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On a cassé la République

On a cassé la République

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On a cassé la République, 150 ans d’histoire de la nation : voilà le titre du dernier livre de l’historien Pierre Vermeren qui sonne comme un cri d’effroi. En préambule, l’auteur cite les propos de Sylvain Tesson, l’écrivain aventurier, tenus dans le Figaro du 19 mars 2020 : « Dans l’histoire de France, il y a eu des temps bâtisseurs (XIIe siècle), conquérants (Premier Empire), artistiques (Belle Epoque). A présent, nous sommes doués pour éteindre les brasiers. La dégradation de l’ordre ancien s’accompagne de l’augmentation des moyens d’urgence. Reconnaissons cela à la modernité : nous savons nous activer sur les décombres. Définition du progrès : amélioration des services de réparation du désastre. » Face aux débris fumants de notre civilisation, un sondage IFOP d’octobre 2018 rapportait que 41% des français seraient favorables à un « régime politique autoritaire » pour « réformer en profondeur » leur pays afin d’ « éviter le déclin. »

Jusqu’aux années 1950, la terre, la ferme et le foyer villageois ont été le cadre de plus de la moitié des français : « Dans ce conservatoire rural, une certaine France d’Ancien Régime a survécu dans son mode de vie et ses métiers, sa société hiérarchisée sous la houlette des notables, et son déroulé rythmé par le catholicisme, qu’il soit de conformisme ou de piété. Cette France de l’Angélus a, durant des générations, cohabité avec les institutions républicaines : l’instituteur, le maire et les agents d’autorité (gendarme, juge de paix, garde champêtre, et leur chef, le préfet départemental). »

Pour continuer à nous éclairer quant à l’enchaînement fatidique des choses, Pierre Vermeren explique de façon didactique que la III° République a lavé par deux fois l’humiliation de Sedan en 1870 : d’abord en se dotant du deuxième empire colonial du monde, perpétuant ainsi le chantier révolutionnaire d’expansion des idéaux des Lumières,  et ensuite, en contenant le militarisme allemand à Verdun et sur le front du Nord et de l’Est : « La Grande Guerre a réalisé la fusion qui a permis aux trois France, la rurale-catholique, l’industrielle urbaine et la militaire-impériale, de fusionner dans la synthèse républicaine. » Péguy parlait au début du XXème siècle de « La République une et indivisible, notre royaume de France. »

« L’étrange défaite » de 1940 a cristallisé un déclin amorcé de longue date, et malgré la geste gaullienne, nous avons sombré dans la honte de soi dont le point d’orgue fut mai 68 et sa gigantesque entreprise de déconstruction jamais démentie depuis : « Tout ce qui avait fait entrer et adhérer les Français à la République a été révisé, dévalué, souvent rejeté, voire honni : le roman national, l’assimilation à la française, l’école des hussards noirs (jugée autoritaire et nationaliste), l’ascension au mérite, la morale républicaine et le Code civil, le sabre et le goupillon (l’alliance de l’armée et de l’Eglise), le capitalisme familial, l’agriculture paysanne, l’épargne et les valeurs de la bourgeoisie de province, le respect des institutions et des corps constitués, la classe ouvrière et le PCF, la famille et l’autorité du père de famille, l’équilibre budgétaire, un nationalisme cocardier, la fierté française, le sens du sacrifice pour la collectivité, le prestige intellectuel, le travail bien fait, l’urbanité et la politesse, mais aussi la joie de vivre qui nous sidère si nous regardons aujourd’hui les films des années 1970. Il serait long, cet inventaire à la Prévert des valeurs et des comportements que la dernière modernité française a bannis. » Symptômes douloureux d’une puissante table rase.

Quand l’Eglise était encore et sans conteste possible au milieu du village, que les LGBT, féministes, décoloniaux et autres indigénistes n’avaient pas entrepris de détruire d’un même mouvement la noble institution bimillénaire et la République, un Jules Ferry s’adressant aux instituteurs pouvait de belle manière haranguer : « Vous n’avez à enseigner, à proprement parler, rien qui ne vous soit familier comme à tous les honnêtes gens […]. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment. […] L’instruction religieuse appartient à la famille et à l’Eglise, l’instruction morale à l’Ecole. »

Epoque bénie où l’ordre des choses s’appuyait sur une morale, une sagesse et une autorité majoritairement partagées. C’est ce que l’on appelle l’unité d’une nation.

Mais les élites modernes, comme souvent dans l’Histoire de France, ont failli pour ne pas dire trahi le peuple. L’esprit du temps, fait d’attirance pour la gloire individuelle et de mépris pour l’intérêt général, s’est  imposé. Et que dire de l’hubris des « décideurs » : « L’esprit d’accumulation et de cupidité, allié au sentiment d’impunité qui naît de la conviction d’œuvrer pour le bien de l’humanité (selon la thèse de la « mondialisation heureuse »), et d’une forme de millénarisme début de siècle, entraîne une déconnexion de plus en plus grande entre citoyens ordinaires et élites mondialisées. » Notre auteur affirme ainsi que le prix à payer pour le néolibéralisme se matérialise par un argent-roi qui sape l’esprit républicain. On ne sert plus l’Etat, mais soi-même, étroitement, égocentriquement, dans un but d’enrichissement personnel.

Le fossé entre France d’en-haut et France d’en-bas est abyssal et on voit mal comment les choses pourraient s’améliorer tant les élites sont méprisantes envers les classes populaires et tant ces dernières paupérisées sont sevrées d’idéaux et maintenues dans la servilité de la consommation et du divertissement. La République qui avait établi ses codes, sa propre transcendance, en lieu et place de l’antique religion catholique, ne fait plus briller les yeux des citoyens. Péguy, encore lui, avait prévenu : « Le mouvement de dérépublicanisation de la France est profondément le même mouvement de sa déchristianisation. C’est ensemble, un même, un seul mouvement profond de démystification. » Malgré ce sage avertissement, Macron a pu affirmer de façon stupide qu’il n’y avait pas de culture française, renforçant chez une grande partie de jeunes français (notamment ceux issus de l’immigration) le sentiment de haine de soi et de désaffiliation à notre histoire et notre identité.

Et puis, il y a ces statistiques qui donnent à penser que le chantier de reconstruction est une gageure : notre pays compte 3 millions de chômeurs auxquels s’ajoutent 3 millions de chômeurs à temps partiel, et encore 3 millions de jeunes (de 25 à 35 ans) marginalisés -n’occupant aucun emploi, n’effectuant aucune formation scolaire ou professionnelle-, enfin 2 à 3 millions de personnes de plus de soixante ans en retraite contrainte ou sans possibilité d’emploi. Les conditions économiques et sociales engendrées par la déconstruction et la déculturation ont donc jeté les bases du désœuvrement d’un grand nombre de français. Alors que faire ?

En guise de réponse, Vermeren interroge : « Comment espérer en effet le retour de la confiance des citoyens, d’une croissance dynamique et soutenable, et d’un Etat ayant autorité sans le préalable d’une remise en ordre démocratique ? »

 


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