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Points et Contrepoints, une nouvelle revue de poésie

Points et Contrepoints, une nouvelle revue de poésie

Par  
Propos recueillis par Maximilien Friche

Entretien avec Francis Venciton au sujet de Points et Contrepoints (https://www.pointscontrepoints.fr/)

MN : Francis, vous êtes un homme audacieux, oser lancer voire ressusciter une revue de poésie relève toujours de l’événement en soi, mais il y a dans notre époque quelque chose d’assez hermétique à la poésie, à l’instar du siècle des Lumières comme le soulignait Jean de Viguerie lors d’une conférence le 15 décembre 2001 à l’académie de Jeux Floraux à Toulouse lors de son élection comme Mainteneur. Est-ce justement parce que notre monde tourne le dos à la poésie, qu’il devient vital de lui en offrir ? Votre démarche poétique s’inscrit-elle finalement dans un combat plus vaste pour la civilisation ?

FV : D’abord, je dois réduire mon mérite, car je n’ai pu réussir à mener le projet sans être aidé et grandement par les contributeurs et par l’autre rédacteur en chef, mon camarade Christophe Scotto d’Apollonia. En vérité, et je vais diminuer encore le mérite dont certain pourrait me créditer, il y a peu d’audace à lancer ou relancer une revue de poésie aujourd’hui tant cela a été matériellement facilité : l’impression laser a largement réduit les coûts d’impression, les réseaux sociaux facilitent diablement les mises en relations entre auteurs ou publics et les outils de mise en page sont aisément accessible. Lancer une revue de poésie manque tellement d’audace, qu’il en existe énormément : Vivre en poésie du Club des Poètes, Stigmates, Revu, Poésie Directe et j’en oublie fatalement…

Cependant, vu leur faible notoriété, on peut dire que la vraie difficulté est de tenir, comme cela a toujours été le problème, et de faire connaitre, voire de bien faire connaître, d’avoir un public de valeur pour de bonnes raisons (les mécompréhensions sont légion en littérature). C’est probablement là que pourrait résider l’audace si, comme vous le souligniez, essayer de faire vivre une revue de poésie relève moins d’une tentative que d’un devoir de type civilisationnel. Je m’explique, contrairement à d’autres aventures artistiques, s’occuper de poésie c’est accepter fondamentalement un échec économique. Le public poétique d’aujourd’hui est à peine plus nombreux que les lecteurs d’Une Saison en enfer au moment de sa parution. Quant à l’espérance d’un succès critique qui fourniraient des bataillons de lecteur, il est illusoire tant la « critique » s’est éloignée de la littérature, et plus encore de la poésie, pour lui préférer du journalisme ou de la mondanité. Ne reste donc plus que la satisfaction des pairs, ce qui est un début et l’idée de faire son devoir. Je parle de devoir à dessein, car aimer la poésie ne nous oblige pas à descendre dans l’arène de l’édition ou de l’écriture. Il serait possible d’être bon amoureux de poésie dans le calme, le luxe et peut-être même la volupté. Se lancer donc pour perdre son argent et son temps ne peut qu’apparaitre comme une folie et ne se peut donc justifier qu’en relevant d’un devoir, et d’un devoir qui n’est pas même immédiatement moral. Au fond, ce qui crée cet impératif, c’est effectivement un devoir civilisationnel ; ce qui signifie en soi qu’il excède, au fond, le seul domaine littéraire et poétique ; ce devoir est celui de faire perdurer les fleurs de la littérature française, parce que nous connaissons les richesses de la poésie, nous avons à cœur de les faire survivre et de les transmettre. Et c’est à ce niveau-là que, bien sûr, nous sommes au cœur du combat civilisationnel[1]. Car, la poésie française relève de ce qu’il nous apparaît important de conserver dans le stock de la civilisation contrairement aux miettes de néant des starlettes de la télé-réalité. C’est d’autant plus important à conserver que parmi le flux de nouveautés se trouve bien peu de chose concernant la poésie et sur ce peu, il faut constater encore le ravage.

Sans rejouer la partition d’Henri Meschonnic sur l’heideggerisation de la poésie ou de lancer le sujet délicat de la dégradation du français moderne, il est facile de constater que la poésie connait un étrange paradoxe : elle est à la fois mise à porter de main partout (il suffit de regarder les affichettes de la RATP pour le printemps des poètes) et en même temps ce qui est censé être de la poésie n’a jamais semblé en être aussi éloigné. C’est comme s’il y avait une confusion entre l’étiolement des âmes et le lyrisme, et que, dedans, ce sont les règles de la poésie qui sont oubliés, quand elles ne sont pas malmenées par ignorance. Il est fascinant de voir le nombre de poèmes prétendant être des sonnets et qui n’ont de sonnet que le nombre d’alexandrins. Les rimes sont posées comme un fatras, quatrain et tercets sont interchangeables, le concetto est absent. Il serait bien sûr naïf de croire que c’est le respect des règles qui donnent une valeur poétique, mais c’est un peu comme si nous admirions des palanqués de pianistes prétendant tous nous présenter des symphonies nouvelles et géniales, alors qu’ils ne savent pas même esquisser une gamme. Dans le lot, il est permis d’espérer trouver un génie, mais ce serait pour mettre le reste au débarras. Si les petits maîtres ne sont pas des génies, au moins ont-ils l’avantage d’avoir un socle de qualité et c’est bien plus souvent auprès d’eux que commencent les renouvellements littéraires ou les inventions formelles qu’auprès des grands maîtres. Par exemple, il est bien compliqué de qualifier Aloysius Bertrand d’immense poète, il n’en reste pas moins le héraut de la prose poétique et certains de ces morceaux sont d’excellentes factures. On s’emmerdera toujours moins en lisant les plus mauvais de ses textes qu’en cherchant dans l’intégralité de la prose de Cécile Coulon les trois meilleurs textes. Bref, apprenez les règles, ne serait-ce que pour ne pas les respecter à dessin par la suite.

Pour finir et au risque de vous choquer, je ne crois pas que la défense de la poésie, au moment où on s’en détourne, soit vitale. Ce n’est pas la première fois que la poésie française semble connaître un passage à vide. Il ne suffit que de penser au XVIIIe siècle où, à l’exception de Chénier, c’est le vide intersidéral. Au fond, le problème des amateurs de littératures française c’est que de 1830 à 1950 nous avons été trop gâtés. En un siècle, nous avons perdu la conscience de l’ascèse civilisationnel nécessaire pour produire un poète. La France a cette chance inouïe d’avoir Verlaine contemporain de Claudel qui sera contemporain de Robert Desnos. Il y a là une maille comme il y en a peu et nous devons accepter qu’elle ne revienne pas à moins d’une révolution complète et de sa digestion. Car n'en déplaise aux révolutionnaires de salon, cette dernière n’a pas besoin de poète ou de savant. La défense de la poésie n’est donc que le devoir de transmettre le feu sacré. Nous tenons pour pouvoir dire que nous maintiendrons, que nous attendrons. Évidemment, notre espoir est que le prince de la poésie arrive de notre vivant et que notre espérance se trouve récompensée. Mais peut-être qu’il n’en sera rien, peut-être que notre action n’aura eu comme utilité que de dire que nous avons fait quelque chose, alors que rien ne nous y encourageait, parce que nous nous devions de le faire. Ce ne serait déjà pas si mal. C’est même suffisant pour être très sympathique, sur la terre des lys, vu que nous avons un doux amour des vaincus ; alors soyons des perdants magnifiques s’il-le-faut ; et espérons que notre veille débouche sur un renouveau.

MN : L’originalité de votre revue est de ne pas choisir. Ni entre la prose et les rimes, ni entre les vivants et les morts, ni entre les complices et les frères ennemis, ni entre la glose, l’entretien ou l’extrait. Vous voulez tout, vous nous livrez tout. Dans un monde où tout n’est que niches et division, ça aussi, c’est osé. Pourquoi embrasser si largement ? Que permet ce brassage ? Avez-vous la volonté de fédérer ce qui est isolé, de donner du corps à l’esprit diffus ?

FV : La politique de notre revue est simple : la poésie seule, seulement de la poésie. Après, pour la servir, tous les moyens sont bons, et il serait risible de jouer aux marquis poudrés en faisant mine d’ignorer l’histoire de la poésie française, en refusant la prose ou des formes plus expérimentales ou en se bouchant les oreilles dès qu’on excède les frontières françaises. Au fond, si nous sommes si inclusifs poétiquement parlant, c’est parce que nous posons des bornes ailleurs. Contrairement à bien d’autres revues, nous refusons de mélanger la poésie à d’autres formes de littérature, ce qui permet de ne pas niveler la première et de faire bouger des lignes. Ce qui nous intéressait dans Dagon de Lovecraft, c’est de montrer que celui-ci l’avait pensé comme un récit en prose poétique, et cette traduction inédite vise à rendre compte de cela. Le lecteur jugera ou non de l’intérêt poétique en soi de Lovecraft, mais au moins il aura une perspective sur le sujet. Dans le même style, demander à un critique littéraire comme Juan Asensio, plutôt spécialisé dans le roman ou l’essai, de parler de poésie, ce qu’il ne fait que rarement, permet d’entendre autre chose. Une autre borne que nous avons posée est celle d’être quasi iconoclaste. Malgré notre amour des images et l’attention portée à la maquette, nous avons décidés d’utiliser un minimum d’images. Dans ce premier numéro, il n’en est qu’une seule utilisée deux fois et qui est un dessin en noir et blanc du visage d’André Chénier auquel nous consacrons ce premier numéro. Il nous apparaissait essentiel de ne pas distraire le lecteur, de le placer face aux textes ; toute colorisation, toute image doivent dériver des textes et non l’inverse, ni encore moins se regarder en chiens de faïence. Si les lecteurs veulent des images, ils pourront toujours se rabattre sur Tintin ou l’Incal. Comme vous pouvez le constater, nous travaillons librement dans un enclos bien défini et c’est bien ainsi que doit fonctionner la littérature : permettre la fantaisie dans un carré.

Après, comme vous le soulignez, ne rien s’interdire dans notre pré carré nous permet de pouvoir rassembler des gens très différents et de pouvoir ainsi prétendre viser à quelque chose d’universel en nous désencombrant des affaires de niches littéraires. Oh, bien sûr il faut des niches littéraires, mais il me semble qu’aujourd’hui ces dernières servent moins la littérature que des catégories commerciales. Ce qui est dommage, car la littérature est un art des découvertes. Si on ne veut lire que la même chose, autant relire encore et encore le même livre. C’est moins décevant. Cependant, la faiblesse de notre démarche, contrairement à ce que vous sous-entendez dans votre question, c’est qu’au fond, nous n’avons pas la prétention de cristalliser l’état d’esprit de notre époque, de fonder une école ou un mouvement littéraire. Déjà, parce qu’il n’est pas sûr qu’il n’y ait qu’un seul état d’esprit, ensuite, parce que nous intéressons beaucoup plus à transmettre le feu sacré. Nous laissons d’autres être la manifestation de notre époque, mais je ne suis pas sûr que ce soit une bonne aune qualitative pour eux…

Oh et puis, être pédagogue à travers nos traductions et dossiers centraux, sans avoir le luxe d’être curieux du monde ou des chemins encore en broussaille, quel ennui. Ce serait une logique d’expert-comptable d’EDF célibataire et à un an de la retraite.

MN : Qualifiant toute démarche artistique, j’ai souvent employé l’expression « de l’art de dissimuler une prière ». Dans votre manifeste, vous avez des propos proches : « La poésie est pour nous une religion de mystiques, s’exprimant dans une prière. » Est-ce ainsi que l’on peut faire le tri ? Est-ce ainsi que l’on distingue la poésie du compliment, les poètes des courtisans ?

FV : Oui, mais partiellement, étant entendu que se déclarer mystique et joindre la religion n’est pas suffisant pour donner de la poésie. Comme toute religion la poésie demande des rites initiatiques, mais surtout des rites positifs (qui marque la manière d’entrer en relation avec le sacré, souvent grâce à des intermédiaires) et négatifs (ce qui marque la rupture entre le profane et le sacré). Or la disparition des écoles poétiques, la confusion entre ne pas appliquer des règles poétiques et ne pas les maîtriser, et la disparition plus générale des rites dans nos sociétés, fait que la poésie n’a jamais été aussi accessible et jamais aussi dégradée. Quand une blonde peroxydée, dont la spécialité est de donner corps au lieu commun dans la platitude la plus absolue à faire pâlir la route Napoléon dans l’Isère, vous explique que la poésie est ce truc qu’on pose là que personne ne sent, mais dont l’absence se fait sentir, elle dénote au mieux qu’elle pousse plus haut la stratosphère de la bêtise, au pire qu’elle confond la poésie et la présence d’une guitare basse en musique. En effet, si la poésie ne se réduit pas à un ensemble de trucs, elle demande un travail et une écoute marqués du sceau de l’exigence. Se contenter d’énoncer les objets de son quotidien ou avoir la folie de penser que son petit ressentie à la taille de l’univers, peut se faire, mais cela demande d’avoir les moyens de ces ambitions et de se les donner. Car si le propre du génie, comme l’explique Kant, est de trouver naturellement de nouvelles règles suggestives à suivre dans son art, cela n’exclut pas l’effort, au contraire. Or, le propre de la poésie de courtisan est de ne demander aucun effort, car pour flatter rien ne veut la répétition des clichés littéraires. La moindre excursion hors des sentiers battus, et c’est le risque de déplaire. Tenez, si je fais en cinq minutes un poème à la gloire de Maximilien Friche, cela pourrait donner :

Il s'agit de préparer le procès monstre d'un monde monstrueux
Aiguisez demain sur la pierre
Préparez les conseils d'ouvriers et soldats
Constituez le tribunal littéraire
J'appelle la Terreur du fond de mes poumons
Je chante le Maximilien Friche qui se forme en France à l'heure qu'il est
Je chante le Maximilien Friche de France
Je chante le Maximilien Friche de nulle part et de partout
Je demande un Maximilien Friche pour préparer la fin d'un monde
Demandez un Maximilien Friche pour préparer la fin d'un monde
Pour défendre ceux qui sont trahis
Pour défendre ceux qui sont toujours trahis
Demandez un Maximilien Friche vous qu'on plie et vous qu'on tue
Demandez un Maximilien Friche
Il vous faut un Maximilien Friche
Vive Maximilien Friche véritable image de la grandeur matérialiste
Vive Maximilien Friche contre Dieu Schiappa et la Marseillaise
Vive Maximilien Friche contre le pape et les poux
Vive Maximilien Friche contre la résignation des banques
Vive Maximilien Friche contre les manœuvres de l'Est
Vive Maximilien Friche contre la famille
Vive Maximilien Friche contre les lois scélérates
Vive Maximilien Friche contre le socialisme des assassins du type
Coulon, Salvayre, d’Epenoux, Erneaux,
Maximilien Friche contre tous les ennemis de la littérature.
[2]

Pour finir sur une note plus sérieuse, la force de la parole religieuse qu’est la prière et ce qu’elle a de commun avec la poésie, c’est qu’elle est une parole traditionnelle. La répétition, l’apprentissage de l’antérieur, permet la nouveauté. Au fond, la poésie authentiquement religieuse est une poésie d’escargot, ou plutôt de coquille d’escargot : on tisse circulairement depuis le centre, et de rayure en rayure on progresse jusqu’à la tête. C’est un travail de patience pour pouvoir pousser si peu et si lentement en avance.

https://www.pointscontrepoints.fr/

 

[1] N’en déplaise aux pacifistes, toute civilisation est un combat contre le temps, contre les autres et contre ce qui la nie. Il n’y a pas de civilisation sans lutte, mais sans civilisation, il n’y a que lutte…

[2] Certains pourraient s’étonner que cela ressemble autant à « Prélude au temps des cerises » d’Aragon dans Persécuté-Persécuteur (1931). Comme quoi, nous faisons bien de dire que la poésie des courtisans ne peut jamais être autre chose que de la poésie de Monsieur Jourdain.


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