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Le lierre envahit tout

Le lierre envahit tout

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D'ignorance armés, d'informations gavés, apeuré et bêlant troupeau, nous marchons vers une forme de guerre civile. La lutte de tous contre tous a commencé, et chacun se trémousse d'aise, pourtant, de ce qu'il se pense tellement plus averti que ses aïeux. L'ensauvagement se nourrit, entre autres mets délicats, de la fin de toute verticalité et le règne des imbéciles nous promet pour les temps qui viennent d'émétiques péripéties.

Lent traveling sur les visages des fonctionnaires de catégorie C installés en salle de pause : bibliothèque municipale d'une petite ville rouge de province.
Elle déclare à qui veut l'entendre, la quinqua-valétudinaire, qu'ils n'ont pas besoin d'une terre pour exercer leur religion (sic), qu'ils en veulent toujours plus, qu'on leur a fait du mal par le passé, d'accord, mais qu'ils leur font pire aujourd'hui. Je la regarde, grosse bécasse fonctionnarisée jusqu'à la moelle, éprouvant à cet instant pour elle un véritable dégoût ; petite cervelle, petit souci de soi et de ses petites affaires, le potelé mammifère soulage son esprit atrophié et malade par de flatulentes rengaines. Mémère mafflue, prompte à caqueter truismes et fadaises, s'autorisant une opinion sur le conflit israélo-palestinien suite à une petite sauterie "Rance-Palestine" en ces murs sponsorisée par l'élue à la Kulture, elle n'a même pas l'air de comprendre qu'on puisse ne pas partager son néant et renchérir.
Je la regarde, circonspect, et jauge avec prudence les réactions alentours car je sais que nous sommes téléportés dès ce moment dans l'arène inique de la pensée autorisée.
Sa peur de crever en fond de teint épais et poudreux, Santé Magazine, Modes & Travaux, fiches-cuisine de Femme Actuelle, elle est la France dans toute sa suffisance crasse, meuglant à travers sa syntaxe avortée et criblée de "voilà" une haine du juif un peu timide et révulsante. C'est la haine du sacré et de toute transcendance, que j'entends. La haine des Écritures, la haine du Verbe, la haine de Dieu. Son communisme pue la mort, son syndicalisme sent la vieille chaussette à slogans. Elle est l'Afrance satisfaite de sa veule visquosité, de ses béances aux contours mols. Elle n'a bien sûr jamais ouvert un livre d'histoire, la fervente antifasciste de la filière kulturelle, sinon elle saurait que c'est le sionisme qui a, par réaction, créé ce « peuple palestinien » dont elle se rengorge. Elle est trop occupée, mesquine, à fliquer ses collègues pour réellement s'intéresser à son sujet, l'adipeuse kapo, sinon elle aurait eu vent des rapprochements significatifs entre nationalistes palestiniens et nazis allemands. Elle n'a assurément pas lu la charte du Hamas, la prosaïque et loquace matronne pétomane antiraciste. Elle ne sait pas, la bouillante athéiste qui ne voit pas l'islam dans le nationalisme palestinien, que le judaïsme le plus orthodoxe est anti-sioniste. Elle ne veut pas voir, la bougresse égalitariste sociologisante, qu'Israël est la seule démocratie de la région et que la violence que celle-ci déploie dans sa guerre pour continuer à exister est à la mesure de la culture de mort qui la cerne de toute part. Elle ne sait pas non plus, la modernissime humanitariste de salon à crédit, que les rescapés de la Shoah dont aucun pays ne voulait et qui arrivèrent en 44 sur la terre d'Israël, furent internés en tant qu'immigrant illégaux. Elle préfère ne pas savoir, la bedonnante et fière ignorante, qu'à deux reprises, en 1946 et en 1947, le Haut Comité Arabe, appuyé par la Ligue Arabe, a refusé un plan de partage en deux états, celui de l'Agence Juive, puis celui approuvé par l'ONU (celui-là même dont l'application est aujourd'hui comiquement réclamée la main sur le cœur par les militants anti-sionistes…). Non, essayer de lire le monde, ça ne l'intéresse pas : ce qu'elle veut, c'est s'indigner contre les méchants, montrer sa colère comme on rote, postillonner son refus de l'injustice telle un perroquet abonné à Marianne. Elle voudrait enfin, si je le permettais, pouvoir abhorrer en paix.

Dieudoral & Sonné peuvent se frotter les mains, la défaite de la pensée est consommée.

Je marche sur des œufs pas frais. L'impératif de discrétion qui me cramponne par les génitoires m'accable. Je suis en territoire hostile, les têtes peuvent tomber sans bruit, ici, sans douleur synchrone. Cette bataille n'en vaut pas la chandelle… Saviez-vous que 99,9% des Israéliens sont plutôt racistes ("Ils disent pas les Palestiniens, ils disent les Arabes…") ? Et toutes de reprendre, convaincues, quelques-unes des contre-vérités et semi-mensonges proférés la veille par celle qui a vu, témoin probe et irréfutable : celle qui revient d'un voyage en Palestine et qui en ramène un livre (une BD), elle (se) raconte en toute objectivité et partage avec bienveillance le récit de son séjour "pour la paix" et l'édification des masses.
Je réalise à ce moment que, fort heureusement, le jocrisse d'origine tunisienne n'est pas en pause avec nous, il est en poste : c'est-à-dire en train de bouquiner dans la salle de lecture de la section Adultes. Il n'a pas assisté au bref échange… j'aurais au moins échappé à ça : sa diction bouffie en guimauve ponctuée de vagissements à la Marj Simpson, tentant de mimer une caricature de ton professoral à l'aide de piteux gimmicks, il aurait sans doute ajouté très objectivement quelque argument bisyllabique à la position démocratique du splendide aréopage… Sa solidarité avec la cause palestinienne est entendue, et elle s'articule exclusivement selon une pensée humaniste, bien entendu. Rien à voir avec sa religion.

Dans la foulée, je découvre alors ces stupéfiants documents de pseudo-journalisme carburant au tourisme humanitaire : l'homme compassionnel aime se nourrir de ces gratifiants mémos, s'identifiant à l'Autre qui, mimesis opérant, souffre-en-scène. Il se pourlèche, se raidit et chérit ces frissons, indices savoureux de sa reconnaissance du semblable. S'en tenant souvent là, il s'interdit toute nuance, toute possibilité d'analyse, de perspective historique, de voir émerger le sens. Je est l'Autre, bon, unidimensionnel, anhistorique, victimisé. Pourvu qu'il soit l'antithèse de ma civilisation affaiblie et suffocante. Socialisme dégénéré, "qui aime passionnément les peuples opprimés - sauf ceux qu'ils oppriment, ou ceux qui, tels les Irlandais du Nord, posent des problèmes insurmontables à leur entendement", écrivait Hallier en 82. Mais il faut les travailler au corps, ces dhimmis à temps partiel, les aiguilloner à heure fixe : ils ont beau être zélés, ils ont une adorable tendance à retomber le nez dans leur petite routine et leurs tracas microscopiques ; les vilaines diatribes d'indignation collégienne se recroquevillent comme elles apparaissent, par conséquent, il leur faut régulièrement se recharger par le biais de quelque samizdat d'État ou la houlette d'un crétin créatif en mal de cause à défendre. Kollabos, mais pas trop. Alors ici, en guise de support kulturel (entendez « propagande ordinaire ») au petit sursaut mensuel, deux bandes dessinées, gratifiants mémos, disais-je, réalisées par des occidentaux "concernés" par les souffrances du peuple palestinien. La première, L'intruse, dont l'auteureuh honora la vie culturelle de la petite cité par sa venue et la présentation de son "œuvre", et la deuxième, Palestine, par Joe Sacco, rien moins que "l'inventeur du journalisme d'immersion en bandes dessinées". Avec un talent discutable, ce dernier hisse l'empathie cool au rang d'œuvre d'art politique. La partialité du propos est censée être contrebalancée par quelques concessions au cahier des charges : un semblant d'honnêteté historique filtre à l'occasion d'un accès de mauvaise conscience. Parlant d'Hébron, un bref encart : "cette ville a été sans pitié pour les Juifs, tu comprends… lors des émeutes Arabes de 1929 et au-delà des années 60, les juifs d'Hébron ont été massacrés… En 36, la communauté Juive a été chassée de la ville…" Hop là ! Quel professionnalisme, quelle rectitude morale ! Cependant, ce qu'il s'échine à montrer dans les 250 autres pages, ce sont ces agneaux palestiniens maltraités par les sanguinaires chiens israéliens. Chacun des innombrables maux des palestiniens est imputé à Israël et à ses soldats féroces, cruels. Il va sans dire que la Palestine, avant ce sale coup des sionistes, était une terre riche, prospère, appartenant à un gentil « peuple palestinien » dont le niveau culturel, économique et social faisaient honte à tout le Moyen-Orient. Salopards, les Juifs !

Dans la rue, en bas, le jour est rythmé par les allers et venues des habitants. Parmi eux, un certain nombre de femmes voilées, de volées de gamins aux prénoms divers, de jeunes, de moins jeunes, jeans et baskets, tongs et djellabas… Le paradis multiculturel, si si. Et je sais qu'ici ce n'est rien encore. Je discerne alors en songe les traits de ce Janus islamique qui plante ses racines adventices chaque jour un peu plus profond dans la tendre viande démocratique : d'un côté, le visage sombre, grimaçant, déformé par le goût du sang, de l'islamo-terroriste. De l'autre, le sourire apaisant et plein de bonhomie du musulman intégré, raisonnable, le bon, le modéré. Le voisin. Le collègue. De concert, ils assurent la lente islamisation, sur le territoire européen, français, d'enclaves de facto Dar al-Islam : l'épouvantail assure sa partition avec brio, échauffant les esprits, écran de noire fumée tactique, tandis que la présence rassurante et narcotique de l'autre vecteur, son double doux, rectifie le mix pour lui conférer la suavité nécessaire à nos sens malmenés.

Nous n'avons encore rien vu.

Tout est travail. Tout est loisir.
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Cro-Magnon qui nous colle à la peau !
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Envers et contre tout, deuxième partie
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