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Les Nobles Voyageurs, de Christopher Gérard

Les Nobles Voyageurs, de Christopher Gérard

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Les Nobles Voyageurs est un recueil à mettre en bonne place chez vous, à côté de La bibliothèque du jeune Européen et de La bibliothèque littéraire du jeune Européen. Si ces deux derniers ouvrages représentent en quelque sorte des manuels de survie intellectuelle, écrits et proposés au milieu des périls parsemant nos labyrinthiques mais nécessaires errances, Les Nobles Voyageurs, en ce qui me concerne, me donnent avant tout l'image d'un maître brasseur, en l'occurrence Christopher Gérard, bien installé dans son établissement, quelque part dans un Bruxelles confidentiel, et nous faisant goûter 450 pages de bonheur comme autant de mètres de bières.

Il y a dans ce volume davantage que la réédition enrichie d'un volume précédent, Quolibets. La formule n'en demeure pas moins la même : « quolibets » vient du latin quod libet, qui signifie « ce que l'on aime ». À tous ceux qui n'aiment pas la lecture, j'ai envie de dire plusieurs choses, selon mon humeur : « l'appétit vient en mangeant », « forcez-vous un peu (beaucoup) », puis je repense au vieil Ezra Pound pour qui l'éducation véritable est réservée à ceux qui veulent être éduqués, tandis que les autres auront droit à la pâture commune. C'est bien ici le lieu et le moment de comprendre qu'à la noblesse du lecteur répond celle du voyageur. À moins que ce soit l'inverse. Ou bien les deux, mon général. Comprenons bien : avec de la bonne volonté, on peut s'approcher de bien des textes ; cela n'a rien à voir avec « l'éducation nationale », les diplômes, le type d'établissement dans lequel s'est faite votre scolarisation (et défait le désir légitime de voir autre chose que la sanie wokiste et la prosternation devant le soi-disant septième ciel de « l'ascenseur social »).

Rappelons-nous que l'aristocratie ne signifie pas le gouvernement par les friqués, les gros porcs bouffeurs de haut vol sous l'œil des caméras. L'aristocratie, littéralement, c'est le gouvernement par les meilleurs. Les meilleurs. Nous ne sommes pas en train de parler de « classes sociales », de « lutte des classes ». Nous sommes en train de parler de castes, c'est-à-dire des positionnements sociaux traditionnels effectués selon la nature de l'individu, et certainement pas selon la posture qu'on voudrait lui faire tenir. La noblesse peut être prolétaire, elle peut être paysanne, et même bourgeoise. C'est encore une fois une affaire de bonne volonté. L'accès aux états supérieurs de conscience va se faire, dans les tréfonds du mode spatio-temporel qui est le nôtre, par ce filtrage.

Pour ce qui est du voyage, voici une évidence à découvrir et redécouvrir sans cesse : la progression dans un texte reflète la progression de chacun dans le « textile » de l'expérience. Reprenons le Jeu de l'Oie. Relisons la littérature du Graal (des suggestions personnelles). Et fions-nous à Christopher Gérard, suivons ses propositions : découvrir ou redécouvrir l'Antiquité grâce à Épicure et Jacqueline de Romilly, le néo-platonisme avec André-Jean Festugière, la philosophie conservatrice avec Roger Scruton. Il y a déjà là de nombreuses et belles heures de lecture. L'approche littéraire n'est certes pas en reste : Stendhal et Jules Barbey d'Aurevilly répondent à l'appel, à l'avant-garde des grands combattants de la modernité : Louis-Ferdinand Céline, Pierre Drieu La Rochelle, Michel Déon, Roger Nimier, Jean Raspail… La « révolte contre le monde moderne » se joue aussi avec ces agents, terriblement efficaces, des arrière-mondes : Guy Dupré, Jean Parvulesco, Luc-Olivier d'Algange… Une lecture en appelle des dizaines d'autres et il n'est pas question de donner le tournis. La curiosité sera également satisfaite d'aborder aux rivages d'écrivains et critiques moins connus de la masse. S'ils se trouvent dans cet ouvrage, c'est parce qu'à travers eux aussi des textes significatifs voient le jour.

L'ensemble forme une tapisserie qui se situe au-delà de la simple compilation. Nous ne sommes pas tenus d'aimer également les 122 signatures dont Christopher Gérard nous entretient dans le feutré de sa brasserie (nous ne sommes pas davantage tenus de respecter un quelconque ordre de lecture). Mais nous devons, nous nous devons, de donner à chacune sa chance. L'exercice est plus ardu mais bien plus aimable que, par exemple, la lecture de « poètes » réfractaires à Sylvain Tesson. Quant à ceux qui disent ne s'intéresser qu'à ce qui a ou a eu cours depuis leur date de naissance et surtout pas à quoi que ce soit d'antérieur (j'en ai connus), laissons-les vivre à l'échelle qui est la leur. Ils parviendront à tout ce qu'ils désirent avec facilité, dans le contentement du transbovin.

Nous autres en revanche allons connaître ou renouveler par ce livre, ces livres, l'expérience de la percolation divine perpétuelle à travers tout texte ayant quitté l'orbite ombilicale de l'ego. Cette permanence, c'est l'ordre des choses, quel que soit le nom que nous choisissions de lui donner. Et cette conscience de l'ordre, la voici qui refait surface, ici doucement, là violemment, souvent de manière énigmatique mais impossible à éluder pour ceux qui savent lire ou possèdent la volonté de savoir lire, dans l'humilité et la mercurialité de l'esprit éternellement jeune.

J'emmerde 2024 et nous souhaite une bonne dégustation.


Christopher Gérard, Quolibets
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Maugis, ou l'autre armée des ombres
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Le Songe d'Empédocle, Christopher Gérard
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