Une exposition d’estampes pour garder nos âmes légendaires
Art contemporain Mauvaise Nouvelle https://www.mauvaisenouvelle.fr 600 300 https://www.mauvaisenouvelle.fr/img/logo.pngUne exposition d’estampes pour garder nos âmes légendaires
« Je travaille à la trame des temps et je tisse la robe vivante des dieux. »
Goethe
Il fut un temps où les oiseaux du ciel étaient les messagers des dieux, un temps mythique où le langage des Hommes était encore amarré aux rivages de la poésie, et où la mort n'était qu'un rêve.
Gravées au burin d'une mystérieuse rhétorique, les estampes d'Aude de Kerros gardent peut-être quelque chose de ce temps hors du temps qui persiste confusément dans le matin profond de notre mémoire. On se souvient de ce mot de Goethe, « je travaille à la trame du temps… », mais aussi et surtout de cet autre mot de Charles Maurras : « Il n'y a que le vers pour tenir dans ses griffes d'or l'appareil éboulé de la connaissance », l'un comme l'autre deviennent viatiques en des temps que nous traversons, obombrés par la « haine du secret ».
Une audace certaine est requise pour exposer un art de l'apparaître en un temps où règne le paraître, un art lisière du pays réel quand règnent concept et propagande sociétale du pays légal. Nous savons depuis Charles Maurras que le second n'a pour but que de détruire le premier, mais sans toujours prendre la pleine mesure de cette lutte à mort. Miroir et réplique - au sens sismique du terme - des tréfonds de la société, le théâtre de l'art rend visible cette lutte et son intensité. L'art conceptuel (ou AC) projette dans le champ du visible de nos places et musées les images spectrales du pays légal ; les gravures de Aude de Kerros, quelque chose des héritages buissonniers et des orées tremblantes du pays réel. Saluons donc cette initiative non conformiste de Rosie Barbanegra.
Entreprendre la critique de l'œuvre de Aude de Kerros est une démarche non moins audacieuse. Dans un passé récent, je m'y suis pourtant risqué, mais sans grandes percées heuristiques. Mon œil, exercé aux arts figuratifs, trouve peu d'ancrage aux arts qui le sont moins. Pour être tout à fait honnête, l'œuvre kerrosien me laisse le plus souvent sans voix - mais non sans voie. Ces estampes nées des amours du métal et de l'âme, qui auront la faveur d'une exposition à la fin juin 2023, semblent se suffire à elles-mêmes.
« On circonscrit, on ne définit pas », ce mot de Dominique le Roux nous indique sans doute une balise sur cette autre voie dégagée des tentations livresques et présomptueuses, à laquelle l'art singulier de Aude de Kerros nous appelle. Retrouvons les émotions de la beauté, les ressacs de sens qui en jaillissent, mais aussi l'art et la manière de voir du prêtre romain face à son templum, découpe sacrée du ciel, en quête de signatures divines. Oui, contemplons les estampes en augure ! Sur l'affiche de l'exposition, que voit-on ? Une estampe où apparaît un feuillage doré sur fond de ciel bleu qui n'est pas sans évoquer ce « bleu préféré des abeilles » cher à Dominique de Roux. Et que lit-on d'autre ? Le nom d'une artiste, Aude de Kerros, celui d'une galeriste, Rosie Barbanegra, et quoi d'autre ? Le nom d'un hôtel parisien, et une adresse postale : le 13 rue Payenne.
Curieux nom de rue ! homonymie où passe plus d'une épiphanie païenne, plus d'un dieu païen au-devant de notre espérance chrétienne. Quant aux jours de l'événement - mercredi 28 et jeudi 29 juin 2023 - ne sont-ils pas jour de Mercure, dieu du commerce et jour de Jupiter, dieu suprême des Romains ?
Sous cette double égide, souhaitons de fastes heures à cette exposition qui honore l'art comme il se doit, pour le seul bien de nos âmes, ressourcées à leurs légendes natives.
« Je me réchauffe au feu d'une estampe. Crépitement de parole et de pitance. J'ai prié le Très Haut pour qu'il me donne le "pain de ce jour" ; il m'envoie le jour de ce pain en échange, miettes de silence tombées dans le cœur.»