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Dominique A, un souffle avant le son qui vient

Dominique A, un souffle avant le son qui vient

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Tout a été dit sur Dominique A. Vraiment ? Oui sans doute. Mais ne nous sentirions nous pas coupables de ne rien dire ? 11ème album. 11ème fois incontournable. Dominique A fait partie du cercle restreint des chanteurs sachant être toujours mieux eux-mêmes. Il en est même la figure de proue. Eleor est un album libéré, extrait de l’âme du chanteur, extrait du monde, extrait de la surdité du monde. Le son, la voix ont été engendrés et lâchés pour nous.

Toujours un horizon à dépasser

Jamais l’idée du mouvement n’a été aussi présente dans un album de Dominique A que dans Eleor. C’est indéniable que nous partons en écoute comme on part en chemin. Non pas en ballade, en cheminement, en convoie. Il y a l’expression d’une aventure. Une invitation à l’incarnation, au risque du désir, au risque de se relier les uns aux autres et tous à l’invisible au delà de l’horizon. Dominique A a toujours été un homme qui « guète les processions aux angles de rues », prêt à prendre sa guitare. Le lieu où il veut nous amener, le lieu dont il nous parle est à chaque fois une énigme : Eleor, Central Otago, el cuerpo aguante, etc… L’existence de ces lieux ne fait aucun doute, on a tellement envie de lui faire confiance. Il ouvre une perspective, une volonté de dépasser l’horizon. Il y a une certitude de pouvoir « y parvenir ». « Il y a des rêves qu’on ne refuse pas. »

La vague nous accompagne, on est comme dans une douce galère, on n’est pas prêt de s’arrêter. Le vague à l’âme nous enchante. On ne voit pas l’éternité passer. On voit les horizons se démultiplier. On court tous ensemble, une fois l’océan dépassé, vers le « Canada. » Nous sommes inépuisables tant que la voix est là. La voix se retient, ralentit avant d’aboutir, savoure le silence qui la décalera du rythme. Elle ralentit pour qu’on la rattrape. C’est tellement bien d’avoir quelqu’un à suivre, Dominique. Tes airs sont une invitation au voyage. Le chanteur veut en fait mettre en mouvement tous « ces gens qui attendent le long des voie ferrés », il cherche obstinément à amener avec lui un peuple, il ne veut en perdre aucun. « La vie n’est pas finie, la vie n’est pas passée. »

L’expression de la grâce

Si nous cherchons ce qui nous émeut dans la musique de Dominique A, spontanément il nous vient d’évoquer la grâce. Ce colosse au cou d’airain fait des gestes de danseuse, se prend pour un cygne noir. Des mains qui caressent l’air pour battre la mesure, et qui partent en saccades quand l’âme tente de se mouvoir dans le son. Voilà bien une chanson faite chair.

Son phrasé est fait d’à coups, il faut savoir se distinguer du tempo. Le rythme, c’est pour les autres, pas pour sa voix. La rupture manifeste toujours l’incapacité d’une louange à l’infini, il faut reprendre, repartir, recommencer. Dominique A a le souffle fragile mais qui ose toujours, qui ne renonce jamais. Il est le narrateur d’une âme. Ne pas le faire serait se rendre complice de « la matière ». Le faire c’est risquer le ridicule. Mais Dominique A a dépassé cette question depuis plusieurs albums. Et la générosité ne se cache plus derrière un jeu d’austérité. Son âme n’est plus ce « morceau caché », elle est cette vague narrée, chantée, accompagnée d’autres vagues.

Les silences brefs qu’il impose avant d’achever un mot, une syllabe, est l’expression même de l’incarnation et de ses limites. Il est obligé de respirer. Donc autant faire du souffle une partie intégrante de la musique. On a appelé ces respirations des silences, alors même qu’elles ne sont que souffle. Il faut respirer avant le son qui vient, le silence assumé est son élan. Cet arrêt dans la phrase, ce souffle suspendu au dessus de la phrase est comme une prière du matin à nouveau respirée, la prière d’avant le jour qui vient, d’avant le son qui vient.

Dominique A embrasse tout le son

Dominique A revient de loin. Il vient du disque sourd. Et il est allé sans cesse davantage vers la sonorité. Il savait que le son compris était compris dans le silence mais non saisi, et il l’a extrait, petit à petit, dompté, révélé. Il étire le son comme on déroule une pelote, il se laisse traverser par le son comme une gargouille se laisse traverser par l’eau. De l’autre côté, cela fait de la musique. « Vers les lueurs » nous avait mis sur la voie de l’interprétation symbolique autour de la lumière. Aujourd’hui, Dominique A n’est pas moins mystique, mais exerce essentiellement son pouvoir d’incarnation. L’incarnation est la question centrale posée dans Eleor. Et pour ce faire, tous les styles musicaux ont été convoqués dans une logique de synthèse des possibles. Sur certains morceaux, le chanteur qui est né au rock devient carrément symphonique, et nous entendons les cordes qui s’étirent pendant que le narrateur enchaine ses séquences saccadées. C’est de la musique de film puisqu’il nous raconte quelque chose, un voyage, son passé, un passé. Pour Dominique A, la musique est un moyen de convoquer tous les temps au présent. Il réactualise le passé, son amour d’enfance, la fille est présente devant lui, ça ne fait aucun doute. On n’a plus besoin d’imagination quand on a la musique. Il prononce les couleurs du chant et tout apparait. La force qu’il transmet au son suffit à faire opérer la magie.

Dominique A sait rendre plus discrète sa guitare électrique et finit par embrasser tous les genres en un seul album : chanson, pop, rock, symphonie, berceuse, danse… slow ! C’est une sorte d’hommage à la musique, à chaque genre et en même temps un rappel que la chanson, par nature, dépasse la logique de genre musical. Il déclare la mort du mépris pour tel ou tel genre. Après tout, si Dominique A fait de la chanson, nous pouvons bien aimer la chanson.


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