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Entretien avec Marie-Thérèse Urvoy

Entretien avec Marie-Thérèse Urvoy

Par  
Propos recueillis par Gédéon Pastoureau

« Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous fera libres. »

Jean 8, 32

 

« Je suis née en 1949, à Damas où mon père était venu en tant qu'officier dans l'armée du Mandat français au Moyen-Orient, avant de passer fonctionnaire de la chancellerie de l'Ambassade de France. J'ai fait mes études secondaires chez les Franciscaines de Marie, en double cursus français et arabe, et supérieures à Damas, Beyrouth, Aix-en-Provence, Bordeaux et Paris I. (…)

C'est la demande du P. Jomier, en 1986, de lui succéder à l'Institut Catholique de Toulouse qui m'a orientée vers [l'islamologie]. Une formation et des études arrimées à l'esprit des « Humanités » de naguère m'y ont grandement aidée. À l'origine préférant la recherche, je ne pensais guère à l'enseignement ; c'est mon époux, aimant et pugnace, qui sut me convaincre. La demande finement tournée du P. Jomier fit le reste. (…)

[Mon mari, Dominique Urvoy, professeur-chercheur en pensée et civilisation arabe], aime dire qu'il m'a amenée à la philosophie, et que je l'ai amené aux études arabes. Dans notre vie, et à contre-courant des modes, nous avons toujours défendu l'orientalisme classique, tel qu'il a existé dans la tradition de l'Université française. »

Récemment, nous vous entretenions de l’excellent ouvrage que Louis Garcia publiait aux éditions du docteur angélique, dans lequel il questionnait Marie-Thérèse Urvoy sur l'islam.

Nous avons aujourd'hui le très grand honneur de dialoguer avec elle, alors que son nouvel ouvrage Islamologie et monde islamique vient tout juste d'être publié aux Éditions du Cerf.

 

Gédéon Pastoureau : Madame, tout d'abord, merci infiniment d'avoir accepté cet entretien. Vous êtes parmi les islamologues, donc l'une des rares vraies spécialistes à écrire en toute liberté sur l'islam. Malheureusement, vous êtes pour le moins absente du débat médiatique et vos livres sont peu relayés hors d'un certain cercle. Comment expliquez-vous ne pas être plus sollicitée par les médias en tant que spécialiste de l'islam, alors même que le sujet y est devenu omniprésent ?

Marie-Thérèse Urvoy : Il y a pléthore de "spécialistes" de l'islam, du monde arabe, du terrorisme, en général et dans ses diverses branches locales, réels ou autoproclamés. Il faut savoir aussi qu'il y a des officines qui placent leurs clients, dont je me refuse d'être. Surtout, pour être médiatisé, il faut aimer les médias. Or, tels qu'ils se présentent dans notre pays, sauf exceptions ils ne m'agréent pas. Notre vocation, à mon époux et à moi-même, est plutôt d'écrire dans des revues scientifiques. Cela dit, lorsque cela rentre dans mes compétences, j'ai quand même écrit aussi bien pour le Figaro, Valeurs Actuelles, l'Homme Nouveau, que le Nouvel Obs, le Point, ainsi que le Monde des religions, le Monde de la Bible, etc.

GP : Puisqu'on nous a dit que nous étions en guerre, nous tenons légitimement à identifier l'ennemi : hormis l'incontournable terrorisme islamiste, on s'attache aujourd'hui à accuser l'islamisme ou l'islam politique. Journalistes et intellectuels qui ont accès aux grands médias, et ayant le courage de s'attaquer aux symptômes de plus en plus visibles de la réislamisation des musulmans européens, prennent ainsi bien garde de ne pas incriminer l'islam en tant que tel : ne pèchent-ils pas par ignorance ? Que leur répondre, sans blesser leur louable volonté de ne pas « stigmatiser » ?

MTU : Il est vrai que beaucoup de musulmans ne posent pas de problèmes par eux-mêmes. Les choses se gâtent lorsqu'on réfléchit en termes d'appartenance à une communauté. Il y a d'une part les pressions du groupe, renforcées par l'action de propagande de pays comme l'Arabie Saoudite et le Qatar, lesquels disposent de moyens modernes colossaux de communication et de financement. D'autre part, l'histoire nous enseigne qu'en périodes de crise, au moment du choix, un musulman - qu'il soit modéré ou violent - choisira toujours "l'islam", c'est à dire la forme de celui-ci qui sera en train de triompher.

Tout ceci, bien sûr, s'appliquera pour tout musulman qui se reconnaît dans l'islam. Seul y échappe celui qui prend volontairement du recul et pour qui l'islam n'est qu'une expression de la morale universelle, et seulement cela. Mais c'est un cas très rare : j'ai connu des "musulmans athées" qui n'en restaient pas moins très attachés à la personne du prophète Muhammad, avec tout ce que cela implique sur le plan de la psychologie collective.

GP : « Le problème de l’islam, depuis toujours et encore plus maintenant, c’est que derrière chaque musulman, il y a un autre musulman, plus musulman encore»

Cet aphorisme du juriste tunisien Yad Ben Achour nous semble une clé essentielle de la compréhension du problème de l'islam, par conséquent de notre problème avec l'islam : peu importe que celui-ci soit « divers », « hétérogène », « complexe », peu importe qu'il existe au sein de nos sociétés occidentales des musulmans « laïcs », « pacifiques », « intégrés », ceux-ci seront un jour ou l'autre mis en accusation de ne pas être assez musulmans. Partagez-vous ce constat et lui reconnaissez-vous un caractère central dans la crise que nous traversons ?

MTU : Regardez ce qui se passe, je ne dis pas seulement dans l'histoire des pays islamiques, mais encore aujourd'hui : lorsqu’un islamiste patenté comme Erdogan cesse de soutenir l'État Islamique, ce dernier le traite de Satan et châtie la Turquie pour sa trahison. Plus généralement, les jihadistes se recrutent dans les jeunes générations qui reprochent leur tiédeur à leurs parents et aînés. Le phénomène de réislamisation, qui devait n'être qu'un approfondissement du spirituel s'est souvent mué en activisme violent.

GP : Posons précisément la question du rapport entre le croyant et le corpus doctrinal en islam : sans vouloir vous faire sonder les cœurs et les reins des musulmans français qui assument de placer la République au-dessus de l'islam, pensez-vous cette position tenable et sincère, en regard des textes et de leur caractère contraignant ? Ce « self-islam » auquel ils se réfèrent parfois n'est-il pas un fantasme, le rêve éveillé auquel le musulman qui a mesuré les bienfaits de l'Occident mais qui n'est pas prêt à renier la foi et la culture de ses aïeux veut encore croire ?

MTU : Je ne suis pas sûre que l'idée de « self-islam » soit présente dans l'esprit de ceux qui sont musulmans par héritage… C'est plutôt le fait de convertis occidentaux qui naviguent entre syncrétisme et pathos relativiste, tout en se réclamant de la "communauté" islamique déclarée par Dieu dans le Coran. Mais cela se fait au prix d'acrobaties interprétatives, dont on peut se demander si elles tiendront à l'heure du choix.

Aux thèmes entonnés par tous du "vivre ensemble", "coexister", "la paix", etc. nous répliquons que s'il est vrai que la convivialité a toujours existé en Irak, comme le dit le Dominicain Ephrem Azar, il est vrai aussi qu'en période de crise ou de guerre, les familles chrétiennes qui vivaient en parfaite convivialité avec leurs voisins musulmans ont généralement peur de revenir dans leurs maisons pillées et occupées par les voisins d'hier, comme le constate le Professeur Marogy qui revient régulièrement dans sa famille irakienne à Qaraqosh. Il y a bien des Musulmans, dont parle Mgr Gollnisch, qui paient de leur vie la défense de leurs voisins chrétiens, mais ils demeurent une infime minorité.

GP : Si, avec Samir Khalil Samir et Henri Boulad, tous deux prêtres jésuites égyptiens connaissant l'islam de manière intime et intelligente, nous sommes d'accord pour affirmer que le problème essentiel que pose l'islam dans nos sociétés est qu'il lie de manière inextricable religion, État et société, quel discours de vérité tenir aujourd'hui aux uns et aux autres de nos compatriotes, musulmans et non-musulmans ? Comment concourir à éclaircir un débat souvent truqué, consciemment ou pas, et participer à (ré)activer le souci politique contre le scrupule bien-pensant ?

MTU : Si vous entendez par "souci politique" le choix que doit faire tout citoyen, il est clair que l'on doit exiger de tout musulman et de tout islamophile de choisir une fois pour toutes : charîa ou république. Sans "accommodations raisonnables" qui sont au mieux un écran de fumée, au pire une démission. L"'accommodation" ne profite qu'à ceux qui réclament et le "raisonnable" est neutralisé.

GP : La France n'est pas seule à subir les assauts protéiformes de l'islam : le double-front du djihad mondialisé et de l'enracinement / réislamisation des populations musulmanes installées lors des vagues migratoires du XXème siècle et contemporaines s'actualise dans d'autres pays européens, mais aussi un peu partout sur la planète : une sorte de guerre civile mondiale. La situation très spécifique d'Israël, à cet égard, dans son affrontement à l'hostilité du monde arabo-musulman, vous semble-t-elle revêtir un sens particulier sur lequel s'appuyer ? Puisque les Juifs de France sont chaque année plus nombreux à quitter notre pays pour rejoindre l’État-nation d'Israël, selon vous, la France, fille aînée et émancipée de l’Église, aurait-elle une vocation singulière dans ce défi impérieux que l'expansion islamique lance au monde entier ?

MTU : En dépit de l'usage intensif qui en est fait, la transposition en France du conflit israélo-palestinien est totalement artificielle. C'est une réactivation de la détestation du Juif qui s'origine dans le Coran et les traditions prophétiques. Souvent les usagers de ce thème ne connaissent pas les fondements réels et historiques de ce conflit et confondent Israélien et Juif. Il existe beaucoup de descendants de la judaïté qui ne se reconnaissent pas dans le judaïsme, mais il existe rarement des descendants de la umma islamique qui ne se reconnaissent pas dans l'islam.


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