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À table !

À table !

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Vas-y gros minet, bouffe cette conne, te gêne pas, c'est l'heure du miam-miam. Fais-toi plaisir, approche doucement par derrière, ne lui laisse pas deviner qu'elle est en train de lâcher son dernier caca. Sur ton territoire. Regarde-là bien, c'est une macronista, elle n'a jamais foutu les pieds en Afrique, elle ne sait rien d'autre que ce qu'elle a péniblement appris sur Wikipédia et chez son tour operator. Il y a des félins en Afrique, oui, même en liberté. Mais ils sont pas méchants. Ah mais non, celle-là, elle est contre le carbone, les bilans carbone, parce que, hein, la vie c'est pas bon pour l'écologie (au final). Elle n'a pas tort, tu me diras, tu es bien placé pour le savoir, mon gros minet. Alors bouffe-la car tu n'es pas tenu de te préoccuper des oies humaines. Je t'arrête de suite, je sais ce que tu vas me miauler : « Dans le temps, c'était pas comme ça. » Non, moi non plus je n'ai pas connu ce temps, c'est tellement reculé. Tu n'as pas lu le livre de la Genèse qui dit que l'être humain, avant sa Chute, vivait en harmonie avec toutes les créatures, à tel point que Dieu lui a donné la capacité de les nommer. Nommer, c'est créer. Tu as été créé gros minet par Dieu, et l'Homme a manifesté cela en te conférant un nom. Gros minet. Mais ça, oui, je suis d'accord, c'était du temps où l'Homme n'avait pas encore chié dans la colle (et pas dans la savane). Aujourd'hui, les gros minets peuvent manger les humains car il faut bien se nourrir. Pourtant, tous les gros minets ont un peu peur de nous, c'est qu'ils conservent, au profond de leur être, en un savoir mystérieux, non discursif, le souvenir de cette lieutenance que nous honorâmes jadis. Nous pouvions manger de tous les fruits des arbres, sauf deux bien entendu (oui : deux), et c'est évidemment cela qu'on a mangé, mystère d'iniquité, du Mal, de l'interdit. Et ces conséquences qu'il faut payer depuis des générations et des générations. Il faut manger non plus pour saisir spontanément, sans les entrailles, la beauté et la bonté de Dieu. Il faut manger pour pas crever. Et comme chacun sait, manger, ça fait digérer. Donc ça oblige à aller au pipi et au caca. Et si on ne mange pas son kebab, on meurt de faim, de soif, d'inanition. Si on ne pose pas sa pêche, on explose, genre Monty Python. Cela étant, tu n'as pas connu ce grand sketch de Pierre Péchin dans les années soixante-dix, gros minet, celui qui se termine, avec un accent arabe très marqué, par cette grande vérité: « Ti bouffes, ti bouffes pas, ti crèves quand même. » Péchin est malheureusement tombé dans l'oubli, ce qui n'a rien pour me surprendre. Alors voilà, la macronistagiaire, tu vois, elle a bouffé, elle a fait comme tout le monde, on ne peut pas le lui reprocher. Elle n'avait pas le choix. Et puis, il paraît que ce ne sera pas toujours comme ça, on ne sera pas éternellement soumis à ce système qui fait de nous des tubes. C'est valable aussi pour les gros minets, les éléphants, les girafes, les crocodiles, les antilopes, les chacals, les serpents, les baleines, les mouches, bref tout ce qui maintient sa cohérence par des transferts d'énergie. Qui dit transfert dit entropie, c'est-à-dire dégradation. Je sais bien que ton cerveau de gros minet a un peu de mal à comprendre ces notions, néanmoins, je te prie de me croire, elles sont tout à fait agissantes sur toi aussi. Tu bouffes pas, tu crèves. Ta litière crève. Seulement, laisse-moi te dire que je connais un texte qui dit très clairement qu'un jour, on aura tous retrouvé cet état dans lequel nous vivions avant la cagate cosmique de l'Homme. Le loup jouera avec l'agneau, l'enfant jouera sur le trou de la vipère. Et tout se passera bien. Ah ben oui, c'est pas évident à accepter, comme ça, de but en blanc. Pourtant, on aimerait bien que ça arrive, hein, confusément ou non. Toi, en plus, comme tous tes collègues gros minets, tu n'es pas vraiment méchant, en fait. Tu obéis juste à ta nature, l'Homme de la Chute est toujours ton maître, mais un maître égaré, et du coup il te fait un peu peur. Il te met en colère aussi. Mais il s'agit d'une colère sans haine particulière, car tu ignores la rhétorique, la division. Tu n'obéis qu'à tes instincts. Lorsque tu dévores une proie, tu le fais dans le respect de la pureté que tu n'as pas trahie mais que l'Homme déchu a souillée. L'autre, pendant ce temps, elle chie. Le problème, c'est la façon dont elle s'y prend. Tu as vu tout de suite où est le problème ? Moi, je l'ai repéré immédiatement. Elle chie sans pudeur. Quelqu'un la prend en photo, elle ne peut pas ne pas le savoir, et regarde bien ses yeux perdus dans le lointain, avec cette allure de sûreté devant son acte. Aucune pudeur. Encore une qui, parce qu'elle se retrouve en pleine savane, se la joue retour à la nature, ouais, tu comprends, je viens ici pour me ressourcer, ici c'est le calme, le silence, je suis loin de la civilisation blanche qui me fait honte, parce que, hein, pour l'instant je suis encore blanche comme une Anglaise, mais ça va pas durer, je compte sur ma mélanine pour mettre bon ordre à tout ça (bon, j'ai quand même emporté un peu d'écran total), ici j'oublie mes conditionnements, mes enfermements, je suis en harmonie avec l'environnement, le caca dans la nature, c'est le retour à l'harmonie, on peut bien me prendre en photo à ce moment-là, pourquoi je me sentirais gênée, laissez-donc derrière vous vos vieux engrammes.

Eh bien moi, mon gros minet, je te le redis : à table !


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