jusqu'à ce point enfin franchi… Comment dire ? oui, ce qui nous sera et jusque-là incompréhensible. Je communie grâce à ces pages de vous, Jérôme Garcin. Avec tout ce que vous arrachez de vous. Avec tout ce que vous dites des vôtres. Avec, enfin et surtout, toutes les nuances aiguës ou à vif de vos chagrins et, plus encore, de votre pudeur et de votre discrétion. En dépit de sa force, le cri parfois si violent, l'émotion multipliée, donnée en étonnante mosaïque cassée, Mes fragiles sont un récit vrai, et le récit de douce et rude discrétion, écartelée mais réelle et absolue.
Ces pages qu'on ne sait plus refermer, assurément qu'elles déchirent le cœur mais aussi, avec sûreté ou surprise pour le témoin qui les rédige, elles portent rigoureusement la vérité sensible et si civile, lyrique ou timide, de ce haut degré de charité et d'aide, de ces vestiges précieux et anciens d'une civilisation aimante et aimable. Elle aussi, désormais et comme définitivement fragile.

Ces fragilités du témoin-rédacteur et ces vérités (ces suites de densités des "Fragiles", tout ce qu'il salue et nous donne), elles seules, encore, de loin et dans l'encre et sur le papier, savent ou tentent bien chez les autres, de le consoler ce cœur secoué, cassé, rompu ou qui pleure, et elles savent l'affirmer vivant, et elles parviennent, au final, à le remettre en mouvement.

Ce cœur constamment remis, repris et relevé, réveillé, c'est le dernier point. Pas le moindre. Ce dernier point-là, vraiment, est sans prix !


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